Azeddine Yassine, directeur général de Buildfluence
Propos recueillis par Kaoutar Khennach
Le Maroc enregistre le 08 avril de l’année en cours la sortie du premier Livre Blanc consacré à la «e-santé». Un travail initié par l’Université Mohammed V de Rabat, en partenariat avec le cabinet Buildfluence, spécialiste en intelligence stratégie et influence.L’objectif de ce travail est « de disposer de plusieurs grilles de lectures pragmatiques permettant de clarifier à 360° la «e-santé» au Maroc et à l’international, puis aboutir à une Roadmap avec des recommandations facilitant les prises de décisions factuelles ». A cette occasion, nous avons rencontré Azeddine Yassine, directeur général de Buildfluence pour parler «e-santé», ses atouts et objectifs et évoquer les résultats livre blanc sur la e-santé au Maroc. Les propos.
Al Bayane: Qu’est-ce qu’on entend par «e-santé?»
D’abord, l’émergence de l’idée d’élaboration du livre blanc sur la «e-santé» au Maroc est survenue durant un échange informel avec un acteur privé lors d’une table ronde, au sujet de l’innovation dans la santé digitale organisée par l’Université Mohammed V de Rabat.
La santé numérique est définie comme l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le secteur de la santé. Le marché de la santé numérique comprend la santé mobile (mHealth), les appareils mobiles, la télésanté et la télémédecine, les technologies de l’information sur la santé (IT) et la médecine personnalisée. Elle propose différents services à valeur ajoutée aux patients, leur permettant de bénéficier d’un diagnostic précoce des maladies.
Vous venez de lancer un livre blanc sur la « e-santé » au Maroc. Quels sont les objectifs et les résultats ?
La volonté primordiale depuis le début de l’élaboration de ce livre blanc, est de fournir, au-delà d’un document d’analyse conceptuelle, mais plutôt une Roadmap contenant des outils d’analyse et des solutions de compréhension sur tous les aspects de la e-santé (concept, éthique, sécurité, mise en œuvre, etc.), d’orientations stratégiques inclusives en matière de e-santé, de recommandations et d’aide à la décision factuelle, ayant pour vocation une mise en œuvre pragmatique.
Le but est de déceler les atouts et faiblesses du système national de santé pour développer la « e-santé », saisir les opportunités et les enjeux de l’intégration des solutions disponibles , détecter les freins et les défis de la promotion de la e-santé au Maroc. Aussi, l’objectif est de diagnostiquer le positionnement du Maroc des points de vue régional, continental et international etproduire une compréhension analytique à propos des lacunes de son émergence en e-santé, réaliser des études et analyses ciblant les bonnes pratiques et comprendre la réalité du terrain de tous les acteurs (usagers et professionnels) quant à leurs besoins en matière de e-santé et leur niveau d’adaptabilité à celle-ci. De plus, la volonté est de présenter des perspectives stratégiques fondées sur les attentes et les enjeux identifiés, incluant l’ensemble des parties prenantes ; produire des recommandations à l’intention des décideurs pour le développement futur de la e-santé et élaborer une feuille de route facilitant une mise en œuvre rapide et efficace.
Comment qualifiez-vous le secteur de la «e-santé» au Maroc ?
La e-santé est un secteur lié aux domaines du digital, des startups, de l’innovation et de l’investissement de manière générale. L’environnement des technologies de la santé est très modeste et ne compte que certaines expériences singulières émanant d’initiatives isolées. Malgré des signes de progrès boostés par la Covid-19 qui a vu la création de startups dans les technologies de la santé, la « e-santé » au Maroc demeure insuffisamment développée, et l’ensemble de l’écosystème des startups reste généralement en deçà de son potentiel.
Néanmoins, une étude biennale sur le développement digital, réalisée dans 193 pays par le département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (UN-EGDI) révèle que le Maroc possède réellement des capacités importantes pour exceller particulièrement dans les technologies de la santé ou globalement dans le secteur du digital.
