Une musique picturale mystique

Larbi Slith

Par M’barek Housni

À Mogador, Larbi Slith passe pour être l’un des grands regrettés de la scène plastique locale. Il est l’inoubliable par excellence, celui que tout artiste cite et loue. Il a vécu et a peint dans un seul mouvement, sans distinction. Il fut de toutes les aventures artistiques, à commencer par la plus célèbre, celle liée foisonnement artistique lié au mouvement hippie mondial dans sa version souirie.

Un portrait de lui croqué par son ami l’artiste Sanoussi le montre avec un regard franc au-dessous des pommettes saillantes et chevelure abondante et libre. Un portrait qui appartient à ses temps révolus où la ferveur pour la peinture lui fut déclarée.

Ses toiles connues sont dispersées un peu partout, dans des lieux publics et chez des galeristes. Il fut un précurseur particulièrement inspiré. Il a expérimenté tôt des thèmes devenus « monnaie courante » à Mogador : murailles, haiks et autres sujets sociétaux, ainsi que des sujets plus « savants » telle la calligraphie arabe, mais en suivant une vision artistique prore, et non comme motifs exotiques. Il a créé en peignant, en étant guidé par une verve mystique visible.

Trois tableaux de lui qu’on a pu admirer le montre clairement. La calligraphie arabe, liée aux versets coraniques y est présente dans un espace ayant une teinture qui fait penser aux tablettes des élèves des écoles coraniques. L’emprunt, malgré son importance en tant que motif, est rejoint par d’autres emprunts afin de créer un ensemble dont la lecture fait ressortir un sentiment de béatitude.  Et dans le regard,  et dans l’impact émotionnel. L’écrit ici nous fait penser à la révélation majeure du Cheikh Akbar Ibn Arabi pour qui les lettres sont des êtres doués de vie et des véritésublimes .

Dans un premier tableau nous fait face, en son centre, un trou sombre ouvert sur le côté telle une grotte dont un partie de l’ouverture est érodée, et en bas une série de mots et de phrases placés là faisant penser à une partie d’un vieux manuscrit ou un reste d’un document religieux de juriste. Par contre, dans un deuxième tableau, c’est une forme circulaire où domine de la clarté, une blancheur éclatante. Et en bas, là aussi, une série de graphies coraniques.

L’écriture fait-elle accéder aux mystères qu’elle invoque et essaie de résoudre ? C’est ce que semble nous inspirer ce vis-à-vis insaisissable par un profane. Le noir total ou l’aveuglement total. Aucune alternative réconciliant comme si l’artiste nous met devant l’empire du secret divin. Et ce qui nous réconforte dans cette interprétation, c’est que un nombre impressionnant de lettres se détachent de la rondeur et des lignes basses, s’envolent et disparaissent petit à petit.

La tablette est évidente, peinte  presque à part dans une troisième toile révélatrice, colorée. Elle est posée à gauche avec ses inscriptions calligraphiques et ses dessins et ses symboles invocateurs comme on les trouve dans les talismans qui conjurent les sorts, guérissent ou font mal. Le blanc d’argile des tablettes est rendu de telle sorte qu’il reçoit l’écrit merveilleux.

Il éclaire en quelque sorte la partie droite du tableau en proportion plus grande où l’artiste met en scène la vie de la cité des alizés telle qu’elle se présente à lui. Son social, ses couleurs et ses accointances diverses.

Des femmes aux haiks prises dans des portes aux arcades qui les encadrent, corps à  corps, chaires et pierres. Une muraille en partie. Une tour isolée, des ondulations par-dessous figurant des vagues qui ne sont pas bleues, les contours de portes en arcades dont les extrémités semblent fondre et finissent en pointe d’un côté, et s’estompent nets et bien tracés de l’autre.

Des couleurs essentielles : rouge, bleu, jaune, bien valeurs. Du noir et du brun incorporant ici ou là la brillance de leur pigmentation luisante. On est là devant un tableau qui en renferme presque deux autres superposés,  mais décalés l’un par rapport à l’autre, et la ligne de jointure agit comme une limite et un passage en même temps. C’est le propre du mysticisme que d’embrasser un tout en une unité d’existence sereine, mais pleine de tout ce qui confère à celle-ci son étendu dans l’âme après la vision.

La vision des tableaux peints qui permettent l’accomplissement sentimental requis vers les sphères hautes.

C’est d’un spiritualisme promotionnel vers l’accession de la plénitude  contemplative que part cette peinture de Larbi Slith, née de l’accouplement de l’ambiance architecturale souirie et de l’ambiance  des milieux liés à l’apprentissage de la vie par le fait empreint de religieux.

Une peinture qui fait appel au sacré et le traque dans ses manifestations visibles dans le médina qui se dresse à la hauteur de l’expérience de vie.

Larbi Slith, qui était aussi musicien est un soufi de la peinture. Ses œuvres justifient pleinement la célèbre citation de Henri Matisse : « il faut que le peinture serve à autre chose que la peinture »

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