75 ans depuis la Grande victoire
Des milliers de soldats vont défiler mercredi sur la place Rouge sous les yeux de Vladimir Poutine, un moment de communion patriotique malgré la pandémie. Cette parade militaire célébrant les 75 ans de la victoire sur la nazisme était initialement prévue le 9 mai, comme tous les ans, mais le Kremlin avait été contraint de la reporter à cause de la propagation du nouveau coronavirus. Dans les rues de Moscou, environ 13.000 soldats russes et de treize autres pays, dont des Indiens et des Chinois, doivent défiler. Le président russe, dont ce sera l’une des premières sorties en public depuis le début de la pandémie, pourra également superviser le défilé de plus de 200 véhicules blindés et pièces d’artillerie. Voici une traduction non-officielle du discours du président russe, Vladimir POUTINE du 19 juin 2020. La traduction est réalisée par l’agence «Sputnik France».
Cela fait 75 ans que la Grande Guerre patriotique a pris fin. Plusieurs générations ont grandi depuis et la carte politique du monde a changé. L’Union soviétique, qui a remporté une victoire grandiose et fulgurante sur le nazisme, qui a sauvé le monde entier, n’existe plus. D’ailleurs, les événements mêmes de cette guerre appartiennent à un passé lointain, même pour ses participants. Mais pourquoi la Russie célèbre-t-elle le 9 mai comme sa fête principale, alors que le 22 juin, la vie semble se figer et une boule se forme dans la gorge?
Nous avons l’habitude de dire que la guerre a laissé une profonde cicatrice dans l’histoire de chaque famille. Ces paroles ont trait aux destinées de millions de personnes, à leurs souffrances, à la douleur des pertes. Fierté, vérité et mémoire.…
Cela étant, je suis certain que c’est un trait de caractère des peuples de Russie: remplir son devoir sans se ménager si les circonstances l’exigent. L’abnégation, le patriotisme, l’amour du foyer, de la famille et de la Patrie, ces valeurs restent aujourd’hui encore fondamentales et décisives pour la société russe. En gros, ce sont elles qui assurent dans une grande mesure la souveraineté de notre pays.
Aujourd’hui, nous avons de nouvelles traditions introduites par le peuple, comme le Régiment immortel. C’est une marche de notre mémoire reconnaissante, d’un lien vivant de sang entre les générations. Des millions de personnes défilent dans les rues avec les photos de membres de leurs familles qui ont défendu la Patrie et écrasé le nazisme. Cela signifie que leur vie, leurs sacrifices et leurs épreuves, la Victoire qu’ils nous ont transmise ne seront jamais oubliés.
Par conséquent, il est nécessaire de poursuivre l’analyse des causes qui ont conduit à une guerre mondiale, de réfléchir à ses événements complexes, ses drames et ses victoires, à ses leçons pour notre pays et le monde entier. Je le répèterai, il est d’une importance fondamentale de s’appuyer dans ce domaine uniquement sur des documents d’archives, des déclarations de témoins, en excluant toute conjecture idéologique ou politisée…
Comme on le sait, les événements du passé ne connaissent pas de mode subjonctif. Je vais dire seulement qu’en septembre 1939 les dirigeants soviétiques avaient la possibilité réelle de repousser les frontières occidentales de l’URSS encore plus à l’ouest, jusqu’à Varsovie, mais ils ont décidé de ne pas le faire.
La Seconde Guerre mondiale n’a pas éclaté du jour au lendemain, elle n’a pas commencé subitement, d’un coup. L’agression allemande contre la Pologne n’a pas été soudaine non plus. C’est le résultat de nombreux facteurs et tendances de la politique mondiale de l’époque. Tous les événements d’avant-guerre ont formé les maillons d’une chaîne fatidique. Mais ce qui a surtout prédéterminé la plus grande tragédie de l’histoire de l’humanité, c’est l’égoïsme d’État, la lâcheté, la complaisance envers un agresseur qui devenait de plus en plus fort, le manque de détermination des élites politiques à chercher un compromis.
Il est par conséquent injuste de dire que la visite de deux jours à Moscou du ministre nazi des Affaires étrangères Ribbentrop est la principale raison qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale. Tous les principaux pays portent leur part plus ou moins grande de responsabilité pour son éclatement. Chacun a commis des erreurs irréparables, estimant avec arrogance qu’il est possible de se jouer des autres, d’obtenir des avantages unilatéraux ou de rester à l’écart du malheur mondial imminent. Et cette myopie, ce refus de créer un système de sécurité collective a coûté des millions de vies, des pertes colossales.
Je l’écris sans la moindre intention de tenir le rôle de juge, de blâmer ou de justifier quelqu’un et d’autant moins d’initier un nouveau tour de confrontation internationale de l’information sur l’échiquier historique, confrontation qui pourrait faire entrer en collision des États et des peuples. J’estime que c’est la science académique, avec une large représentation de scientifiques de renom de différents pays, qui doit chercher des évaluations équilibrées des événements passés. Nous avons tous besoin de vérité et d’objectivité. Pour ma part, j’ai appelé et j’appelle toujours mes collègues à un dialogue calme, ouvert et confiant, à une opinion autocritique et impartiale de notre passé commun. Une telle approche permettra de ne pas répéter les erreurs commises à l’époque et de garantir un développement pacifique et prospère pour les années à venir…
Notre devoir, envers tous ceux qui assument des responsabilités politiques, avant tout envers les représentants des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, est de garantir que ce système soit préservé et perfectionné. Aujourd’hui, tout comme en 1945, il est important de faire preuve de volonté politique et de discuter ensemble de l’avenir. Nos collègues – MM. Xi Jinping, Emmanuel Macron, Donald Trump, Boris Johnson – ont soutenu l’initiative russe de tenir une réunion des dirigeants des cinq États nucléaires membres permanents du Conseil de sécurité. Nous les en remercions et nous espérons qu’une telle réunion personnelle pourra avoir lieu dès que possible.
Comment voyons-nous l’ordre du jour du prochain sommet? Tout d’abord, il est opportun, à notre avis, d’évoquer les étapes pour développer le principe de collectivité dans les affaires mondiales, de parler ouvertement du maintien de la paix, du renforcement de la sécurité mondiale et régionale, du contrôle des armements stratégiques, des efforts conjoints pour lutter contre le terrorisme, l’extrémisme et les autres défis et dangers d’actualité.
Un autre sujet de l’ordre du jour serait la situation de l’économie mondiale, avant tout les moyens de surmonter la crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19. Nos pays prennent des mesures sans précédent pour protéger la santé et la vie des gens, pour soutenir les habitants s’étant retrouvés dans une situation difficile. Mais la gravité des conséquences de la pandémie, la vitesse avec laquelle l’économie mondiale surmontera la récession dépendront de notre capacité à travailler ensemble et de concert, comme de vrais partenaires. Il est d’autant plus inacceptable de faire de l’économie un instrument de pression et de confrontation. Parmi les autres sujets: la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, ainsi que la garantie de la sécurité de l’espace mondial de l’information.
L’agenda proposé par la Russie pour le prochain sommet des Cinq du Conseil de sécurité est extrêmement important et d’actualité pour nos pays et le monde entier. Et nous avons des idées et des initiatives à formuler sur tous les points.
Il est certain que le sommet de la Russie, de la Chine, de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni jouera un rôle important dans la recherche de réponses communes aux défis et menaces modernes et manifestera un engagement commun à l’esprit allié, aux valeurs et idéaux humanistes pour lesquels nos pères et nos grands-pères ont lutté côte à côte.
Vladimir POUTINE
(Moscou, 19 juin 2020)