Enjeux et défis pour le Maroc (2e partie)

Du  webinaire  à la web-TV universitaire

Youssef Ait hammou*

Voici la deuxième et dernière partie de la contribution de notre ami Youssef Aït Hammou, enseignant universitaire, au débat sur la thématique «Du  webinaire  à la web-TV universitaire», dont la première partie a été publiée dans notre édition de la veille.

Problèmes pédagogiques

Pour apprendre au moyen du webinaire et de l’enseignement-apprentissage à distance, il est nécessaire, voire vitale de désapprendre : d’abord, désapprendre les habitudes et réflexes du présentiel; ensuite, désapprendre les rituels sauvages du divertissement numérique (Facebook, Youtube, Wathsapp). Le webinaire impose un changement de paradigme tant au niveau épistémique qu’au niveau éthologique et redonne une autre définition du temps et de l’espace éducatifs. Le webinaire est donc à la fois en rupture et en continuité avec la pédagogie traditionnelle. Désapprendre est le tribut  à payer pour conquérir ces nouveaux modes de transmission des connaissances. Le webinaire requiert en fait toute une autocritique de l’enseignement traditionnel, voire une refonte générale de la communication et des institutions pédagogiques.

En neuro-pédagogie, le webinaire modifie le rôle des neurones miroirs et de ce fait redéfinit l’empathie, la motivation, l’identification aux comportements exemplaires, et l’investissement pour le savoir. L’absence de la communication tactile et l’exclusion de la coprésence hic et nunc provoquent un sentiment d’isolement et impliquent une distance fâcheuse avec le savoir. Les informations médiatisées et captées par l’apprenant ne sont plus analysées, résumées, synthétisées, inscrites dans le moule de l’argumentation. Elles sont perçues comme les spectacles des écrans télévisées ou numériques. Cette inhibition ne favorise plus l’appropriation du savoir et des méthodologies de la recherche et ne stimule plus le désir d’apprendre. Et, de ce fait, le ludique et les loisirs l’emportent sur l’épistémique et sur l’attention salutaire, réduisent la prédisposions à relever les défis et l’adversité et aboutissent à l’échec de la communication pédagogique.

C’est la finitude du cours en présentiel qui lui confère valeur et estime de la part des apprenants; la disponible de flux d’informations sur le net dévalue le savoir et déprécie l’exercice de la recherche de la vérité. L’absence du professeur et l’invisibilité de l’auditoire modifient la perception axiologique des savoirs délivrés.

Deux pédagogies sont en concurrence au Maroc aujourd’hui : (i) celle du présentiel et de la proximité ; de l’ici et maintenant, du connu, de la communication tactile, de l’incarnation du savoir, de la gestion de l’imprévisible et de l’aléatoire (ii) et celle de l’absence et de la distance, du là-bas  et ailleurs, du lointain, de l’inconnu,  de la communication électronique audio-scripto-visuelle, de la désincarnation du savoir, celle du prévisible abruti. Au nomadisme du corps s’oppose dorénavant le nomadisme de l’esprit numérique. Ces deux pédagogies se superposent, sur le plan social, à la distinction hiérarchique entre non-sciences (enseignées par les moyens traditionnels) et sciences (enseignées par les nouvelles technologies), à l’opposition entre périphéries dévalorisés et centres valorisés…

Sur le plan pédagogique, plusieurs collègues et l’auteur de ce papier ont relevé les dysfonctionnements et couacs suivants : difficulté d’évaluation de l’humeur et de la motivation des apprenants, difficulté de procéder à une évaluation fiable des connaissances vu que les apprenants ont la possibilité de tricher, l’absence de feedback exclut la possibilité de remanier et d’adapter le cours,  l’absence de l’autorité physique du professeur peut être source de relâchement et de distraction chez les apprenants, centralité de la parole et de l’oral, réduction au minimum des interactions verbales et sociales, difficulté de vérifier la participation effective des apprenants au webinaire…Les pédagogies du groupe et différenciée, et la pédagogie de l’erreur se trouvent négativement impactées.

