Les anciennes républiques soviétiques se démarquent de Moscou

Guerre d’Ukraine

Nabil EL BOUSAAD

Après le Kazakhstan qui, dès les premiers jours de l’offensive menée par la Russie contre l’Ukraine, était sorti de sa réserve à propos du conflit qui oppose ces deux pays en déclarant, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Moukhtar Tileuberdi,  qu’il « n’était pas question [pour son pays] de reconnaître Donetsk et Louhansk » et en faisant la sourde-oreille aux demandes d’aide militaire en provenance du Kremlin, c’est l’Ouzbékistan qui lui a emboité le pas, jeudi dernier, lorsqu’en dépit des importants liens économiques qui l’unissent à la Russie, son ministre des Affaires étrangères, Abdulaziz Komilov, a déclaré, devant le Sénat national, que son pays « soutient l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ».

Rejetant les demandes du Kremlin afférentes à l’envoi de soldats des Républiques d’Asie centrale à la rescousse des forces russes en Ukraine, Abdulaziz Komilov a tenu à préciser que l’armée ouzbèque ne sera impliquée « dans aucun conflit à l’étranger » et que son pays n’entend point reconnaître les républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk situées à l’est de l’Ukraine.

En outre, dans un tweet publié sur le compte officiel de l’ambassade d’Ouzbékistan aux Etats-Unis et au Canada, le chef de la diplomatie ouzbèque a appelé à « la cessation immédiate des actions militaires et de la violence en Ukraine » et déclaré que son pays continuera de « fournir une aide humanitaire » à cette dernière.

C’est dire que, d’une manière générale, l’assaut russe contre l’Ukraine a été très mal perçu par les anciennes républiques soviétiques même s’il y a, parfois, quelques nuances plus ou moins marquées, ici ou là, du fait notamment des rapports politiques que ces dernières entretiennent encore avec le « grand frère » russe.

Si donc, en Géorgie, il y a autant de crainte que de colère car, en 2008, ce pays avait été victime de la même « agression » et avait été attaqué par Moscou pour des raisons quasiment similaires, en Azerbaïdjan, la population éprouve, à peu près, les mêmes sensations car il lui est difficile d’oublier qu’au début des années 1990, c’est la Russie qui, en soutenant l’Arménie, avait permis à cette dernière de lui arracher le Haut-Karabakh. La suite on la connait…

La même méfiance est, également, perceptible en Arménie, même si celle-ci reste teintée d’une relative « compréhension » dès lors que c’est la Russie qui assure la sécurité du pays face à ses deux ennemis-jurés que sont l’Azerbaïdjan et la Turquie.

Ainsi, vingt années après l’effondrement de l’URSS, le contexte post-colonial pèse encore assez lourd dans la condamnation, par les anciennes républiques soviétiques, de l’attaque contre l’Ukraine car la perception qui prévaut, dans ces pays, est que la Russie, qui n’a pas encore pu « digérer » leur « indépendance », se comporte de façon très « méprisante » à leur égard.

Autant de raisons qui poussent ces pays à rejeter le modèle autoritaire promu par Moscou et ce, d’autant plus que lorsqu’une crise éclate, dans l’un ou l’autre d’entre eux, à l’instar de celles qui avaient vu le jour, en 2015, en Arménie, contre la hausse du prix de l’électricité et, en 2020, en Biélorussie, à la suite de la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko, Moscou finit toujours par voler au secours de ces régimes alors même qu’ils sont les plus corrompus de la région.

La prise de distance des anciennes républiques soviétiques avec Moscou illustre parfaitement la complexité de l’équation diplomatico-économique entre la Russie et ses anciens vassaux d’Asie centrale.

Aussi, comme le soulève Stéphane Dudoignon, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Asie centrale, l’Ouzbékistan, qui a toujours tenu à « maintenir une position d’équidistance entre les blocs » ainsi que les autres pays de la région ont toutes les raisons de craindre une montée en puissance militaire et stratégique de la Russie et, de ce fait, l’influence pesante que cette dernière pourrait exercer à leur encontre si bien qu’on entrerait « dans une période où un succès militaire en Ukraine pourrait accroître le poids de la Russie dans la région et permettre à Moscou d’accentuer ses pressions ».

Est-il permis de croire, enfin, que la guerre d’Ukraine pourrait donner, aux républiques de l’ex-Union Soviétique, l’occasion de s’affranchir complètement de leur ancienne tutelle ?

Pour l’heure, toutes les options sont sur la table mais attendons pour voir…

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