La beauté de la langue et la richesse de la culture

Interview avec Kebir Mustapha Ammi

Par Noureddine Mhakkak

Romancier, essayiste et dramaturge, Kebir Mustapha Ammi est né à Taza, en 1952. Il vit aujourd’hui à Paris. Il est l’auteur notamment du «Ciel sans détours» (Éditions Gallimard .2007), «Les vertus immorales» (Éditions Gallimard. 2009)   et de «Mardochée» (Éditions Gallimard 2011). Son dernier roman, «Ben Aïcha», qui évoque le célèbre corsaire et ambassadeur Abdallah Ben Aïcha est paru en 2020, aux éditions Mémoire d’encrier.

 Voici une interview avec lui. Bonne lecture.

Que représentent les arts et les lettres pour vous ?

Les arts et les lettres sont une fenêtre. Un balcon avec une vue sur le monde. Ils nous permettent de respirer. Ils nous donnent la possibilité d’interroger le réel et de nous poser des questions sur ce que nous sommes. C’est l’art qui nous permet de nous dépasser, de nous interroger sur notre condition, sur ce que nous faisons ici et maintenant tout en nous interrogeant sur ce qu’est ou peut être le monde.

Que représente l’écriture pour vous ?

L’écriture est pour moi un moyen d’imaginer d’autres mondes et de livrer ma vision par le truchement de l’imagination. L’imagination est ici un outil pour parvenir à toucher l’émotion du lecteur à travers sa sensibilité. L’écriture est une combinaison cérébrale complexe mais c’est dans le même temps un jeu porté par une série de questions. Elle porte en elle, à fleur de peau, une vision du monde qu’elle essaie de livrer le plus subtilement.

Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.

Il y en a beaucoup. De nombreuses villes m’ont marqué. Quelquefois, ce sont des villes secondaires, loin des sentiers battus, dont on ne parle jamais, et où je me suis retrouvé un peu par hasard. Je pense à Battanbang, au Cambodge, par exemple. C’est un lieu qui m’a surpris et remué. Il y a quelque chose d’ingrat et âpre dans cette ville où les gens doivent se battre quotidiennement qui m’a marqué. Et les gens n’y perdent jamais leur âme, ils ont une grande dignité. Mais aussi Pnom Penh. Luang Prabang au Laos est une petite enclave de rêve. Malacca, en Malaisie, m’a fasciné, Tokyo, car c’est une expérience unique, où une culture ancestrale ne se laisse jamais distancer par la modernité, Kyoto pour le voyage dans le temps et le raffinement, Hiroshima m’a bouleversé vous imaginez pourquoi. C’est une ville qui a vécu dans sa chair une épouvantable tragédie mais qui est restée debout et sans haine. Il y a d’autres villes dans le monde, qui m’ont beaucoup marqué, en Amérique, La Havane et Trinidad à Cuba, d’autres villes en Australie, comme Sydney, ou en Afrique… Elles m’ont toutes donné le sentiment que nous sommes partout pareils. Nous sommes une seule et même grande famille. Les couleurs, les religions, la culture ne sont que différentes façons d’exprimer notre identité d’hommes et de femmes. J’ai acquis la conviction que rien ne nous sépare, il n’y a que la bêtise qui trouve un intérêt à ériger des barrières entre les peuples. Je me sens partout chez moi même si je ne changerai Taza pour rien au monde. C’est là où tout a commencé : l’enfance, les rêves et la quête de l’essentiel, le désir d’écriture. C’est une ville humble, à l’écart, où les gens sont simples et accueillants. C’est le lieu où je me ressource. C’est la ville du cœur, c’est un talon d’Achille, nous en avons tous un, n’est-ce pas ?

Que représente la beauté pour vous ?

Elle représente l’essentiel. Sans beauté, il n’y a pas d’art et sans art le monde et l’humanité auraient du mal à tenir, ils seraient invivables. Elle est l’eau et la lumière indépendantes à la vie. C’est pour elle qu’on se bat. Et c’est elle qui sauvera le monde ! C’est la capacité des créateurs à chercher la beauté qui nous sauve. Que serions-nous sans poésie, sans théâtre, sans musique, sans peinture… ? C’est notre passion de la beauté -donc de l’art- qui fait de nous des hommes et des femmes. Imaginez une société sans art, une société où il serait interdit d’écrire, de peindre, de composer de la musique…

Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées.

Il y a beaucoup de livres qui m’ont marqué, il y a des auteurs que j’ai découvert quand j’étais jeune et que je continue de lire, comme Kawabata, Tanizaki, Soseki, Mishima, Faulkner, Conrad, Garcia Marquez, Carlos Fuentes, Khatibi, Khair-Eddine… Ce sont des compagnons, comme des grands frères, il y a dans leurs pages une puissance inouïe, ils sont une source d’inspiration, par leur force et leur écriture tendue, exigeante de bout en bout, qui ne cède jamais à la facilité.

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