Problèmes éthiques

Tout usage d’Internet laisse des traces indélébiles et contribue à la construction de l’identité virtuelle de l’internaute. De ce fait l’anonymat sur le web est un leurre et la discrétion une utopie. Et puis, ce sentiment d’ubiquité, l’expérience de la reproductibilité technique de l’image de soi et la cacophonie qui en est le corolaire  sont susceptibles de provoquer un vertige numérique inédit, et une perte notoire des repères et des valeurs. Nos jeunes, qui n’ont jamais bénéficié d’une réelle éducation aux médias ni en milieu scolaire ni en milieu non scolaire et qui sont jetés en pâture aux médias, se trouvent démunis face aux géants du numérique et désorientés face aux cascades d’informations et d’opinions qui déferlent sur eux à chaque minute. Ils ont le sentiment de vivre dans une jungle. Chacun pour soi. Dieu pour soi!

L’éducation aux médias et au multimédia constitue sans doute le tremplin nécessaire pour accéder à l’agora numérique et pour s’orienter dans la sémio-éthique et la techno-éthique de la société de la connaissance.

Notre enquête auprès des usagers du webinaire et de l’enseignement à distance a pu montrer que l’éthique et la déontologie du numérique constituent  un champ vaste et diversifié qu’on peut réduire à deux dimensions :

  • (i) Celle du contenu du webinaire où la morale en vigueur interdit tout message faisant l’apologie de la déviance et de la délinquance (pornographie, drogue, crime, extrémisme, racisme…) et tout contenu douteux (Fake news, désinformation, plagiat, droits d’auteur…) ou médiocre…Un webinaire , inscrit dans les institutions étatiques pour l’enseignement, doit promouvoir les valeurs humaines, humanistes et sociales (droit au savoir et à l’éducation, respect de l’étudiant, impartialité, équité…).
  • (ii)Celle de l’expression et de l’énonciation du webinaire, lieux des comportements pouvant entacher la e-réputation des participants ou webinaristes. Le signifiant formel du webinaire se compose d’interactions à la fois verbales, non verbales et  para-verbales…

L’usage du numérique en pédagogie universitaire et scolaire est le lieu de plusieurs confusions et désordres : (i) La confusion entre loisirs et travail : dans l’imaginaire populaire marocain, la première fonction du numérique en milieu domestique est associée aux loisirs et au divertissement. Or, l’Ecole est le lieu du travail sérieux par excellence. La confusion nait du fait que le divertissement est  symboliquement beaucoup plus fort que le labeur. Et de ce fait, il existe toujours le risque que les apprenants transposent en milieu scolaire les comportements sauvages liés à la spectacularisation du numérique et  à l’usage abusif de Facebook, de Wathsapp, de Twitter, de la télévision populaire. En outre, la nouvelle homonymie des lieux du travail et de l’habitation est susceptible d’engendrer des troubles psychologiques et des désordres axiologiques… (ii).

La confusion entre spectateur et acteur : certains enseignants et apprenants se comportent, durant les séances du webinaire  comme des spectateurs  et ont tendance à oublier qu’ils sont d’abord des acteurs et des personnages filmés et enregistrés. (iii) Confusion entre sphère privée et agora numérique : par accident ou consciemment, certains webinaristes n’hésitent pas à dévoiler l’intimité de leur foyer privé. Sur le plan vestimentaire, au niveau de la coiffure, certains enseignants donnent l’impression d’être dans un espace intime et semblent  ignorer que la caméra est du domaine public. C’est cette équivalence entre le «je» écranique et le «je» ontologique qui crée le trouble et le désarroi…Du point de vue moral, l’activation de la webcaméra bascule l’individu dans le domaine public et lui interdit de révéler son intimité.(iv) le webinaire :prothèse ou prolongement ? : l’histoire des outils didactiques se compose de quatre périodes: celle de l’écrit et des manuels, celle de l’image fixe (photographie), celle de l’image animée sonore (cinéma, télévision), et celle du multimédia en ligne ou hors ligne. Le webinaire est un prolongement naturel des technologies de la communication audio-scripto-visuelles précédentes.

Or, au Maroc, aucune de ces technologies de l’image et du son n’a réussi à s’implanter en milieu éducatif de manière durable et systématique. De ce fait, le webinaire est vécu par les instituions éducatives marocaines comme une prothèse, un corps étranger qui ne répond à aucun besoin ou nécessité. Toutefois, il faut faire le départ ici entre le webinaire illustratif, prolongement d’un cours en présentiel et le webinaire substitutif qui remplace totalement le cours en présentiel.(v)Le risque majeur qui menace l’image du professeur  dans la culture écranique consiste à le confondre avec les vedettes du showbiz (politiciens, sportifs, acteurs, chanteurs…)… Autrement dit, les étudiants et l’opinion publique auront tendance à transférer les attitudes du spectacle télévisé dans la sacrosainte institution universitaire…

La doxa universitaire

Au lendemain de la déclaration de l’indépendance du Maroc, l’université jouissait du prestige d’être la locomotive innovante et visionnaire de la société. Mais, de nos jours, et particulièrement en matière d’art, de technologies de la communication et d’images, elle est plutôt à la traine comparativement  à une société passionnée de gadgets écraniques et d’immersion virtuelle. Les artistes et les leadeurs des Start up de la communication naissent et évoluent en dehors d’une université gangrénée par les dogmes du conservatisme et par la phobie de l’innovation créatrice et insoumise.

