«Revitaliser et répondre aux besoins de la standardisation de la langue amazighe»

Entretien avec le chercheur Khalid Ansar

Propos recueillis par  Moha Moukhlis

Khalid Ansar est titulaire d’un en Doctorat National (Université Med V, Agdal, Rabat – 2005). Actuellement, il exerce comme Chercheur au Centre de l’Aménagement Linguistique à Institut Royal de la Culture Amazighe. Il a collaboré à la publication de plusieurs ouvrages dont le «Dictionnaire général de la langue amazighe» (IRCAM – 2017), «Vocabulaire grammatical de l’amazighe: application phraséologique» (IRCAM – 2011), «Vocabulaire des médias» (IRCAM – 2009).

C’est aussi un formateur en langue amazighe et a assuré plusieurs missions au niveau national et à l’étranger, dans le cadre de ses recherches et contributions dans le domaine de la langue amazighe.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur des aspects «techniques», phonologiques de la langue amazighe?

Tout d’’abord, mon intérêt pour la phonologie, discipline qui étudie la structure des sons d’une langue, découle d’une passion pour le fonctionnement de la langue amazighe, sa structure morpho-phonologique, la façon dont les sons sont concaténés pour donner du sens ainsi que la nature des règles qui régissent la phonotactique de cette langue. La phonologie est une science dont l’objet est l’étude du noyau sonore d’une langue comme l’amazighe. Elle fait donc partie des disciplines qui s’intéressent à la structure de la langue, tout comme la morphologie, la sémantique et la syntaxe. Les disciplines périphériques qui étudient la langue dans son rapport à la réalité extralinguistique comme la sociolinguistique, la linguistique historique, la psycholinguistique, entre autres, ne sont pas moins importantes. Cependant, sans une bonne maîtrise de la structure interne de la langue, il ne peut y avoir de recherche de qualité dans ces domaines-là. La maîtrise des disciplines linguistiques de base est donc une condition nécessaire pour l’étude de la langue de l’intérieur comme de l’extérieur.

Par ailleurs, l’étude de la langue de l’intérieur est  d’une importance capitale pour la planification d’une langue. La situation de l’amazighe au Maroc montre bien l’utilité d’une telle planification. En tant que chercheur à l’IRCAM, ma connaissance de la structure sonore de l’amazighe a été bénéfique pour l’entreprise de standardisation et de planification.

Quel est l’apport de votre travail dans le domaine de la recherche linguistique amazighe?

La recherche en linguistique amazighe est d’une importance et utilité primordiales, en particulier dans la conjecture actuelle où la langue connaît beaucoup de changements. C’est pourquoi mon travail «Sibilantes en amazigh» est à considérer comme une contribution importante à l’étude de la structure phonologique de l’amazigh et à la compréhension d’un certain nombre de phénomènes phonologiques qui n’ont pas suscité suffisamment d’intérêt dans la littérature. La principale innovation de mon travail consiste en deux points. Le premier est l’étude de l’interaction de deux phénomènes qui n’ont pas été étudiés conjointement auparavant : la spirantisation et le principe du contour obligatoire.

L’interaction de ces deux phénomènes entraîne toute une série de phénomènes phonologiques qui peu étudiés jusque-là dans la littérature en raison des difficultés qui y sont associées. Cette interaction explique certaines des incohérences liées à la spirantisation dans l’amazighe des Ait Bouyelloul et ailleurs, et montre les contraintes qui conditionnent la spirantisation des dorsales. Le deuxième point est l’étude de l’interaction de la spirantisation et du PCO (Principe du Contour Obligatoire) selon la théorie de l’optimalité, qui est l’une des approches théoriques phonologiques les plus récentes.

L’utilisation de la Théorie de l’optimalité en elle-même a donné lieu à toute un éventail de résultats importants. Le cadre théorique de l’optimalité a mis en lumière les relations qui existent entre de nombreux processus phonologiques et qui ne semblent pas être liés à première vue. D’où l’intérêt de cet ouvrage qui contribuera certainement à mieux comprendre les deux phénomènes de spirantisation et du PCO. C’est là, un des apports les plus importants de ce travail.

Quels sont vos futurs projets?

Deux projets intéressants guident mes recherches futures. Le premier est la continuation du travail phonologique que j’ai entrepris ces dernières décennies, c’est-à-dire la poursuite des recherches sur la spirantisation et le PCO. Les phénomènes de spirantisation et du PCO méritent d’être analysés et étudiés de manière plus approfondie dans d’autres variétés amazighes. Un travail comparatif doit être entrepris afin de mieux comprendre ces phénomènes. Je mène actuellement des recherches sur le phénomène de spirantisation dans certaines variétés rifaines. L’idée maîtresse est de comprendre comment ce phénomène fonctionne dans les différentes variétés amazighes, c’est-à-dire ce qui est partagé et ce qui est variable entre les variétés amazighes. L’autre projet consiste à mener des recherches sur la terminologie amazighe, à la fois en préparant des vocabulaires amazighs spécialisés, et en menant des recherches sur l’acceptabilité de la terminologie amazighe par les utilisateurs marocains. L’acceptabilité de la terminologie amazighe est parmi les aspects qui méritent d’être investis. Cela m’intéresse en tant que chercheur au Centre de l’Aménagement Linguistique à l’IRCAM. J’ai participé à l’élaboration d’un certain nombre de lexiques sectoriels, et il serait intéressant de savoir pourquoi certaines propositions terminologiques ne sont pas consacrées par les usagers.

Votre dernier mot?

Enfin, étant donné l’étiolement que la langue amazighe a connu au cours de plusieurs siècles, je pense qu’il est nécessaire d’entreprendre plus de recherches cohérentes sur la structure de la langue amazighe. Ces recherches sont indispensables pour revitaliser et répondre aux besoins de la standardisation de la langue amazighe. Il est donc de la responsabilité de tous les chercheurs en linguistique amazighe, y compris moi-même, de continuer à mener des recherches sur la structure de la langue, ses volets phonologique, morphologique, syntaxique et sémantique.

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