Jubantouja est inspiré du Roi de la Maurétanie Juba II

L’étoile montante de la musique urbaine marocaine

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

La musique a un pouvoir magique  et mystérieux sur les âmes et les esprits. Que valent alors les vies sans la poésie, les sonorités, les rythmes, le verbe ? Rien, absolument rien. Au-delà  du côté acoustique et festif, la musique est un moyen de transmission des valeurs, de préservation des cultures, des langues, des rites et des mœurs. Ainsi, le projet de Jubantouja qui  est  un nouveau souffle frais et inspirant dans la musique urbaine marocaine a essayé de donner un son à la poésie amazighe réfléchie par la musique. Ainsi l’un des objectifs du groupe, nous confie Ayoub Aka, leader du projet Jubantouja, est  de « donner un nouveau regard à la musique urbaine marocaine et à la musique amazighe en particulier mais tout gardant la signature de la poésie amazighe dans les textes ».

Pour le jeune artiste, il est temps de travailler sur notre culture, car les gens du monde entier méritent de goûter et de découvrir la beauté de ce que nous avons dans notre culture. Entretien.

Al Bayane : Tout d’abord, que veut dire Jubantouja ?

Jubantouja est inspiré du Roi de la Maurétanie Juba II. En outre, Touja signifie le sommet d’une colline. Ma famille était des nomades des montagnes du Haut Atlas central qui  pratiquaient la transhumance de la région de Ouarzazate vers les hauts plateaux et les vallées du Haut Atlas central et montagnes. Ils ont pris un sommet de collines pour leur Igherm dans ma vallée, et ils s’appellent Ayt Touja depuis ce Temps (les personnes âgées de ma vallée m’appellent YUB au lieu de Ayoub, et qui avaient YUB comme nom et cela a quelque chose à voir avec Youba ou Juba).

Parlez un peu de vos débuts dans le monde de la musique. Votre père, musicien, avait-il influencé vos choix musicaux ?

Jubantouja est une histoire d’inspiration de mon père et de son groupe local qu’il a fondé quand j’étais enfant. Par ailleurs, j’ai été inspiré par lui et son groupe, et j’ai appris le banjo avec lui, je jouais parfaitement de la musique tassousit et tazenzart (à cause de l’ambiance où j’ai grandi au milieu des montagnes du haut atlas. J’avais trop de musique dans les oreilles avec mon grand-père quand il invitait Rways chez nous pour jouer. Ainsi, avec Ahwach dans mon village et avec ma famille à la maison, on adore la musique.

Quand j’avais 13 ans, j’ai dû déménager avec ma petite famille pour continuer mes études dans la ville principale de ma région Azilal. C’était en fait mon premier contact avec internet et la civilisation. C’était ma première fenêtre sur ce qui se passe à travers le monde, car  j’ai découvert de nouvelles musiques.

Quelles musiques écoutiez-vous à l’époque ?

J’étais curieux de la musique moderne marocaine. J’ai découvert aussi Ali Faiq et son groupe Amarg fusion pour la première fois et j’étais super content pour la qualité de leur musique, et la puissance de leurs textes.

J’ai commencé à apprendre de nouvelles choses dans la musique le lendemain jour, et j’étais si actif à l’école dans les événements culturels.  J’étais animateur de radio dans la radio de mon école. J’ai essayé d’écrire et de composer. Dans ce cadre, j’ai écrit Amahboul pour la première fois à 15ans.  Tout a commencé alors avec cette passion de la musique et l’amour de notre culture ainsi que ce lien avec la terre et la nature.

Par ailleurs, j’ai commencé à composer mes premières chansons avec mon frère Chahid et nous avons joué pour la première fois en direct devant le public dans mon lycée. Par la suite, nous avons reçu un appel de Beni Mellal juste après le spectacle pour jouer dans un événement à l’université. D’où le point de départ de ce rêve de JUBANTOUJA !

Parlez-nous de cette rencontre avec Yassin et Yasse, de  ce rêve musical ?

 J’ai rencontré Yassin et Yasser quand j’ai déménagé à Beni Mellal pour continuer mes études. Je savais que nous pouvions construire quelque chose ensemble parce que Yassin a le même parcours que moi, car son père joue aussi du banjo et de la guitare et c’est en plus un grand fan de Tazenzart.  Nous avons commencé à travailler sur tous les titres que nous avons enregistrés dans l’album. A vrai dire, nous savions exactement ce que nous recherchions et pourquoi nous le faisions. Bref, nous avions un objectif qui est plus que jouer de la musique.

Votre musique est un mélange entre les paroles amazighes et les rythmes puisés entre autres dans le Rock. En fait, comment définissez-vous exactement votre style musical ?

Il est si difficile de définir la musique que nous jouons, car elle ne se limite pas à un style de chant, mais c’est plus du Rock alternatif, de la musique indie et folk en général. Nous écoutons toutes sortes de musiques, c’est un bon moyen de comprendre profondément tout type de musique et s’inspirer davantage des sons, du rythme et des arrangements.

La musique n’a pas de limites lorsqu’elle est faite avec sentiments et passion. Toutefois, le projet de Jubantouja peut être considéré comme un nouveau projet dans la musique urbaine marocaine en termes de des sons et des textes, et c’était l’objectif principal du projet: donner un nouveau regard à la musique amazighe dans la scène moderne marocaine.

Pouvez-vous en dire plus ?

