Attendons pour voir…
Les révélations faites ce lundi 2 mai 2022, par le site «Politico», à propos d’informations qui auraient «fuités» et qui concerneraient un projet de décision de la Cour Suprême des Etats-Unis, encore en discussion et se rapportant à une éventuelle suppression du droit à l’avortement, ont mis le feu aux poudres et c’est le moins que l’on puisse dire quand ce sont des centaines de manifestants qui se sont rassemblés, le soir même, devant les bâtiments de la plus haute juridiction du pays, pour marquer leur indignation et leur profonde colère face à ce qui s’apparente plus à un tremblement de terre plutôt qu’à une simple «fuite».
Il semblerait que le projet de loi incriminé annulerait la décision dite ‘Roe vs Wade’ de 1973 qui, en offrant une protection fédérale aux femmes qui avaient recours à l’avortement, constituait, au nom du droit à la vie privée, la pierre angulaire de leur liberté à disposer de leur corps sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis.
Par une telle décision, la Cour Suprême des Etats-Unis s’apprêterait donc à conférer à chaque Etat la possibilité d’adopter sa propre législation et de disposer, ainsi, de toute latitude pour rendre illégale l’interruption volontaire de grossesse sans même être tenu de prévoir des exceptions pour le viol et l’inceste.
Pour rappel, avec la nomination, sous la présidence Trump, de trois juges conservateurs pour lesquels le temps était venu de tourner cette page ‘Roe vs Wade’ qui, à leurs yeux, avait permis à la plus haute juridiction du pays d’outrepasser ses prérogatives, la Cour Suprême avait, incontestablement, basculé à droite de l’échiquier politique.
Or, même si, pour l’instant, ce qui a « fuité » n’a pas trait à une décision dûment validée par la Cour Suprême des Etats-Unis mais concerne un premier jet rédigé par Samuel Alito, l’un des juges de ladite Cour, Emma Long, politologue et spécialiste de l’histoire de la Cour Suprême américaine à l’université d’East Anglia (Norwich), rappelle qu’« il est rare que le sens de la décision change entre la première mouture et la version finale (dès lors que) la première version du jugement est toujours rédigée après un vote en interne des neuf juges pour savoir dans quel sens la Cour Suprême va trancher ». Aussi, les éventuelles modifications qui pourraient avoir lieu ne concerneraient que « des éléments de langage et des formulations ».
Il convient de préciser, en outre, que, dans l’affaire qui leur a été présentement soumise et qui concerne une loi de 2018 du Mississippi limitant le recours à l’avortement, il a été expressément demandé aux juges de revenir sur la décision ‘Roe vs Wade’. C’est donc à ce titre que cette première mouture « annule ce précédent et affirme que le droit à l’avortement n’est pas protégé par la Constitution » déclare Jacob Maillet, spécialiste du droit constitutionnel nord-américain et professeur à l’Université Paris V qui tient à rappeler, par ailleurs, que si pour les « originalistes », un droit devient « sacré voire même quasi-divin » dès lors qu’il est protégé par la constitution, il ne faudrait pas oublier que l’idée même « que le droit à l’avortement puisse être quasi-divin a toujours eu du mal à être acceptée aux Etats-Unis ».
Si pour rejeter la décision prise en 1973, la Cour Suprême a adopté une interprétation « originaliste » c’est-à-dire une approche qui colle au plus près du texte de la Constitution et de la signification que les pères fondateurs des Etats-Unis avaient bien voulu lui donner, c’est donc, à en croire Jean-Eric Branaa, Maître de conférence à l’Université Panthéon-Assas et spécialiste de la politique et de la société américaines, que la Cour Suprême considère « que le droit constitutionnel à la vie privée ne couvre pas le droit à l’avortement comme cela avait été décidé dans ‘Roe vs Wade’ ».
L’autre argument mis en avant par les « originalistes » dans le premier jet de la décision mettant fin à ‘Roe vs Wade’ étant que tout ce qui n’est pas expressément cité dans la Constitution américaine comme relevant de la compétence fédérale reste du ressort des Etats, il est donc « reconnu » que la décision prise en 1973 avait tort de soustraire la question de l’Interruption Volontaire de Grossesse à la compétence des Etats.
En considérant, enfin, qu’une douzaine d’Etats auraient d’ores et déjà adopté des législations allant dans ce sens et qui n’attendent plus qu’une décision finale de la Cour Suprême, c’est donc que les militants pour le droit à l’avortement ont perdu la bataille mais attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi