2016: la défaite de l’intelligence

Sur quel bilan nous fêtons un nouvel an ? Peut-on  concentrer le rituel flashback de fin d’année sur le cinéma en dehors du climat général qui règne dans le pays et dans le monde ? Ne s’agit-il pas d’un même circuit d’images ? Celles du cinéma se nourrissant et réfléchissant les images du monde ? Ce ne sont plus alors des images innocentes.

L’un des livres marquants que j’ai lus l’année écoulée et l’opus du cinéaste Jean-Louis Comolli intitulé justement Daech, le cinéma et la mort. La violence de quelques images a fini par contaminer toutes les images ; voir la violence hyperstylisée de deux films marocains sortis en 2016 : les larmes de Satan et a mile in myshoes. On n’est plus dans le cinéma mais dans la repoduction d’un «certain cinéma» du monde

Je suis tenté dans cette perspective de rejoindre le constat établi  par nos confrères des Cahiers du cinéma, la revue parisienne qui relève sous la plume de son directeur  de rédaction : «nous sommes meurtris, car c’est la défaite de l’intelligence».  Un simple tour d’horizon nous montre que 2016 s’en va, nous léguant un champ de ruines. De grands cinéastes américains se disent atterrés par les résultats des élections présidentielles de leur pays qui ont mis à la tête de la plus grande puissance militaire du monde un businessman sans expérience ni dimension intellectuelle. Chez nous la classe politique offre un sinistre spectacle autour de la formation d’un nouveau gouvernement rendant dérisoire la réussite de l’exercice démocratique du 7 octobre.

Ici et là, des événements, des comportements mettent à nu les limites de nouvelles élites incapables d’offrir autre chose que la course au succès facile, à la posture et à la mise en valeur de l’égo. Au point qu’un philosophe canadien a rédigé un livre pour décrire la médiocrité généralisée qui sévit partout : les médiocres ont pris le pouvoir dit-il, dans la politique, l‘entreprise….A méditer.

C’est pour dire que le cinéma, tout compte fait, n’évolue pas dans un écosystème favorable. Au Maroc, la dépendance de plus en plus directe de l’organisme du cinéma (le CCM) du département de tutelle, à savoir le ministère de la communication s’avère désormais un handicap majeur. Il se trouve que le bilan de cette année écoulée coïncide aussi avec la fin du mandat de l’ex-ministre de la communication. Ces années  ne sont pas des années glorieuses pour cinéma marocain. Il n’est pas étonnant qu’il ait été élu dans une région où il n’y a plus de salles de cinéma depuis belle lurette. Déjà les professionnels du secteur regrettent ses prédécesseurs.

Mais au-delà du cadre politique, l’année 2016 a démontré d’autres lacunes du cinéma marocain. Le fonds d’aide et l’avance sur recettes sont dévoyés de leur objectif initial. Les festivals de cinéma dont la multiplication avait fait, un certain instant, illusion, traversent pour la plupart une crise structurelle grave qui appelle un tri et une nouvelle approche de la subvention publique. L’augmentation du nombre des festivals, perçue au départ comme un vecteur de cinéphilie s’est révélée dans sa progression inversement proportionnel du public du cinéma. Les festivals ne dopent pas la culture de cinéma car ils n’ont pas réussi à construire leur propre public.

Sur le plan du cinéma stricto sensu, l’année 2016 n’ pas été celle de grandes révélations ni de révélations tout court. Le court métrage s’enlise dans une médiocrité et le long métrage cède à la tentation populiste et démagogique. Le palmarès du festival national du film en février 2016 a été dans ce sens un constat accablant en mettant en avant un cinéma tape à l’œil : prépondérance de l’image travaillée pour elle-même au détriment du plan; le recours au montage «attraction» pour neutraliser toute velléité de distanciation chez le spectateur. On est passé d’un cinéma d’auteur, dont le référent est la cinémathèque à un cinéma de faiseur d’images dont le paradigme fondateur est youtube.

Mes coups de cœur  de 2016

Toni Erdman de Maren Ade, film austro-allemand, une brillante comédie sur les mœurs du capitalisme et ses figures modernes, les managers et les coaches. Un père sexagénaire part à la reconquête de sa fille pour la sauver des méandres de sa vie au service de la grand finance. Un parcours de redécouverte mutuelle dans une ambiance de satire et dérision. Une autre raison personnelle de ce coup de cœur l’héroïne s’appelle Inès… comme ma fille qui s’apprête elle aussi à embrasser la carrière de consultante financière. Elu meilleur film de l’année, Toni Erdman a été plébiscité également par la critique internationale.  Il devrait être visionné cent fois par certains de nos cinéastes…
Starveyour dog de Hicham Lasri. Le film le plus politique de notre filmographie…sans avoir pour sujet la politique. oui, il s’agit de Driss Basri mais le film n’est pas une biopic ; filmé en surimpression avec un regard sur le réel sans cesse biaisé par l’irruption de l’irréel.
The donorde Zang Qiwu, Chine. Une leçon de mise en scène ou comment le mélodrame est sublimé par le regard d’un cinéaste attentif aux mutations d’une urbanité qui écrase les sentiments humains.
Mimosas, la voie de l’atlasde Oliver Laxe, Espagne-Maroc : un voyage mystique, contemplatif, ludique dans un Haut-Atlas inédit.
3000 layal de Mai Masri, Palestine. Une prison israélienne, des prisonnières politiques palestiniennes, des détenues israéliennes de droit commun et un enfant palestinien qui naît dans cet univers clos. Maï Masri confirme.
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