Ces potentialités se traduisent dans le capital humain qui serait source d’innovation au Maroc. L’indice du capital humain marocain en matière de digital en général se situe au-delà de la moyenne régionale et est proche de la moyenne mondiale.
Et à l’international quel état des lieux faites-vous de ce secteur?
Le secteur de la santé digitale est désormais considéré par les banques comme un milieu à fort potentiel en matière d’investissement. La forte demande et l’adoption de soins préventifs, ainsi que l’augmentation du financement de diverses startups dans la santé digitale ne font que stimuler la croissance de ce marché.
Grâce aux perspectives solides de ce secteur, les tendances des technologies de la santé peuvent s’avérer fructueuses lorsqu’il s’agit de stratégies d’investissement à long terme. Le marché de la santé digitale est estimé aujourd’hui à 234,5 milliards de dollars, avec une prévision de 600 milliards de dollars en 2024, soit une hausse de 160 % par rapport à 2019 :
En termes de données échangées en 2020, cela devrait se mesurer en dizaines de zettabits. Cette croissance aura la télémédecine comme vecteur dynamique et propice aux alliances stratégiques. Celle-ci sera le pilier de la santé digitale qui connaîtra un essor inédit, avec un taux de croissance annuel entre 23 et 36 %. Cette activité ne cessera d’être dynamique, quelle que soit la progression du marché. Or, la progression de 160 % est nuancée, car il y a de fortes disparités entre l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Asie-Pacifique, l’Amérique latine et la région MENA.
Tous les experts s’accordent de dire que les solutions de santé numériques offrent un grand avenir en matière de création de nouveaux modèles de prestation de soins, de création d’emploi, d’accès élargi aux soins, d’efficacité améliorée et de valeur ajoutée pour toutes les parties prenantes.
L’Amérique du Nord devrait maintenir sa domination sur le marché de la santé numérique. Cela est dû, au-delà de la prévalence des maladies chroniques, à la présence des principaux acteurs des technologies de la Healthtech (Allscripts Healthcare Solutions, Cerner Corporation, Cisco Systems, eClincalWorks, GE Company, Koninklijke Phlips NV, Honeywell International Inc., Mckesson Corporation, SiemansHealthcare AG et Qualcomm technologies, etc.), à l’adoption par les utilisateurs de smartphones et aux progrès des soins de santé.
Cependant, l’Asie-Pacifique devrait enregistrer le taux de croissance annuel composé (TCAC) le plus élevé, 28,1 % de 2021 à 2030, en raison de l’augmentation de la population gériatrique, de la demande de services de surveillance à distance et du nombre d’internautes.
Quelles sont les leçons tirées suite aux enquêtes effectuées ?
Une enquête internationale montre que la e-santé a impacté le comportement des professionnels de santé et des patients en les orientant vers de nouveaux modèles de soins et de technologies de support :72 % des patients accordent la priorité à leurs besoins et objectifs personnels en matière de santé et de bien-être ; 60 % des médecins privilégient une transition vers la prévention et le bien-être et 75 % des patients souhaitent travailler en partenariat avec les prestataires sur les objectifs de soins et de santé.
Les grandes lignes de l’enquête digitale que nous avons réalisée à destination des professionnels (359) et des usagers (371) au Maroc, les principales leçons à en tirer est le côté positif de la perception que les professionnels ont de la santé digitale et de son impact favorable sur l’exercice de leur profession. Ils sont en effet favorables à l’instauration du dossier médical partagé (DMP) interopérable.
Certains professionnels de la santé au Maroc ignorent la législation en vigueur régissant le digital. Surtout quand il s’agit des pratiques non autorisées de la messagerie instantanée standard ou des plateformes non agréés pour l’échange de données médicales. Or, ils se montrent méfiants quant à l’introduction des nouvelles technologies, craignant une déshumanisation de leur relation avec les patients et une divulgation des informations protégées par le secret médical.
Les citoyens portent un intérêt majeur aux nouvelles technologies dont la santé digitale. La majorité des répondants privilégient l’autorité de l’Etat pour garantir une sécurité des données médicales.