Un personnage se rebelle

«Sacré personnage» (Ed. Marsam) de Abdellah Baïda 

Par Mamoun Lahbabi

Dans ce sixième roman, Abdellah Baïda laisse son imagination vagabonder sur le chemin néanmoins balisé d’un hommage au roman phare de Mohammed Khair-Eddine «Légende et vie d’Agnouchich». En s’adossant à l’idée centrale de ce roman, Abdellah Baïda distille à son tour sa vision d’un personnage en exil de son univers originel. Retour sur ce roman qui s’apparente à un conte philosophique.

Après «Testament d’un livre» dans lequel Abdellah Baïda déroule un testament raconté par un livre en guise de plaidoirie pour la chose écrite, voilà qu’il renoue avec les sujets difficiles d’accès dans «Sacré personnage».

Dans ce nouveau roman, Abdellah Baïda s’engage dans les arcanes de la littérature, là où s’abritent les personnages pour protéger leurs jardins secrets. A force de mots, ces petites choses qui peuvent dire de grandes choses, il s’immisce dans les intentions d’Agoun (le protagoniste de ce récit) qui, insatisfait de sa condition de personnage romanesque, conquiert son autonomie pour rejoindre le réel et ainsi retrouver son créateur, l’auteur qui lui a donné naissance.

Si la cohabitation des contraires abonde en littérature, la collision entre un personnage fictif et un personnage de chair est plus rare. Il s’agit là d’une idée fantasmagorique saillie d’une liberté de choix des sujets à l’intérieur de la littérature, cet univers des possibles qui s’accommode de tous les impossibles et qui jouit sans entrave des fruits de l’imagination en défiant les barrières du réel pour se rapprocher de tous les horizons.

«Sacré personnage» est un roman qui bouscule les conventions et interpelle le lecteur pour une invite dans l’âme des personnages.

En se plaçant en marge du réalisme, il foule le territoire du mystère, de l’inconnu avec pour finalité le questionnement sur la liberté, le désir de multiplier ses vies au prétexte qu’une seule ne peut suffire pour qui aspire à l’acmé, et aussi ce rêve fou qui agite l’esprit humain depuis la nuit des temps, celui de vivre à la fois l’imagination et la réalité.

Il y a dans ce roman comme une note de « surréalisme ». Il martèle que l’imagination, aussi, passe par les mots. En dépit du personnage qui se détache de son auteur, le lecteur ne quitte pas la littérature. Les mots restent invariablement les vainqueurs autant sur le vrai que sur le faux.

A l’intérieur d’un engagement qui prend possession de l’histoire, le lecteur rejoint l’intention foncière de l’écrivain : partager une aventure littéraire à travers l’aventure de l’écriture. Avec, parfois, cette curieuse ambition de décrire un personnage qui ne fait rien, autrement dit d’écrire un roman sur Rien.

Abdellah Baïda ne se cache pas de ce désir enfoui dans sa plume. Il écrit en page 6 : « Pourquoi faut-il toujours qu’il se passe quelque chose dans un roman ? Pourquoi ne pas créer un personnage qui ne fait rien ? Il y a bien des personnes dans la vraie vie qui ne foutent absolument rien et qui passent leurs journées à glander ! Eh bien, les personnages des livres doivent avoir aussi le droit au farniente » ! Un désir et très probablement un besoin.

«Ecrire parce que le besoin d’exprimer quelque chose ne laisse pas en repos». L Tolstoï.

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