«Le droit à un milieu de travail sûr et salubre»

Un nouveau droit fondamental au travail

Par Bouharrou Ahmed

Première partie

Depuis le 12 /6/2022, « le droit à un milieu de travail sûr et salubre » a été hissé au rang de « principe et droit fondamental au travail », à l’instar des quatre catégories des principes et droits fondamentaux au travail contenus dans « La Déclaration de l’OIT relative aux droits fondamentaux au travail », adoptée par consensus en 1998.

Ainsi, aux quatre catégories de principes et droits fondamentaux qui sont :

La liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective;

L’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire;

L’abolition effective du travail des enfants;

L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession, a été ajouté une cinquième catégorie consistant en le droit à « un milieu de travail sûr et salubre »

Les quatre principes et droits fondamentaux au travail sont contenus dans huit conventions internationales qui sont la convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ; la convention 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective ,1949 ; la convention 29 sur le travail forcé, 1930 ; la convention 100 sur l’égalité de rémunération ,1951 ;la convention 105 sur l’abolition du travail forcé ,1957 ; la convention 111 sur la discrimination (emploi et profession) 1958 ; la convention 138 sur l’âge d’admission au travail, 1973 et la convention 182 sur les pires formes du travail des enfants ,1999.

A ces huit conventions fondamentales s’ajoutent deux conventions internationales du travail relatives à la santé et à la sécurité et qui ont pour finalité de garanti le droit à un milieu sûr et salubre dans le travail. Ces deux instruments sont la convention internationale du travail n°155 sur la santé et la sécurité au travail, 1991 et la convention internationale du travail n° 187 sur le cadre promotionnel pour la santé et la sécurité au travail, 2006.

 « Droit à un milieu de travail sûr et salubre »

Le but attendu de la consécration d’un droit à un milieu de travail sûr et salubre est respect du droit à la vie, la préservation de l’intégrité de la santé physique et morale, l’humanisation du milieu du travail et la protection de la dignité au travail.

Le Comité mixte OMS/OIT  a défini la sécurité et la santé au travail comme suit : « la promotion et le maintien du plus haut degré de bien-être physique, mental et social de tous les travailleurs dans toutes les professions ; la prévention chez les travailleurs des écarts de santé causés par leurs conditions de travail ; la protection des travailleurs dans leur emploi contre les risques résultant de facteurs préjudiciables à la santé; le placement et le maintien du travailleur dans un milieu professionnel adapté à son équipement physiologique et psychologique et, pour résumer, l’adaptation du travail à l’homme et de chaque homme à son travail ».

Quels sont les fondements de la consécration de ce droit en tant que nouveau droit fondamental au travail ?

Un droit fondamental

L’institutionnalisation d’un milieu de travail sûr et salubre par voie de droit et d’institution trouve son fondement dans la constitution de l’OIT, dans des instruments internationaux des droits de l’Homme

L’OIT et la sécurité et la santé

La santé et la sécurité au travail constitue une préoccupation pour l’OIT depuis sa création en 2019. Le préambule de sa constitution prévoit que « la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail ». Dans le même ordre d’idées, la Déclaration de Philadelphie sur les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail de 1944 affirme l’obligation solennelle pour l’OIT de mettre en œuvre des programmés propres à assurer une « protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs dabs toutes leurs occupations ».

Donnant effet à ces objectifs et engagements, l’OIT a adopté par différentes conférences internationales un grand nombre de normes internationales du travail qui représentent environ deux tiers de l’arsenal normatif international.

Les instruments internationaux

Outre les fondements constitutionnels du droit à un milieu de travail sûr et salubre, d’autres bases internationales et humaines corroborent ce droit.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 affirme dans l’article 3 que « Tout individu a droit à la vie,

La constitution de l’OMS annonce dans son préambule que « « la jouissance du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre est l’un des droits fondamentaux de tout être humain… Les réalisations de tout État en matière de promotion et de protection de la santé sont précieuses pour tous. » 

Dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948, l’article 3 affirme que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne ». Cet article est de portée générale. Il peut s’appliquer au milieu du travail et ailleurs. Ce droit peut avoir un contenu varié et comprendre la prévention contre les risques professionnels pouvant porter atteinte à la santé des travailleurs par les effets des accidents du travail ou par les maladies professionnelles en lien avec les conditions du travail. Ce même instrument insiste par voie de l’article 23-1 pour que toute personne ait « droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail … ». Parmi ces types de conditions, il doit y avoir un milieu sûr et salubre, un environnement humain et un travail decent.

Dans la même perspective, l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnait « le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent », entre autres, « la sécurité et l’hygiène du travail ». L’article du 12 -1 du même Pacte affirme le droit « de jouir du meilleur état de santé physique et mentale … », met l’accent dans son paragraphe 2, b) sur « l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle » et prévoit la prise de mesures pour la lutte contre les maladies professionnelles et les maladies épidémiques. Ce droit à la santé a lui aussi une portée générale et vise la santé en général y compris la santé au travail, l’hygiène industrielle et la sécurité au travail.

La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes s’intéresse elle aussi, à la question de la santé. Son article 11-1, f) reconnait à la femme « le droit à la protection de la santé et à la sécurité des conditions du travail, y compris la sauvegarde de la fonction de reproduction ». Cet instrument vise donc le droit à la santé pour la femme sans discrimination à la fois dans le cadre global et dans celui du travail. Différents instruments régionaux constituent eux aussi des sources du fondement du droit à un milieu de travail sûr et salubre. La Convention américaine des droits de l’homme se réfère dans son préambule aux droits économiques et sociaux dont, le droit à la vie,

La Charte sociale européenne promulguée adoptée en 1965, prévoit que « Tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables ». Elle ajoute que « Tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail sûres et salubres ». ”. Contrairement aux différents instruments internationaux et régionaux, cette charte décrit de manière détaillée ces droits relatifs aux conditions du travail et à la sécurité et la santé au travail.

Un droit fondamental

A l’occasion du centenaire de l’OIT, dans « la Déclaration du centenaire pour l’avenir du travail », la conference internationale du travail, considère que des conditions de travail sures et salubres sont fondamentales au travail decent ». Pour concrétiser cette idée, elle a demandé au Conseil d’administration du BIT « d’examiner, dans les meilleurs délais, des propositions visant à inclure la question des conditions de travail sûres et salubres dans le cadre de l’OIT relatif aux principes et droits fondamentaux au travail ». Pour examiner cette question, cet organe a organisé quatre réunions entre novembre 2019 et Mars 2022.

Pour donner corps et effet au « droit à un milieu de travail sûr et salubre », la conference internationale du travail, dans sa 110e session de juin 2022 a décidé  de reconnaitre  ce droit en tant que droit fondamental et a décidé  à cet effet d’inclure deux conventions relatives à la santé et la sécurité au travail, en l’occurrence la convention (n° 155) sur la sécurité et la sécurité adoptée en 1981 et la convention (n° 187) sur la cadre promotionnel  pour  la sécurité et la santé au travail , adoptée en 2006.

Consécration formelle

La consécration par la conference internationale du travail de ce nouveau droit fondamental s’est traduite sur le plan formel par des amendements qui ont été apportés à la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail et son suivi de 1998, à la Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable de 2008 et au Pacte mondial de l’emploi de 2009.

Dans sa résolution concernant l’inclusion d’un milieu de travail sûr et salubre dans le cadre des principes et droits fondamentaux au travail adoptée le 10/06/2022 « afin d’accroitre la visibilité et l’impact des valeurs fondamentales de l’OIT et de de son Agenda du travail decent », la conference décide d’amender le paragraphe 2 de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail à l’effet d’inclure, après les mots « l’élimination de la discrimination matière d’emploi et de profession é », les mots « e) un milieu de travail sûr et salubre », et d’amender en conséquence l’annexe de la Déclaration de l’OIT relative aux

Droits fondamentaux au travail ainsi que la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable et le Pacte mondial pour l’emploi.  Désormais, ces trois instruments seront désignés respectivement comme suit :

  • La Déclaration de l’OIT relative aux droits fondamentaux au travail (1998) telle qu’amendée en 2022) ;
  • La Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) telle qu’amendée en 2022.
  • Le Pacte mondial pour l’emploi (2009) telle qu’amendée en 2022.

En outre, la conference a invité le conseil d’administration « à prendre les mesures appropriées en vue d’apporter certains amendements en conséquence de l’adoption de la présente résolution à toutes les normes internationales du travail pertinentes……»

Le contenu

Le système normatif international comprend beaucoup de conventions et recommandations internationales du travail portant sur les différents objets de la sécurité et la santé au travail. La conference internationale du travail a sélectionné deux conventions pour considérer leurs principes et leurs règles comme formant le droit fondamental relatif « à un milieu sûr et salubre »

Les apports de la convention n°155

La convention (n°155) concernant la sécurité, la santé des travailleurs et le milieu du travail adopté en 1981 considère dans son article 3 e) que « le terme « santé », en relation avec le travail, ne vise pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ; il inclut aussi les éléments physiques et mentaux affectant la santé directement liés à la sécurité et à l’hygiène du travail ». Il s’agit d’une définition globale qui englobe deux composantes, la sécurité du travail et l’hygiène du travail qui est proche de celle donnée par le comité conjoint OIT/OMS.

Cette définition vise donc un milieu de travail sûr et salubre protecteur de la santé des travailleurs et favorable pour le travail decent.

Les prescriptions de la convention sont à respecter, en fonction de leurs respectifs par les pouvoirs publics et par les employeurs.

La partie II, articles 4 à 7 fixent les principes et les éléments d’une politique nationale cohérente « en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu du travail ».

La troisième partie aborde l’action à entreprendre au niveau national tandisque la quatrième traite la question de l’action à mener au niveau de l’entreprise.

Tout Etat Membre devra en vertu de l’article 4 « définir et mettre en application et réexaminer périodiquement une politique nationale cohérente en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu de travail ». Ladite politique publique qui devra etre élaborée et mise en consultation avec les partenaires sociaux aura pour finalité de « prévenir les accidents du travail et les atteintes à la santé qui résultent du travail, sont liés au travail ou surviennent au cours du travail, en réduisant au minimum les causes des risques inhérents au milieu du travail, dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable »

Cette politique de santé au travail devra etre traduite par une « action au niveau national » pour lui donner effet. Les mesures à prendre sont la mise en place d’un système d’inspection approprié et suffisant, des sanctions appropriées à prononcer en cas de violations des prescriptions, les conseils à fournir aux employeurs et aux travailleurs pour les aider à se conformer à leurs obligations respectives.la détermination des conditions régissant la conception , la construction et l’aménagement des entreprises ,la fixation des procédés de travail à interdire , à limiter, à soumettre à autorisation ou au contrôle préalable des autorités compétentes.

D’autres mesures sont elles aussi nécessaires. Parmi ces mesures, il y a la déclaration des accidents du travail, la réalisation des enquêtes, la publication annuelle de rapport, le droit de retrait en cas de danger imminent, la préparation des programmes de formation, la mise en place de structure de coordination de la politique de santé et sécurité au travail. 

S’agissant de l’action au niveau de l’entreprise telle qu’elle est encadrée par la partie IV, elle met une série d’obligations à la charge des employeurs.

Ces derniers devraient veiller à ce que les lieux de travail, les machines, les matériels et les procédés de travail ne présentent pas de risque pour la sécurité et la santé au travail ; fournir, en cas de besoins, des vêtements de protection et un équipement de protection appropriés afin de prévenir les risques d’accidents ou d’effets préjudiciables à la santé ; prévoir en cas de besoin, des mesures permettant d’affronter des situations d’urgence.

Par ailleurs, des mesures devraient etre prises au niveau des entreprises pour favoriser la collaboration des travailleurs et des employeurs dans le domaine de la sécurité et la santé au travail, fournir une formation appropriée aux travailleurs et à leurs représentants, informer les travailleurs sur les mesures de sécurité et de santé prises par les employeurs, et leur permettre d’informer leur hiérarchie de toute situation comportant des risques imminents.

Les apports de la convention n° 187

A l’instar de la convention internationale (n° 155) qui vise essentiellement le cadre global d’une politique de santé et sécurité au travail et les mesures à prendre au sein de l’entreprise, la convention (n° 187) sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail traite en quelque sorte l’infrastructure du droit de la santé au travail qui garantit le droit à un milieu de travail sûr et salubre.

Cet instrument affiche dans l’article 2 un objectif global consistant en la promotion de « l’amélioration continue de la sécurité et de la santé au travail pour prévenir les lésions et maladies professionnelles et les décès imputables au travail par le développement (…), d’une politique national, d’un système national et d’un programme national. »

La politique nationale est le moyen de promotion d’un milieu de travail sûr et salubre à tous les niveaux. Elle devrait tendre à la fixation de principes de base tels que l’évaluation des risques et des dangers imputables aux conditions du travail, la lutte à la source contre ces risques, le développement d’une culture de prévention des risques basée sur trois composantes : l’information, la consultation et la formation.

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