Le Carnaval de Rio de cette année 2019 est la première manifestation de grande envergure qui se tient au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir le 1er Janvier dernier du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro.
Mais, si d’ordinaire, pendant cet évènement, tout s’arrête à Rio et que la ville vit, pendant une semaine, au rythme de la samba, le carnaval qui a débuté ce 1er mars 2019 a un goût très particulier. Il se déroule, en effet, dans un contexte politique spécifique puisque le pays est, désormais, entre les mains d’un nostalgique de la dictature militaire et que l’ancien président socialiste est derrière les barreaux pour répondre de faits de corruption et de détournements de fonds. Mettant en valeur les femmes, les Noirs, les Indiens et même les minorités sexuelles, le carnaval de cette année adressera un message à contrepied du discours raciste, machiste et homophobe du nouveau président.
Ainsi, si cette manifestation culturelle a toujours été l’occasion pour les «carnavaliers» d’adresser au pouvoir quelques messages ayant trait notamment à l’amélioration de leurs conditions d’existence, les revendications de cette année sont diverses et multiples. Elles portent essentiellement sur les droits des femmes, des noirs, des indiens, des minorités sexuelles et sur la défense de l’environnement dans la mesure où le nouveau chef de l’Etat n’a jamais caché ni son mépris pour les populations indigènes ni son homophobie. Personne n’oubliera, en effet, que ce nouveau président et ancien capitaine de l’armée, résolument «anti-establishment», ardent défenseur de l’autoritarisme militaire, raciste, misogyne et homophobe avait fait part en 1998 au journal «Correio braziliense» de sa profonde déception que «la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les américains qui eux ont exterminé leurs Indiens».
Venu de son village de Metuktire, dans la réserve de «Capoto Jarina», dans l’Etat du Mato Grosso à l’occasion de ce carnaval, un chef indien répondant au nom de Raoni, lèvre inférieure distendue et portant une vieille chemise blanche, dira, à des journalistes venus l’interroger, que «le président doit nous respecter. La préservation de la forêt est notre affaire mais elle est aussi celle de l’homme blanc. Nous avons tous besoin d’air pur pour respirer et d’eau potable pour nous désaltérer». Il ajoutera : «Le gouvernement doit comprendre que, dans ce pays, vivent l’indigène et le blanc et que chacun a son propre mode de vie. Nous vivons de la chasse et de la pêche alors que le Blanc en élevant du bétail sur de grandes propriétés se rapproche de nous et menace nos terres. Nous voulons voir le président, les ministres et le Congrès pour savoir ce qu’ils veulent faire exactement. Nous voulons dialoguer !».
Sur certaines pancartes, on pourrait lire «Dehors Crivella». Ce dernier est maire conservateur de Rio qui a réduit de moitié le budget généralement alloué aux écoles de Samba.
Evelyne Bastos qui participera au défilé en tant que reine de la batterie de Mangueira, au cœur d’un groupe de percussionnistes, entend «montrer le courage des Noirs, en évoquant des personnages très importants notamment des femmes noires mais aussi les Indiens car ce sont ceux-là les vrais bâtisseurs de l’histoire du Brésil» et chanter à la mémoire de Marielle Franco, une conseillère municipale noire de Rio, fervente protectrice des minorités assassinée il y a près d’une année.
Disons pour terminer que, quoiqu’il en coûte, le Carnaval de Rio servira toujours d’exutoire à la population, de rituel sacré lui offrant défoulement, purification et catharsis collective surtout avec l’arrivée aux commandes du pays d’un président d’extrême-droite qui aimerait tant y mettre fin. Y parviendra-t-il alors que la population, dans son ensemble, n’y est que trop attachée ? Impossible à première vue car c’est de l’Histoire de tout un peuple qu’il s’agit mais attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi