A propos du sujet de l’altérité

Lecture dans le texte de Majid Safouane

Par Abdelmajid  Baroudi

Je me suis contenté dans cette lecture du texte de Majid Safouane de me focaliser sur la notion du Sujet en tant que sécrétion de la pensée occidentale moderne. La seconde partie du texte de Majid Safouane consacrée au sujet paradigmatique de la psychanalyse et le mode arabo-islamique, mérite une distanciation pour dévoiler l’autre visage de la défaillance originale.

Le texte que Majid Safouane(2) a écrit dans  l’ouvrage collective du vivre ensemble: Le tissu de nos singularités(3) a stimulé mon intérêt et aiguisé mon appétit intellectuel par rapport à la notion du sujet. L’une des idées clefs de ce texte, c’est que le sujet doit être perçu dans l’altérité. Autrement dit: Je suis, ne se réduit pas à une «mêmeté» tautologique selon laquelle l’identité du sujet se définit à partir d’un paradigme Aristotélicien dont l’essence, pour reprendre la formule logique d’Aristote, réside dans le parler, raisonner.

L’Homme est un animal parlant, cette attribution formelle exclut les éléments constitutifs de l’altérité, laquelle est marquée par une intersubjectivité animée par la variation des rapports intentionnels des sujets à l’environnement d’une part, et la possibilités de ces sujets de se comprendre, d’autre part. Par ailleurs, le parler en tant qu’identité relative à la raison telle qu’elle est défini e par Aristote diffère du parler, comme le montre bien Majid Safouane, de celui que Lacan a développé et qui rallie le langage à l’Inconscient.

Cette distinction est déterminante, dans la mesure où elle nous permet de faire la différence entre la notion de l’Homme dans sa portée globale et l’individu en tant que singularité exprimée par le Je, symbole de modernité qui rompt avec le Nous grec.

Au-delà de la connotation je dirais politique du sujet, dans laquelle il se trouve assujetti aux lois dont il est le fondateur et auxquels il doit se soumettre ou au contraire assujetti arbitrairement sans le vouloir, le statut de ce Je représente un revirement dans l’histoire de la pensée moderne, occidentale. Il s’ensuit que la modernité ne se limite pas au politique / éthique que la justice doit s’en saisir pour la bonne gestion de la cité, elle se déploie dans la dynamique de l’activité et la créativité, pour paraphraser Leibniz.

Ce même sujet bénéficiera de son droit de subjectivité lui permettant d’adhérer aux «valeurs de l’individualisme. Il ne peut être satisfait de lui-même que s’il peut attribuer à lui-même, à son propre choix, la responsabilité de ce qu’il est.» (4) La question qu’on doit poser, par rapport au renversement opéré du Nous au profit du Je, est la suivante : comment la culture occidentale a- t- elle valorisé l’individualisme?

La piste proposée par Majid Safouane selon laquelle une approche psychanalytique de ce renversement de l’identité métaphysique du sujet qui le réduit à une substance pensante, se construit inconsciemment dans la langue et que cette construction s’est faite dans la douleur représentée par le meurtre du Père , cette piste nous aide à saisir la carence de la raison telle qu’elle était formulée dans le paradigme Aristotélicien et en même temps nous autorise à assister à l’éclatement d’une identité qui s’est contentée de la «mêmeté» sans convoquer l’altérité, lequel éclatement s’est effectué dans la souffrance.

Maijd Safouane nous explique que «le meurtre du Père de la horde primitive contenu dans Totem et Tabou, permet à Freud –et c’est là son génie- de nouer par l’entremise de la notion d’Inconscient le contenu singulier du psychisme et son équivalent à l’échelle du collectif» (5) Au demeurant, la symbolique du meurtre nous renvoie au drame de la métaphysique suite aux insuffisances de la conscience à se saisir de la complexité de la condition humaine et sa limite à décortiquer d’autres composantes de la personne au-delà de la raison.

Le bouleversement des sciences exactes et humaines du savoir, jadis monopolisé par la philosophie grecque, témoigne de cette mort tragique du Père et annonce le début de la défaillance originelle, pour reprendre Majid Safouane. Le meurtre commis par la modernité est en quelque sorte une vengeance de l’Humain au détriment du Divin. C’est pour ce la que l’idée selon laquelle la contrainte sociale est devenue la religion de l’Homme moderne, d’après André Conte-Sponville, met en avant la liberté individuelle et considère que le sujet est maître de son être étant au sens Heideggérien du terme. D’autant plus que «le subjectum, à partir de là, explique notamment Heidegger, devient le nom qui dénomme autant le sujet dans la relation sujet-objet que dans la relation sujet-prédicat» (6) Force est de constater que tuer a pour cible une conception formelle, voire tautologique qui verrouille le sujet dans une formule identitaire et ne prête aucun intérêt à l’ouverture du sujet sur l’objet ni même sur son alter- égo.

Du coup, philosopher au sens métaphysique cède la place à théoriser une altérité qui marque la différence intersubjective et le rapport entre sujet et objet qu’exige la rigueur scientifique. Désormais, la symbolique de la mort qui revalorise la subjectivité assigne à la vérité sa portée terrestre au détriment d’une idéalisation qui transcende le réel.

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