L’université marocaine s’ouvre lentement mais surement sur les nouvelles techniques distancielles déjà installées dans la société (réseaux sociaux, streaming,  serious game, web conférence…).

L’enjeu crucial pour l’université marocaine actuelle consiste à trouver les stratégies nécessaires et suffisantes à la fois pour s’adapter à la société de la connaissance et pour transformer les réseaux numériques de la bêtise et de la platitude consensuelle en réseaux pensants, intelligents et dotés d’entendement et d’esprit critique.

Dorénavant, à la pensée universitaire classique, domaine de la parole et du livre comme outils d’enseignement et de transmission, doit s’ajouter progressivement une pensée universitaire virtuelle, universelle, fondée sur les pixels et sur les datas.

La doxa universitaire, dont parlait P. Bourdieu, qui a déjà su intégrer dans son obsequium, des oppositions entre sciences dures et sciences molles, entre œuvres classiques et œuvres jetables, entre disciplines pures( philosophie, mathématiques) et disciplines impures( chimie, géographie…), littéraire/scientifique,  est appelée par la force des choses à assimiler aussi des oppositions nouvelles entre présentiel/distanciel, distanciel partiel/distanciel complet, écranique/non écranique, pédagogie/anti-pédagogie, sphère privée/agora numérique, local/global, ouvert/fermé,…

Le paradigme de la connaissance via le webinaire exige une pédagogie de l’enseignement et de la recherche capable de synthétiser l’épistémique, l’esthétique et l’éthique, d’anticiper les mutations incessantes de la technique et surtout d’abolir les cloisons qui ghettoïsent injustement les facultés et les disciplines.

C’est sans doute dans ce sens que la nouvelle pédagogie construite autour du numérique n’admettra jamais l’exclusion des humanités digitales, des arts et de la culture…Elle est surtout  allergique à tout type de formation/déformation qui a tendance à fabriquer des «esprits mutilés», exagérément spécialisés,  et qui se base sur une définition mutilée de la culture (P. Bourdieu) : « dans un système dominé par les sections scientifiques…/qui/produit des esprits mutilés qui, sauf exception liée à une origine sociale favorisée, peuvent être privés de la conscience de la privation qu’on leur a fait subir en leur imposant un enseignement purement scientifique/…/»(voir colloque « l’université au défi de la culture»Toulouse 1990).

La bienséance et l’élégance académiques stimulent et encouragent la polyvalence, la pluridisciplinarité, l’innovation l’auto-évaluation, l’ouverture sur le monde, l’exploitation des potentialités de l’ancien pour bâtir du neuf ,la conviction que la connaissance est une quête inachevée, toujours renouvelée, l’esprit de vulgarisation en vue de la démocratisation de la culture auprès des plus démunis, l’humilité des connaisseurs, l’esprit de la création collective, le respect des droits de l’homme et des droits d’auteur…

Les digital humanities

Le webinaire est en fin de compte un support technique et sémiotique pouvant véhiculer des contenus scientifiques, juridiques ou littéraires. Il figure parmi les outils des « digital humanities », cette convergence de l’Internet et des sciences sociales et humaines.

Le webinaire est un fidèle héritier des médiacritiques littéraires à la télévision (Apostrophes, Bouillon de Culture de B. Pivot, lectures pour tous de P. Dumayet, Macharif sur Al Aoula, Annakid sur 2M…), des cours universitaires filmés de par le monde (Abécédaire DE G. Deleuze, C.Levi-Strauss…), des télévisions éducatives, des chaines thématiques (Arte, BBC Knowledge, National Geographic, Science et Vie TV, Universciences TV…). Il en pérennise le contenu, l’esprit critique, la méthodologie inventive, les stratégies de médiation…

Mais, au Maroc, le webinaire universitaire n’est malheureusement le prolongement d’aucun programme ou institution audiovisuels conçus par et pour le supérieur. Ce qui lui donne le statut  aux conséquences néfastes de prothèse étrangère au corps académique marocain ; et cela permet de comprendre les attitudes réfractaires ou indifférentes en milieu universitaire à l’égard de toute technologie de la communication audiovisuelle et numérique.

