Non à un gouvernement de compétences ou de salut national

Benabdallah: Au sortir du confinement, le gouvernement est appelé à récupérer l’étendue de ses attributions et prérogatives

Au sortir de cette crise de Covid-19 et de l’état d’urgence sanitaire, qu’elle a engendré avec son confinement sanitaire, le gouvernement se doit de récupérer l’étendue des prérogatives et attributions qui sont les siennes, car ce ne sont pas deux ou trois membres du Comité de vigilance qui vont mener à bon escient la lourde tâche du déconfinement et de la relance de l’économie, selon le Secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme, Mohamed Nabil Benabdallah.

Dans un entretien avec le journal « Le Matin » sur la crise sanitaire, la gestion de la pandémie et son impact économique et social, le SG du PPS a exposé en détail la vision du Parti, telle que définie lors de la dernière session extraordinaire, tenue à distance, le 16 mai dernier par son Comité central.

Comme partout dans le monde, la crise de la pandémie du corona a eu un impact négatif considérable sur l’économie du pays et la société tout entière, a-t-il rappelé, notant que  ceux qui avancent qu’il suffit de relancer la machine avec quelques mesures pour que le reste suive se trompent. Pire encore, ceux qui disent qu’on peut se passer de la démocratie et des partis politiques, arguant à tord qu’ils ne servent à rien, véhiculent un discours dangereux. Ceux-là se trompent en long et en large, a-t-il martelé.

Il ne peut pas y avoir de développement sans démocratie. Ceux qui disent qu’on a besoin surtout d’un gouvernement de compétences ou d’un gouvernement de salut national cherchent évidemment à mettre de côté les partis politiques, à renvoyer le parlement et à se passer de la Constitution. Ils cherchent à se soustraire du cadre constitutionnel de 2011, a ajouté le SG, qui n’a pas manqué de souligner la nécessité de préserver la démocratie pour le portage de l’œuvre de développement du pays dans le cadre d’un Etat social fort, développeur et régulateur d’une économie en plein essor et au service de l’Homme.

Le PPS a appelé il y a plus de 15 jours aux concertations actuelles

Revenant sur les récentes concertations que le chef du gouvernement a finalement entamées avec les partis politiques et les autres acteurs économiques et sociaux, il a indiqué qu’elles sont les bienvenues pour le PPS qui les réclamait bien avant. C’est-à-dire, depuis la dernière session de son Comité central du 16 mai pour discuter ensemble des moyens de préparer le déconfinement et de réussir l’après-corona, sachant que la crise actuelle de la pandémie a remis en cause bien de certitudes et d’évidences au Maroc et dans le monde.

Il ne suffit pas de publier de temps à autre des communiqués autorisant par exemple les cafés et restaurants à reprendre certaines activités (emporter et livraison) pour que cela réussisse.

Le déconfinement doit être soigneusement préparé avec la participation de tous les acteurs, a-t-il insisté.

Il faut traiter le peuple marocain en peuple majeur et qui est capable de comprendre. Il faut l’informer de ce qui va être fait dans le cadre du déconfinement attendu, sachant que l’opinion publique, qui avait repris confiance en l’Etat au début de la crise, est bien préparée pour l’instant pour s’impliquer dans ce qui pourrait être entrepris dans ce cadre. Agir autrement risquerait d’éveiller en elle les sentiments de défiance qu’elle nourrissait à l’égard de l’Etat et de ses institutions bien avant l’apparition de cette pandémie.

Il a en outre fait savoir que le PPS, qu’il soit dans l’opposition ou dans le gouvernement, est toujours fidèle à ses positions.

C’est ainsi que si le parti était toujours au gouvernement, il n’aurait jamais permis que le projet de texte 22.20 puisse être adopté en conseil de gouvernement. Il aurait attiré aussi l’attention du gouvernement sur le fait que des centaines de milliers de ménages éligibles au soutien financier n’en ont pas bénéficié. Le PPS aurait également signalé l’absence d’homogénéité du gouvernement.

Et c’est ce que le parti fait actuellement en jouant pleinement son rôle dans l’opposition, a-t-il rappelé, soulignant que le Comité central du parti a adopté au cours de sa récente session une nouvelle vision devant aider le pays à réussir le déconfinement tout en capitalisant sur les enseignements et les acquis de cette conjoncture difficile, qui a mis à nu les limites des politiques néolibérales non seulement au Maroc mais aussi partout dans le monde.

