Trois questions à l’universitaire Mohamed Akaaboune
Dans un entretien accordé à la MAP, le professeur d’Economie à l’Université Mohammed V (Rabat), Mohamed Akaaboune, décrypte les nouvelles mesures adoptées par Bank Al-Maghrib (BAM) pour atténuer l’impact de la pandémie liée au Covid-19 et donner un nouveau souffle à l’économie nationale.
Que pensez-vous des dernières mesures adoptées par Bank Al-Maghrib pour soutenir la relance de l’économie et de l’emploi?
Les nouvelles mesures de politique monétaire au Maroc ont commencé à être adoptées par Bank Al-Maghrib bien avant la propagation de la pandémie. Ainsi, la Banque centrale a adopté au début de l’année 2020 des mesures spécifiques dans le cadre d’un programme d’appui et de financement des entreprises permettant aux banques de bénéficier d’une ligne de refinancement des crédits qui bénéficient de la garantie du Fonds d’appui au financement de l’entrepreneuriat géré par la CCG.
L’arrivée de la crise sanitaire a poussé les autorités monétaires à adopter de nouvelles mesures, notamment le renforcement du programme de refinancement en faveur des TPME en couvrant les crédits de fonctionnement en plus des crédits d’investissement, l’élargissement du collatéral éligible aux opérations de refinancement ainsi que l’extension de la durée de remboursement, mais aussi l’allègement temporaire des règles prudentielles. En outre, à l’issue de la réunion du conseil de la Banque centrale, cette dernière a décidé de mettre en place des dispositions spécifiques pour fournir un appui au refinancement des banques participatives et aux associations de microcrédit.
Afin que toutes ces dispositions puissent soutenir l’activité économique et l’emploi, il serait judicieux que BAM concentre ses interventions sur ces nouvelles mesures en réduisant ses opérations de refinancement conventionnel, notamment les avances à 7 jours, afin d’inciter les banques commerciales à solliciter davantage la Banque centrale via ses opérations non conventionnelles qui sont étroitement liées au financement de l’économie réelle.
Quelle est votre lecture de la décision de BAM de réduire son taux directeur à 1,5%?
La décision de la Banque centrale de baisser son taux directeur, à l’issue de la réunion de son conseil, est la deuxième de ce genre en 2020. Ce principal taux de refinancement des banques marocaines auprès de Bank Al-Maghrib est passé de 2,25% à 2% le 17 mars et ensuite à 1,5% mardi dernier.
Cette baisse du taux directeur se justifie par la conjoncture difficile que connait le pays actuellement, compte tenu principalement des restrictions mises en place pour limiter la propagation du Covid-19 et des conditions climatiques défavorables. Dans ce sens, les projections macroéconomiques de l’institut d’émission dans son dernier rapport de politique monétaire montrent que l’économie nationale devrait connaitre une contraction de 5,2% en 2020.
L’effet souhaité de la baisse du taux directeur est alors d’influencer les taux sur le marché interbancaire à la baisse pour ensuite se transmettre aux taux débiteurs et encourager théoriquement la demande de crédits émanant des ménages et des entreprises, l’objectif est la relance de la demande globale et donc de l’activité économique. Toutefois, ce canal de transmission des changements du taux directeur à l’économie réelle ne fonctionne pas toujours comme le souhaitent les Banques centrales.
Quel est l’impact de la libération du compte de réserve de votre point de vue?
L’objectif recherché par la décision de Bank Al-Maghrib de libérer intégralement le compte de la réserve est de renforcer le rôle des banques dans le financement de l’économie, afin de faire face au contexte de la crise pandémique du Covid-19. Cette décision permet aux banques de disposer d’une liquidité supplémentaire qui était déposée auprès de l’institut d’émission sous forme de réserve obligatoire.
Cette liquidité devrait stimuler l’offre de crédit afin de relancer l’activité économique. Toutefois, en période de crise, généralement les banques deviennent prudentes en matière de distribution de crédits suite à la montée des problèmes d’insolvabilité chez les agents économiques, ce qui soulève les risques d’aléa moral et de sélection adverse.
En outre, comme pour la baisse du taux directeur, la libération du compte de réserve profite à toutes les banques sans distinction entre celles qui sont performantes en matière de distribution de crédits et celles qui ne le sont pas. Cette mesure aurait pu avoir plus d’impact si la libération était conditionnée par l’octroi de crédit.
L’impact de la décision de la libération intégrale de ce compte de réserve va dépendre de la discrétion des banques à affecter cette liquidité au financement de l’économie et non pas des incitations offertes par la Banque centrale.