Elles sont subsahariennes. Elles vivent au Maroc et se sont lancées dans l’entreprenariat. Un univers, généralement difficile d’accès, surtout lorsqu’on est étrangère. Mais auquel elles se dévouent corps et âme et par passion pour leur culture qu’elles veulent promouvoir coûte que coûte au Maroc.
Etre étrangère est un défi, tant il faut s’adapter à son nouvel environnement. Etre en même temps entrepreneure l’est encore davantage, surtout lorsqu’on a tout misé sur son projet et que celui-ci constitue son gagne-pain. Et que tout petit déboire pourrait faire tout virer au drame. Sans oublier le challenge du financement pour ces jeunes femmes qui se lancent généralement dans la mode, la création, les cosmétiques, la bijouterie et dont l’ambition est d’être des ambassadrices de la culture de leurs pays d’origine au Maroc.
Parmi ces femmes ambitieuses, Nandy Beugré, jeune auto-entrepreneure d’origine ivoirienne installée au Maroc depuis 2007, fondatrice d’Exotica, une marque de design et de fabrication de bijoux de fantaisie africains. Arrivée à Agadir en 2007, elle s’inscrit à l’ISIAM où elle fait un Master en audit et contrôle de gestion, en double diplomation. Après l’obtention de son diplôme, elle travaille pendant quelque temps, puis, se donne le défi de maitriser l’anglais. Elle s’inscrit alors au programme MBA de l’université Al Akhawayn d’Ifrane. Tout juste diplômée en MBA, Nandy se lance dès janvier 2017 dans un projet d’entreprise qu’elle baptise «Exotica Beauté».
La marque se spécialise dans les bijoux africains fait-mains inspirés d’un métissage entre la culture marocaine et ivoirienne, agrémenté d’une touche de modernité. Colliers, bracelets, boucles d’oreilles… la jeune créatrice les fait à partir de produits artisanaux africains comme le pagne, les matières employées dans la confection des djellabas, les tissus, les fils, les boutons marocains… «Le tout dépend de mon inspiration. Je m’inspire des cultures africaines de chez moi, du Kenya, d’Afrique du Sud. Je dessine le modèle que j’ai en tête et je cherche les matières adéquates», confie-t-elle sur un blog de mode.
C’est en mars 2017 que Nandy fonde «Exotica», mais son envie d’entreprendre remonte à plusieurs années. «L’envie d’entreprendre m’est venue il y a 3 ans», confie-t-elle au blog. Attirée par le monde exotique, alors qu’elle est encore étudiante, elle se lance premièrement dans la décoration florale pour les cérémonies de mariages… «Je n’avais pas beaucoup de temps à consacrer à ce projet, donc je faisais essentiellement de la décoration pour des amis ici au Maroc et quelques fois au pays, quand j’avais l’occasion de rentrer», déclare-t-elle. C’est en janvier 2017, alors qu’elle dispose de plus de temps libre, qu’elle se consacre à la création d’accessoires à plein temps.
En moins d’une année, la jeune créatrice a pu participer à de nombreuses expositions et installer son stand parmi ceux des entrepreneurs marocains et d’autres nationalités. Elle a organisé des ventes privées dans sa ville de résidence, Agadir. En été dernier, elle a participé au Shopping festival au Morocco Mall, de même qu’à une exposition organisée à la CDG de Rabat et à l’Ecole belge de Casablanca, organisée par la Fondation Mohammed VI, en partenariat avec l’ambassade de Belgique. Désireuse de faire évoluer son projet, elle a participé en décembre dernier à la 5e escale de la Caravane des auto-entrepreneurs à Béni Mellal organisée par Al Barid Bank et au cours de laquelle elle a été distinguée. Lors du premier Salon de l’économie sociale et solidaire organisé entre le Maroc, le Sénégal et la Côte d’Ivoire du 18 au 27 novembre à Casablanca, la jeune entrepreneure a eu le privilège d’exposer ses créations au public. «Aujourd’hui je suis vraiment à la conquête du marché de la mode africaine. Le Maroc offre d’énormes opportunités que je compte bien saisir», confie-t-elle. D’ailleurs, depuis août 2017, la marque dispose d’une boutique en ligne sur le site «afrikrea.com» où elle vend ses produits, de même que sur le site d’e-commerce Jumia à des prix variant entre 8 et 35 euros. Déterminée à valoriser la femme africaine, la jeune entrepreneure de 29 ans ambitionne dans un futur proche de monter une association de jeunes femmes.