Le système néolibéral incapable d’apporter des solutions efficaces

Selon le Comité central du PPS, a-t-il dit, il apparaît clairement que le système libéral et néolibéral est incapable d’apporter des solutions efficaces à la crise.

C’est ainsi que le Maroc est aujourd’hui confronté à une situation marquée par le fait que plus de la moitié de sa population vit dans des conditions de précarité. Plus de 7 millions de ménages ont bénéficié du soutien financier distribué par le fonds de gestion de la crise. Cette situation, a-t-il dit, est le résultat des politiques néolibérales de centre gauche ou autres poursuivies depuis des décennies.

Et Benabdallah de rappeler dans ce cadre que le Maroc de 2020 diffère totalement de celui de 1998-99, du début du règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Le PPS a quitté le gouvernement

Après avoir constaté que les politiques poursuivies vont dans le sens contraire de ce qu’il préconise, le PPS a dû quitter le gouvernement qui refuse notamment d’aller vers une aide sociale directe et d’accorder la priorité au système de santé publique et qui hésite de procéder à la réforme de l’enseignement (de l’école publique surtout).

Le parti a dû prendre une telle décision, en refusant de perdre du temps dans des polémiques stériles, alors que le pays connaissait bien avant la pandémie de corona une véritable crise de confiance dans la société, a-t-il noté, expliquant que c’est cela qui a poussé le parti à quitter le gouvernement en constatant qu’il y avait vraiment grand péril en la demeure. Et ce après avoir attiré l’attention du gouvernement sur cette situation.

Les progrès notables du Maroc en matière d’infrastructures

Il est vrai que le Maroc a fait des progrès énormes dans certains secteurs et en particulier en matière d’infrastructures et a réussi à avoir une économie un peu plus solide qu’avant dans certaines filières dont le tourisme, a-t-il observé, soulignant qu’une bonne partie de la population a été toutefois laissée de côté et qu’elle vit aujourd’hui dans des conditions de précarité et de dénuement.

Non aux anciennes recettes néolibérales

Partant de là, le PPS considère que le Maroc ne peut plus se permettre de revenir aux orientations d’antan, a-t-il affirmé, notant que partout dans le monde, il a été prouvé que c’est grâce à l’intervention de l’Etat que les pays ont réussi à lutter contre la pandémie.

Pour ce qui le concerne, le Maroc a besoin d’un Etat social fort par sa démocratie, un Etat qui mène le jeu et qui joue pleinement son rôle de régulateur.

C’est à travers le système de santé publique que la lutte contre la pandémie est menée, a-t-il expliqué, estimant qu’il serait faux d’appliquer la même recette d’avant une fois sorti de la crise.

Changer de paradigmes pour un nouveau contrat politique pour relancer l’économie et combattre la précarité

Il est temps de changer de paradigmes et de paramètres comme le réclame dans son dernier document la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a-t-il dit, appelant à établir un nouveau contrat politique qui revêt en fait trois dimensions : une économique, une sociale et une politique.

Sur le plan économique, il ne faut pas penser qu’il suffit de relancer la machine avec quelques mesures pour que le reste suive.

A ce niveau, a-t-il expliqué, le PPS considère que l’Etat doit jouer un rôle fondamental dans la régulation de l’économie, qui a été impactée de manière catastrophique par la crise engendrée par la pandémie. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut limiter le chantier de la relance au chantier économique seulement.

Il s’agit certes d’avoir des instruments de relance économique, mais il s’agit aussi et surtout de se donner des priorités parmi lesquelles il y a la relance économique, mais aussi la nécessité de combattre la précarité en adoptant des approches financières, budgétaires et fiscales qui diffèrent de ce qu’on a adopté jusqu’à présent, a-t-il dit.

Pour le PPS, il faut aller jusqu’à accepter l’idée d’un léger glissement du déficit budgétaire à adopter pour dégager des moyens financiers importants de l’ordre de 100 à 120 milliards de Dirhams pour financer la relance de la machine.

Il faudrait aussi recourir à des modes alternatifs de financement, comme l’admet aussi le ministre de l’économie et des finances, des modes qui ne soient pas basés sur l’emprunt extérieur, qui risque d’alourdir encore plus la dette extérieur du pays et aggraverait sa situation de dépendance de l’extérieur.

Il est possible d’utiliser dans ce cadre la dite ligne de précaution mise à la disposition du Maroc, a-t-il avancé, soulignant qu’il est envisageable aussi de lancer un emprunt intérieur pour soutenir l’effort financier.