Toutefois, il semble nécessaire d’insister sur le fait que le web est une formidable mine d’informations pour toutes les disciplines universitaires : livres, vidéos, articles, sites…l’offre culturelle n’a jamais été si forte et si diversifiée. Toutefois, il faut nuancer les propos élogieux du web étant donné que les publications de certaines recherches de pointe restent élitistes, payantes ou interdites pour les pays du Sud.

La web TV universitaire

La mutation actuelle du paradigme universitaire (formation, recherche) est l’opportunité et la manne pour favoriser  l’intégration de la culture écranique, de la communication iconique, des algorithmes de l’intelligence et surtout  pour résoudre les problèmes de la massification de l’enseignement, de la carence de l’encadrement, de la déperdition et l’échec universitaires, et pour s’approprier les bienfaits de la mondialisation de la connaissance.

La télévision, la Web-TV, la radio universitaires tirent leur légitimité et leur pertinence à ce niveau (voir les travaux de  J. Cazeneuve  sur la télévision universitaire). Ces nouveaux médias, loin d’être un luxe ou une mode futile, s’imposent comme une nécessité épistémique, pédagogique et culturelle incontournable. Ils obéissent à trois finalités majeures : d’abord, ce sont de formidables espaces d’expression de l‘identité universitaire ; ensuite, ce sont des lieux de recherche et de formation où circule la sève de la pensée et de l’intelligence ;puis, ils constituent des outils pour l’expression artistique et culturelle des étudiants, et enfin, ils permettent  aisément la démocratisation et la pollinisation du savoir en élargissant le cercle des connaisseurs (selon l’expression heureuse de B.Brecht).

De plus, il faudrait avouer que les nouveaux médias numériques  permettent nécessairement de révéler, d’expliciter et d’évaluer le patrimoine matériel et immatériel de l’université marocaine. Celle-ci a terriblement besoin d’une mémoire numérique efficiente.

Mais, le véritable enjeu d’une web-Tv universitaire, si jamais elle a la chance de voir le jour, consiste, pour éviter tout malentendu,  à s’éloigner, à faire distance avec les médias populaires officiels (RTM, 2m). La diffusion de cours universitaires sur la chaine Arriyada par une université marocaine a offusqué l’opinion universitaire et a été vécue comme un acte blasphématoire (le savoir sur une chaine de foot, on aura tout vu, réduction du temps universitaire à une demi-heure médiatique). Il en est de même de la prétendue «première web TV universitaire au Maroc» de Rabat qui reste élitiste et très éloignée du patrimoine universitaire marocain.

La WebTV est une sorte d’arbre dont les feuilles, les branches, les racines sont constituées d’algorithmes, d’écrans, de sons, de scénarios et dont les frontières franches et rigoureuses la séparent des médias publics.

Pour se convaincre de la légitimité et des vertus des web TV, plusieurs exemples s’offrent à nous :  Canal U et les web-TV françaises (Limoges, Strasbourg, Nantes, Lille, Universciences…) ou belges ( ULG TV, UMONS TV…), Educ ARTE, Cours Lumni, BBC Knowledge (Angleterre), NHK TV éducative (Japon), Academia.edu…

La pédagogie numérique universitaire : enseigner autrement

Le nouveau paradigme de l’université marocaine abandonne progressivement la pédagogie du corps et de l’espace, les compétences intra muros et se construit principalement autour de la didactique numérique et virtuelle,  sur l’usage pédagogique et académique du digital, sur le télé-enseignement,  sur l’écran comme vecteur culturel et comme valeur culturelle et sur les valeurs de l’invention, de la découverte, de l’altruisme, de la bienveillance, de l’égalité des chances.

