Briser l’interdit aux femmes de jouer aux instruments traditionnels en Afrique, c’est le pari qu’a relevé Fatoumata Diawara. La chanteuse malienne a décidé de sortir des sentiers battus ; elle s’est lancée dans une carrière solo et joue à la guitare électrique sur scène, un fait rare sur le continent. Aujourd’hui, son ambition est depermettre à la femme africaine de jouer aux instruments traditionnels au même titre que les hommes, d’où son projet de collaboration avec Asma Hamzaoui, jeune chanteuse gnaoua, que Fatoumata voudrait coûte que coûte accompagner. Elle s’est confiée sur ce projet à « L’Arbre à Palabres », organisé par l’Institut français d’Essaouira, dans le cadre du Festival gnaoua, vendredi dernier.

Propos recueillis par Danielle Engolo

Parlez-nous de votre collaboration avec la chanteuse marocaine gnaoua Asma Hamzaoui?

Fatoumata Diawara : Asma vaaccomplir quelque chose d’historique, jamais réalisé dans le passé. Elle est la première femme dans la musique gnaoua à jouer du guembri. Elle va certes représenter la musique gnaoua, mais également tout le continent africain, spécialement l’Afrique de l’Ouest où l’on retrouve aussi le guembri. Le guembri, qui est l’équivalent du «Koniba» au Mali, est un instrument très important dans ce pays, de même qu’en Mauritanie et de manière générale, dans la musique maure. Asma, qui est un enfant d’aujourd’hui et qui parvient à dompter et à jouer un instrument comme le guembri, est un message fort pour la jeunesse.  Elle est le point de départ de l’ouverture, de la présence de la femme dans la musique gnaoua. C’est un honneur pour moi de tirer cette petite sœur vers le haut.

Quels sont les points communs entre Asma et toi?

Plusieurs choses nous lient, tout d’abord, la motivation de pouvoir jouer ensemble. Asma et moi avons un autre point commun, c’est notre complicité et notre volonté de faire des choses qui n’ont jamais été faites auparavant. J’essaie, de même qu’elle de franchir, avec la guitare électrique, certaines choses que je n’ai pas vu les femmes faire sur le continent africain, notamment faire des solos à la guitare. Sur notre continent, l’instrument traditionnel est interdit aux femmes. Au Mali, quand la femme a ses règles, elle ne peut toucher au guembri. Voir les femmes jouer aux instruments est un fait rare, même s’il faut admettre que les choses se sont légèrement améliorées ces dernières années. Généralement les femmes sont juste chanteuses. En Afrique, nous avons de grandes cantatrices, mais quand il s’agit de jouer aux instruments traditionnels, il y a des oppositions. Les hommes se disent que je suis en train de m’en prendre à leur travail alors que mon objectif est simplement de me battre pour jouer à ma façon. J’ai appris toute seule à jouer à la guitare électrique, car chaque fois que j’ai voulu qu’un homme m’apprenne à jouer, il m’a demandé de coucher avec lui, en retour. Quand je fais mes solos, je suis fière de moi, car je sais que personne ne m’a appris à jouer à la guitare.

Cela me réjouit de savoir qu’Asma est soutenu par sa mère et son père. Ses parents sont un exemple, pour pousser d’autres parents à permettre à leurs filles de rentrer dans le monde artistique et d’être épanouies.J’aimerais qu’après ce concert ensemble avec Asma, qu’elle puisse tenir le flambeau. J’aimerais qu’après cette expérience, qu’elle ne baisse pas les bras, mais qu’elle continue à se battre. Si Asma est sauvée, c’est déjà toute une génération qui est sauvée.

Quel est le message de votre musique?

Au Mali, «on ne chante pas pour chanter», sauf la nouvelle génération qui chante en anglais et en français sur l’amour. Ce que je sais de mes mamans au Mali, c’est qu’elles ont toujours chanté pour l’évolution, le développement, les causes sociales. J’essaie de m’inscrire dans cette vision. C’est pour cette raison qu’en 2012,  quand il y a eu la crise au Mali, j’ai arrêté mon tournage en France. Je suis rentrée chez moi et j’ai rassemblé tous les artistes maliens pour que nous puissions utiliser la musique comme la voix du président. Car après le coup d’Etat, il n’y avait pas de chef d’Etat dans le pays. On virait petit à petit vers un génocide entre les populations du sud et du nord ; les uns accusaient les autres d’être à l’origine de la chute du pays. Nous avons sorti une chanson et avons pu ainsi sauver toute une génération qui allait se retrouver dans la barbarie et s’entretuer alors que nous sommes tous frères et sœurs.

Mon exemple, je l’invente, même si je m’inspire de mes mamans. J’ai été contrainte d’aller fouiller dans les classiques américains, surtout en ce qui concerne la guitare. C’est ainsi que j’ai trouvé la chanteuse américaine Roberta qui joue de la guitare et fait des solos. Je me suis décidée d’être comme elle, pour servir d’exemple à la jeunesse africaine et dire que la femme ne doit pas toujours être derrière les hommes ; elle peut être aussi sur scène avec eux.

Dans votre dernier clip «Nterini», vous parlez de la migration, un sujet brûlant d’actualité. Que pouvez-vous nous dire à ce propos?

Généralement, quand on évoque l’immigration des jeunes Africains, on parle de tout, sauf de leur courage. Je serais incapable de me lancer dans une aventure dans la mer sur une pirogue comme ces jeunes. Donc j’essaie de voir la positivité dans chaque chose.Je transforme l’image de l’Afrique, de cette jeunesse que l’on dénigre au lieu de présenter son courage.  On leur refuse les visas pour aller explorer le monde alors que le monde s’est bâti avec l’exploration. L’occident est allé explorer le monde pour pouvoir se construire. Quand on se rend dans les musées à Paris, il n’y a pas que des statues de Louis XVI. La plupart vient de l’Afrique, de l’Egypte, parce que les Européens ont voyagé et aujourd’hui, leurs musées peuvent attirer des milliers de personnes dans le monde entier. Il faudrait donner aussi cette opportunité à la jeunesse africaine. Il ne faut pas que cette jeunesse perde sa dignité parce qu’elle passe par la mer, sachant d’ailleurs qu’on l’oblige à passer par la mer. Ce sont des gens qui ont des mères, qui ont eu une histoire d’amour comme celle que je raconte dans «Nterini». Je chante la voix de la copine d’un immigré qui est parti et dans la chanson, elle pleure son confident, celui qui était tout pour elle.

L’Afrique n’est plus misérabiliste comme avant. Il y a certes des guerres dans certains endroits ; mais il y ‘a aussi de belles choses qui ne sont pas valorisées. Donc je me sens obligée d’être l’ambassadrice de l’Afrique, de montrer ce côté magnifique de mon continent. Je ne peux pas accepter qu’on m’acclame sur scène et voir une partie de moi, qui est sur la Méditerranée, être traiter indignement. Cette chanson a une grande portée pour moi, même si ça parait naïf et doux. «Nterini» c’est mon blues.

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