Le PPS considère aussi qu’au niveau fiscal, il s’agit pour le pays d’aller vers une réforme fiscale réelle qui permettrait d’élargir l’assiette fiscale et de faire entrer progressivement le secteur informel, qui représente la majorité écrasante du tissu économique national qui tire vers le bas et qui s’active en dehors du secteur formel, qui tire vers la haut, a-t-il ajouté.

Dans le cadre de cette réforme fiscale, il faut aller aussi vers une grande contribution des fortunes, a-t-il encore indiqué, tout en insistant sur le rôle de l’Etat et de l’investissement public, qui reste fondamental dans la relance de l’économie, et ce à travers les établissements publics pour relancer l’activité d’un certain nombre de secteurs et à travers cela les systèmes de paiement et la réduction des délais de paiement. Parallèlement à cela, le PPS appelle à des mesures d’incitation bancaires et des mesures d’accompagnement à travers la Banque du Maroc pour réduire les taux d’intérêt bancaires pour booster la circulation de la liquidité, a-t-il dit.

Il a par ailleurs fait savoir qu’il est anormal que les communes ne soient pas sollicitées aujourd’hui, au moment où tous leurs budgets sont utilisés ailleurs. De nombreuses entreprises opérant non seulement à Casablanca et Tanger mais également dans de nombreuses petites villes ont besoin de travailler et de tourner pour préserver les emplois.

En insistant sur le rôle fondamental de l’Etat et de l’investissement public, le PPS considère que c’est là, le meilleur moyen de soutenir l’entreprise nationale, à condition toutefois que cela s’effectue dans le cade d’un pacte social pour booster les secteurs prioritaires et ceux à forte densité d’emploi (industries lourdes, métallurgie et autres, parents pauvres de l’industrialisation en cours dans le pays).

   A ce propos, il est temps pour le pays d’avoir son indépendance industrielle, au lieu de continuer d’importer énormément de produits finis, a-t-il dit, soulignant aussi la nécessité pour le pays de revoir son système d’importation et en particulier ses accords de libre échange qui lui sont tous défavorables et ce dans le but d’accorder la préférence au Maroc et aux produits marocains en appelant à consommer marocain.

Loin de toute vision manichéenne, Benabdallah a fait remarquer à son interlocuteur qu’en appelant au renforcement du rôle de l’Etat à  l’investissement public, le PPS considère que seul l’Etat possède en l’état actuel des choses les moyens d’injecter de l’argent dans  l’économie nationale pour qu’il y ait suffisamment de liquidités et pour que l’entreprise nationale puisse en tirer profit à temps, en particulier les entreprises qui participent aux marchés publics.

Il a toutefois rappelé la nécessité d’encadrer le soutien aux entreprises nationales à travers un pacte social à adopter, estimant indispensable pour l’Etat d’adopter des mesures de soutien dans un certain nombre de secteurs porteurs d’emplois (industries, bâtiment, numérique, etc…) et de prévoir une clause, selon laquelle l’entreprise peut bénéficier de son soutien en contrepartie de l’emploi à préserver. Car après tout, ce soutien n’a pas pour but de contribuer à l’enrichissement des entrepreneurs et à l’augmentation des dividendes à distribuer, mais à la promotion de l’emploi.

Dans le cadre de ce pacte social, il importe aussi d’associer les autres acteurs sociaux dans le but de préserver la paix sociale, à charge d’avoir la garantie que la situation des travailleurs s’améliore et qu’ils soient inscrits à la CNSS et que l’on va progressivement vers la couverture sociale universelle et vers l’AMO.

Même le patronat en a pris conscience. La solution libérale qui consiste à donner de l’argent à l’entreprise sans condition est improductive.

Dans le cadre de cette action, il importe aussi de mettre l’Homme au cœur de l’œuvre de développement et d’œuvrer pour lui préserver sa dignité, améliorer sa santé et lui assurer une meilleure éducation à travers le soutien de l’école publique : école de l’égalité des chances et le relèvement du niveau de l’enseignement, de la recherche scientifique et de l’université.

Il importe aussi de soutenir le système de santé, mettre en place la couverture sociale universelle, a-t-il dit, estimant que sans cela, le Maroc ne va pas aller loin et que l’on va croire que l’on se développe mais uniquement pour une couche limitée avec une précarité qui touche 50 ou 60% de la population comme cela vient d’être mis à nu par la présente crise de la pandémie.

M’Barek Tafsi

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