Exposées dans toutes les cultures à toutes les formes de violences, les femmes issues de pays tiers-mondistes -de culture arabo-musulmane plus particulièrement- demeurent toutefois la cible privilégiée d’une violence prédatrice.
Ceci est le cas en l’occurrence des femmes marocaines, dont le calvaire se mesure à des chiffres qui font froid dans le dos, qu’il s’agisse de ceux régulièrement relayés par le Haut-Commissariat au Plan (63% des femmes en sont victimes en 2009), ou ceux de l’Observatoire National de la Violence contre les Femmes (avec une moyenne de 9 actes de violence subis par femme en 2014), ou encore ceux d’organismes internationaux, dont le récent sondage de l’ONU-Femmes où 62% des Marocains sondés déclarent ne pas avoir d’inconvénient à violenter leurs femmes, lesquelles auront pour devoir de supporter cette violence.
L’absence de politique éducative
Jusqu’à aujourd’hui, la mixité dans les espaces publics est mal vécue par des hommes qui continuent de considérer l’espace public comme leur propriété exclusive. C’est par conséquent l’espace où les hommes se sentent obligés d’affirmer leur masculinité face aux femmes, ces intruses. La conquête irréversible et grandissante de l’espace public par les femmes conduit à une remise en cause critique de la masculinité, d’où une réaction de défense masculine qui consiste à solidifier le contrôle masculin de l’espace public, à reconstruire une masculinité dans son propre fief traditionnel. Par conséquent, dans cet espace, les femmes ne sont pas encore considérées comme des citoyennes, mais comme des corps femelles à la fois excitants et inaccessibles. Car leur seule présence dans l’espace public n’est pas l’indicateur d’une consommation sexuelle facile et automatique. Comment se retenir de ne pas regarder, de ne pas aborder, de ne pas insulter, de ne pas harceler ? Les autorités publiques n’ont pas eu de politique éducative en la matière.
Autre facteur, la frustration sexuelle. Le recul de l’âge au premier mariage (pour des raisons principalement économiques) signifie en principe une abstinence sexuelle qui se prolonge. En effet, au nom des normes patriarcales dominantes, de la charia (officielle) et du «code pénal», pas de sexe pour les non-mariés. Cette norme de l’abstinence sexuelle est violée parce qu’elle est irréaliste. Mais elle est violée à travers des pratiques sexuelles chaotiques, incomplètes, palliatives, bricolées dans des espaces inadéquats, multiples, multi-risquées, coupables, mal vécues, misérables en un mot. D’où un sentiment de misère sexuelle qui débouche sur l’agressivité, sur la violence sexuelle comme violence fondée sur le genre, et dans certains cas sur la revendication masculine du retour des femmes au port du voile. Là encore, absence de l’intervention publique. Pas d’éducation sexuelle compréhensive qui montre aux jeunes, et aux non-jeunes, que la violence n’a pas de place dans la sexualité. Que la seule véritable légitimation de l’acte sexuel réside dans le consentement mutuel, dans le désir et le plaisir partagés. Que le seul acte sexuel légitime est l’acte consenti, et ce même dans le cadre du mariage.
Au lieu de cela, il y a un évitement institutionnel de la notion d’éducation sexuelle parce que l’on suppose, à tort, que si elle est dispensée elle va conduire à une activité sexuelle précoce et illégale. On fait semblant d’ignorer que cette activité précoce et illégale est déjà là, et que l’éducation sexuelle est le meilleur moyen pour justement retarder, encadrer et protéger l’activité sexuelle. Par conséquent, la récolte est catastrophique : beaucoup d’infections sexuellement transmissibles, beaucoup de grossesses involontaires, beaucoup d’avortements clandestins, beaucoup de virginités artificielles mensongères, du harcèlement sexuel au quotidien, des viols de jeunes filles, des viols de femmes adultes, des viols d’enfants, des viols de femmes âgées et des viols de l’inceste et de la zoophilie par manque de partenaire…
Des réponses non préventives
Les réponses médicales et judiciaires, l’une thérapeutique et l’autre répressive, sont des réponses a posteriori, non préventives. En amont et comme prévention primaire, l’éducation sexuelle compréhensive doit être dispensée d’abord aux éducateurs : aux parents, aux enseignants, aux professionnels de santé, aux journalistes et aux artistes. Ce sont là les catégories sociales et professionnelles qui éduquent les enfants, les jeunes et les masses. A ce titre, elles doivent être averties, vigilantes, pour ne transmettre que des valeurs sexuelles positives, celles de la responsabilité, de la liberté et de l’égalité de tous les acteurs sexuels. Pour que les éducateurs des deux sexes soient persuasifs et convaincants, il faut qu’ils soient d’abord eux-mêmes persuadés et convaincus. Or au Maroc, on est dans un stade de pré-citoyenneté car l’individu n’est pas encore complètement né, victime d’une dystocie politique structurelle, chronique sans être mortelle pour autant. Un quasi-individu est un pré-citoyen qui ne peut pas accéder à la morale civile, celle basée sur la conscience : faire le bien pour le bien, juste pour ne pas avoir du remords. Sans rechercher de récompense et sans vouloir éviter de châtiment.
Réforme du discours religieux
Dans le même ordre d’idée, une réforme du discours religieux devrait impérativement s’effectuer; ce dernier étant à la fois une matière transversale (enseignée du primaire au bac) et un facteur impactant l’éducation familiale, point de départ du mal, car la société actuelle n’est autre que le reflet des conditionnements subis en famille.
D’après l’interprétation actuelle -basée sur une lecture myope et rétrograde du texte sacré- tout est acquis pour l’homme. Sa seule appartenance au sexe masculin lui suffit de motif de supériorité pour s’adjuger le recours à la violence contre un être par définition «déficient en intelligence et en religion».
Le portrait dressé de la femme, étant en effet celui d’un être ne pouvant jouir de son libre-arbitre (tutelle du père suivie de celle du mari), mais devant être soumis et puni.
L’État devrait faire preuve de bravoure et franchir le cap, car il assume bien une part de responsabilité dans l’instrumentalisation de la religion par la gente masculine pour traiter impitoyablement les femmes, et ce en usant lui-même de la religion dans la sphère publique pour justifier certains actes.
Enfin, ni les efforts de l’école, ni ceux de la loi ne sauraient porter leurs fruits sans des médias engagés pour la cause féminine. D’abord, les contenus sexistes doivent être bannis des médias, lesquels doivent être dorénavant tenus comptables pour tout dérapage dans ce sens.
Le Code de la presse devrait inclure des sanctions appropriées. Ensuite, ces mêmes médias devraient désormais se mobiliser pour atteindre les foyers, et ce par le biais de spots de sensibilisation, d’émissions-débats… afin de phagocyter progressivement la violence.
Amine Sennouni