C’est du rock et du folk en général.  Au début tous les titres ont été composés et arrangés avec une version acoustique, mais nous voulions en outre donner plus de dynamisme aux sons. En effet, chaque effet est une nouvelle ambiance et une nouvelle sensation, car  les sons électriques nous aident à exprimer le sentiment que nous voulons transmettre dans les titres. En d’autres termes, nous avons essayé de donner un son à l’étonnante poésie amazighe pensée par notre musique.

Quelles sont alors les lettres de noblesse de votre album ?

Donner un nouveau regard à la musique urbaine marocaine et à la musique amazighe en particulier était l’objectif principal de l’album.  Nous avons également essayé de garder la signature de la poésie amazighe dans les textes, car chaque titre a beaucoup de choses à dire, et chacun peut l’interpréter à n’importe quoi en général. Par exemple, Amahboul parle de la vie dure des gens en montagne. C’est une vie difficile, surtout pour les enfants, les femmes et les jeunes. Dans le titre, ils n’ont pas plus d’options dans la vie, dans leur pays d’origine en raison de la géographie! Ils se déplacent toujours pour trouver d’autres options dans les villes pour leur avenir. Tout est question de ce voyage de vie de la montagne à la ville pour un avenir meilleur!

Il va sans dire que la musique amazighe connait, actuellement, une véritable effervescence et évolution, notamment avec des jeunes voix montantes et des groupes qui œuvrent pour la modernisation et l’universalisation de la chanson amazighe. Que pensez-vous alors de ce nouveau « mouvement » de jeunes talents portant la poésie et les chants amazighs traditionnels à d’autres univers plus vastes et internationaux ?

Je suis tellement fier des jeunes artistes marocains qui brillent sur scène. D’abord  pour leur travail incroyable dans la promotion de la poésie et de la musique amazighes à travers leur art. Je pense qu’il est temps de travailler sur notre culture. Ipso facto,  les gens du monde entier méritent de goûter la beauté de ce que nous avons dans notre culture.

Dans le vidéo-clip ‘’Nettat’’ ⵏⴻⵜⵜⴰⵜ, vous avez misé sur l’image et surtout sa beauté. Est-il un choix esthétique visant à faire sortir la musique amazighe de cet aspect folklorique ?

Faire une bonne promotion pour le projet est une chose importante. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous consacrons toutes nos expériences en conception graphique et en gestion de contenu et marketing pour donner une image professionnelle complète à notre musique. Certes, c’est une partie importante de tout le processus ; donc tous les projets sont faits maison, et self-made avec des matériaux vraiment simples. Nous collaborons également avec des amis talentueux dans le cinéma et la photographie. Dans le clip de Nettat par exemple, nous avons essayé de donner un nouveau regard à l’image de la femme dans la musique.  Nous avons également essayé d’harmoniser les paroles avec les images. Les femmes ont toujours été une partie importante de notre culture, et c’est ainsi que nous avons essayé de donner l’image d’un être humain libre et créatif.

Que représente la poésie amazighe pour vous ? Et quels sont les poètes qui vous inspirent le plus ?

Je suis un grand fan de la musique Ahwach et Rways parce que tout simplement cela fait partie de moi et cela a toujours été, même maintenant, une chose vraiment intéressante pour tout le monde dans ma vallée.

C’est-à-dire ?

C’est plus qu’une danse folklorique, car elle a une improvisation de poésie d’une richesse culturelle incroyable!  Ça a toujours été une source d’inspiration pour moi.

En outre, nous avons essayé de donner un son à l’incroyable poésie amazighe grâce à notre musique.

Mririda N’aït Attik, la voix poétique amazighe rebelle,  vous inspire quelque chose ?

Mririda est une histoire tellement inspirante qui vaut la peine d’être racontée. D’ailleurs, c’est ce que nous avions prévu de faire dans notre futur projet ; raconter au monde entier Mririda et son histoire intéressante dans la vallée de Tassaout.

Vous avez pris part au Visa For Music 2020 et au programme Musika, la musique comme moteur du développement durable au Maroc, organisée par ANYA Music au Studio HIBA. Parlez-nous de cette expérience artistique ?

Visa For Music dans son édition numérique a été notre première expérience professionnelle. Nous étions super contents de faire partie de cette aventure parce que jouer en direct est une chose vraiment importante pour nous. C’est toujours un rêve de voyager avec notre musique et d’assister à de nombreux festivals. Or, nous avons également eu la chance de participer au récent programme de Musika lors de leurs séances de coaching et d’enregistrement. Ce fut une expérience tellement mémorable, car nous avons eu des visions claires sur notre projet ainsi que de nombreuses informations sur l’écosystème.

A votre avis, est-il facile aujourd’hui de produire de la musique au Maroc, notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie de la musique, où l’informel règne?

Il n’y a pas de limites! Nous pouvons tous produire et créer. Nous pouvons tous faire de grandes choses ; les montagnes et la géographie n’ont jamais été un obstacle pour nous. Auparavant, nous n’avions pas de matériaux, même maintenant nous en n’avons pas. Mais nous toujours essayons de faire ce que nous aimons faire avec passion et amour pour la musique et notre culture.  Il est vrai que faire de la musique au Maroc n’est pas un bon choix pour vivre, en raison de la fragilité de l’industrie, nous avons l’espoir d’un avenir meilleur pour la musique marocaine grâce à la technologie et à la numérisation, mais aussi au vaste mouvement de la musique urbaine marocaine.

Quels sont vos projets musicaux à venir ?

Nous travaillons actuellement sur un nouvel EP. Nous sommes toujours en train de travailler sur les conceptions, et il y en aura peut-être avec de nombreux autres jeunes artistes travaillant à la fois sur la musique amazighe et la musique électronique en termes de production.

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