A ce niveau, tout est bouleversé : la gestion administrative, le contenu des cours, la scénarisation pédagogique de la transmission, la pédagogie de la recherche, l’évaluation et la docimologie, les activités parascolaires…

Après avoir raté durant les années 1990 le rendez-vous avec la pédagogie audiovisuelle (cinéma, radio, télévision), l’université marocaine est appelée à relever le défide la révolution copernicienne suscitée par le numérique ( Mooc, webinaire, Google meet),  l’hypermédia,  la distance,  la complexité (au sens d’E. Morin),  l’intelligence collective où le savoir et l’art sont intimement liés, où le programmateur, le penseur, l’artiste vidéo et l’éducateur travaillent désormais sous la même coupole. Relever le défi ne signifie nullement la fétichisation ni l’idolâtrie de la technologie numérique. Les technologies de la distance s’accompagnent toujours d’une distanciation intelligente.

Et étant donné que l’histoire des pédagogies est cumulative (voir Histoire des méthodologies de C. Puren), la pédagogie numérique et de l’écran, nouvelle langue vernaculaire chronophage,  ne vient pas remplacer ni néantiser les anciennes pédagogies de l’oral et du livre, mais plutôt resituer le rôle et la pertinence qui leur échoient au sein de l’université. A la pédagogie de l’obéissance verbo-centriste vient s’adjoindre celle du doute et de l’insoumission construits autour du numérique, celle de l’esprit critique face au flux incessant des informations. Le webinaire et la webTv et l’enseignement à distance favorisent toutes les conditions nécessaires à la pédagogie de la désobéissance (insoumission à la dictature du diplôme), de la responsabilité et de l’autonomie de l’apprenant  et du chercheur (modalités synchrone /asynchrone, tutoré/non tutoré). Nous sommes à l’ère de l’élargissement du cercle des connaisseurs (B. Brecht) et des héritiers novateurs (R. Debray) prêts, dans leur apprentissage et leur recherche (Academia.edu),  à apprivoiser l’inconnu sans omettre de réarranger le connu, ce qui existe déjà. Le nouveau paradigme de la pédagogie universitaire n’est nullement en rupture totale avec l’ancien. La boutade de St Exupéry dans Terre des hommes illustre parfaitement cette situation : «Pour saisir le monde aujourd’hui, nous usons d’un langage qui fut établi pour le monde d’hier». Et en suivant Joseph Schumpeter, nous  sommes tous  des adeptes de la « destruction créatrice».

Conclusion

A ce stade de la réflexion, on pourra dire que le défi que l’université marocaine est appelée à relever ne se limite pas à maitriser la techné numérique, mais aussi à s’immerger dans tout l’écosystème culturel qui l’entoure afin d’en faire un allié de développement et d’innovation. Pour s’intégrer au nouveau paradigme de la connaissance et de la complexité, et pour bénéficier des vertus de la pédagogie numérique, l’université marocaine devrait , non seulement investir dans l’humain et dans le citoyen numérique, mais aussi mettre au centre de ses priorités les valeurs de l’universitas:  une formation pluridisciplinaire et kaléidoscopique de l’étudiant  à la conquête de la connaissance où la science, l’art, l’économie, la loi, la technique cohabitent en toute harmonie et où le savoir et la saveur de sa transmission sont des rituels et des prédispositions  qui favorisent la création et la pollinisation des biens bénis de la pensée. La manière d’enseigner (la pédagogie) est aussi importante que le savoir délivré : «Dans la pratique d’un sage ou d’un savant, les Arabes avaient coutume de distinguer, comme le rappelait Massignon, entre le ‘ilm, la science, et le adab, la manière dont elle est livrée». (Bourdieu P,idem). C’est le prix à payer pour s’intégrer sans se désintégrer dans l’univers du webinaire et de l’enseignement à distance, et dans la civilisation de la connaissance.

De plus, les enjeux et défis mondiaux imposent à l’université marocaine d’oser l’exploration des images comme outils de connaissance et de culture : la webTV, le patrimoine cinématographique universitaire ne sont plus un luxe futile, mais les garants et les ferments d’une pédagogie universitaire moderne, inventive, ouverte, et compétitive….

Le changement de paradigme pédagogique (le MUN, Maroc Université Numérique) ne peut réussir ni acquérir de la valeur ni donner ses fruits en l’absence d’une réflexion méta-pédagogique, épistémologique, sociologique et neuro-pédagogique et en dehors des humanités qui en humanisent  la teneur et le propos. La grande menace qui guette cyniquement tout projet de pédagogie universitaire est bel et bien celui de la marchandisation du savoir et de l’éducation. Le changement de paradigme risque à tout moment de transformer l’éducation et la recherche universitaires en produits commerciaux sans âme. (Fin)

*Université Cadi Ayyad–Marrakech

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