L’histoire de Nandy n’est pas sans rappeler celle de Sorele Wabo, jeune entrepreneure camerounaise, consacrée en 2016 en tant que femme entrepreneure de l’année par Hub Africa, pour son projet Masteryze. Une entreprise d’import-export créée en 2014, spécialisée dans l’intermédiation d’affaires et le négoce de fruits tropicaux Bio, fruits secs et commodités agricoles tropicales (Karité, Miel, etc) et dont la vocation est de promouvoir la commercialisation des produits d’Afrique subsaharienne sur l’ensemble du continent. L’entreprise offre, notamment son savoir-faire, son expertise pour permettre à ses clients de s’approvisionner facilement en Afrique subsaharienne. L’entreprise facilite les opérations d’achat et Vente, la recherche de partenariat, la recherche de fournisseurs ou clients, la recherche de marché d’écoulement des produits en Afrique Subsaharienne, notamment pour les entrepreneurs marocains.
Dans ce cadre, la jeune entrepreneure est directrice des opérations de Klarité, une marque de cosmétiques à base de beurre de karité, un ingrédient de beauté très prisé en Afrique subsaharienne et utilisé pour protéger et nourrir la peau et les cheveux chez les femmes. L’objectif de la marque est de faire connaitre le beurre de karité pur dont les qualités sont généralement altérées par l’excès de raffinage. Klarité propose, notamment des produits enrichis à base de pur beurre de Karité et testés sous contrôle dermatologique et disponibles en pharmacie pour le visage, les cheveux ou encore les bébés. En plus d’être fortement enrichis en beurre de Karité, les shampoings et gels douche de la marque le sont aussi en huile d’argan.
Si la marque ambitionne de promouvoir le beurre de Karité, elle vise surtout «un développement autonome des femmes organisées en coopératives, en valorisant leur travail par la maîtrise d’un procédé de production doux permettant de préserver les propriétés du beurre», confiait Sorele Wabo dans une interview à Al Bayane. Pour valoriser ce travail, Klarité travaille avec une coopérative féminine burkinabè qui emploie près de 2400 femmes et est spécialisée dans la production de pur beurre de karité pour de grands comptes à l’international. Il faut souligner que c’est un travail de longue haleine qu’accomplissent ces femmes qui récoltent de manière artisanale, les fruits du karité; extraient ses noix séchées et les concassent, malaxent pour obtenir une pâte, le fameux beurre, reconnu comme un produit de beauté universel et irremplaçable. «Nous mettons un point d’honneur à assurer la traçabilité et l’authenticité de nos produits. Ceci passe par l’exigence de certificats de conformités bio et équitables que nous exigeons à nos fournisseurs respectifs», expliquait Sorele Wabo.
Selon une enquête réalisée par l’ENCG et Hub Africa, dont les résultats ont été présentés en 2017, 68% de Subsahariens au Maroc ont le projet de créer une entreprise dans leur pays d’origine. 31,3% de cette population souhaite rester au Maroc et développer un projet dans leur pays d’origine, alors que 11% désire vivre au Royaume et y développer un projet. Cette enquête identifiait le commerce, l’agroalimentaire, l’informatique et le secteur bancaire comme les secteurs de prédilection des Subsahariens au Maroc. Parmi les principaux écueils à l’entreprenariat de cette population, relevait la même enquête, figurent l’absence d’accompagnement des entrepreneurs (53%), la corruption (47%) et les contraintes liées au financement (20%). Selon cette étude, 10% des Subsahariens interrogés jugent les démarches de création de projets au Maroc excellent, 35% bonnes et 23% insatisfaisantes. Dans ses conclusions, l’étude recommandait la création d’une instance consacrée à la diaspora africaine pour l’accompagner dans le processus de création et de mise en œuvre de projets.
Danielle Engolo