Abdellatif Ouammou: comment de la diversité linguistique un levier du développement du pays

C’est à travers une bonne gestion de sa diversité linguistique et culturelle que le Maroc peut faire de ses langues et des expressions culturelles et des parlers qui y sont pratiqués un levier de son développement durable, a souligné le Conseiller Abdellatif Ouammou, président du Groupe de l’Action progressiste (PPS), lors de la séance mensuelle du mardi 19 juin consacrée par la Chambre des Conseillers aux réponses du chef du gouvernement sur  la politique générale concernant le développement des langues et des expressions culturelles nationales qui se pratiquent dans le pays.

Dans sa réplique aux réponses du chef du gouvernement, Saâd Eddine Othmani, Maitre Ouammou a estimé que la politique de l’Etat en matière de gestion de la diversité linguistique du pays et des expressions et parlers qui y sont pratiqués semble quelque peu ambigüe et confuse, étant donné qu’elle manque de rationalité et que le statut juridique des langues officielles (l’arabe, l’amazigh, le Hassani et autres dialectes) et des autres expressions n’est pas clair. Les fonctions de ces langues ne sont pas définies en particulier au sein de l’école et de l’université marocaines, du fait de l’absence d’une politique éducative claire. L’existence de toutes ces expressions aux cotés de langues étrangères représente pour les uns une anarchie linguistique et constitue pour d’autres une source de diversité, de richesse et de distinction.

Pour Ouammou, la politique linguistique se définit comme étant «l’ensemble des options conscientes prises dans le domaine des rapports entre la langue et la vie sociale». C’est le fruit de l’évolution dialectique des rapports de lutte, du consensus et de la coexistence. C’est aussi un ensemble d’options volontaristes influant l’acte de propulsion ou de marginalisation d’une langue au détriment d’une autre. Elle est aussi une entreprise visant à la recherche d’un équilibre ou de consensus entre elles.

D’après Me Ouammou, l’Etat assume en premier la responsabilité de faire le diagnostic de la situation linguistique à travers la mise en place d’une politique linguistique concomitamment avec une planification linguistique qui cible à prime abord la langue maternelle ou la langue constitutionnelle. Devant la diversité des parlers et l’anarchie linguistique que connait la société marocaine, les deux langues arabe et amazighe en leur qualité de langues constitutionnelles ont besoin d’une planification linguistique qui permette de les élever au plus haut niveau et de les développer tout en oeuvrant pour davantage d’ouverture sur le monde.

Les Nations Unies ont choisi le 21 février pour la célébration de la journée internationale des langues maternelles. La langue maternelle est celle qui se pratique à l’intérieur du foyer et de la famille. L’Onu souligne à ce propos la nécessité de réserver une place de choix à la langue maternelle au sein de l’école, pour qu’il n’y ait pas de confrontation ou d’incompatibilité qui éloignent l’enfant de la scolarité et le poussent à l’abandon scolaire.

Selon le Conseiller, il est nécessaire d’adopter une politique linguistique équitable et une planification linguistique rationnelle pour la gestion de la réalité de la diversité, s’agissant aussi bien de la préservation du patrimoine civilisationnel et identitaire des Marocains que de la garantie du droit à l’apprentissage de la langue maternelle ou mieux encore de la nécessité de faire sortir le système d’éducation de sa médiocrité.

C’est pourquoi, il est nécessaire de définir à chaque langue sa fonction, de la qualifier, de la préparer et de l’ingérer dans le système d’éducation tout en donnant la primauté aux langues identitaires des valeurs et des traditions et us (langues existentielles) dans les cycles préscolaires et le primaire, en attendant d’inverser la balance au profit des langues de l’ouverture et d’accompagnement à partir du cycle de qualification, compte tenu de leur importance dans la préparation des cycles de recherches académiques et techniques.

Mais l’enseignement ne se limite pas à la transmission de la connaissance et des capacités comportementales et sociales, mais également à la transmission des valeurs, a-t-il estimé. Quant au droit à l’enseignement, il implique aussi la reconnaissance de la diversité des besoins de l’apprenant. Il comporte aussi l’apprentissage des capacités de traitement entre les cultures qui nous permettent de vivre en paix avec nos disparités culturelles et sociales et non pas en contradiction/négation avec elles, a-t-il expliqué.

Mais pourquoi cherche-t-on à apprendre s’est interrogé, avant de répondre que l’on apprend en fin de compte pour Etre, Savoir, Faire et Vivre en commun

La réussite dans la mise en œuvre de ces principes dans l’approche d’utilisation des langues dans le système éducatif national requiert de mettre la diversité linguistique et la richesse culturelle du pays au cœur de l’équation du développement et à son service. Si la gestion de la diversité linguistique est bonne, les langues deviennent une plus value dans l’acte du développement, a-t-il souligné.

Il a par ailleurs indiqué, qu’au niveau territorial, la Région renvoie en premier au pays et au cadre unifié. Elle renvoie aussi à la particularité de la différence et de la pluralité, qui offrent pour leur part la possibilité d’application d’une politique linguistique locale comme affluent d’une politique nationale globale. La diversité se déploie pour l’édification et le renforcement de l’unité.

Le défi culturel à relever par la société marocaine multilingue et multiculturelle consiste à concilier entre la reconnaissance des spécificités linguistiques et culturelles, leur protection et leur respect d’une part et la consécration des valeurs communes universelles et leur protection d’autre part.

Interviennent dans la gestion linguistique le politique, l’idéologique, l’identitaire et l’institutionnel. C’est pourquoi, il est temps, a-t-il recommandé, de parvenir à un «armistice» linguistique pour ne pas attiser les hostilités qui ferment les portes du dialogue pour pouvoir dépasser les tiraillements identitaires et permettre aux spécialistes de réguler le « marché linguistique » et sortir avec une politique équitable, juste et intégrée dans le cadre de la reproduction des institutions spécialisées (le Conseil national des langues et de la culture marocaines, le Conseil supérieur de l’éducation et de la formation, l’Institut royal de la langue amazighe, l’Académie Mohammed VI de la langue arabe, l’Instance spécialisée de la langue Hassanie, des dialectes et des autres expressions culturelles marocaines, L’Instance spécialisée dans le développement de la culture et la préservation du patrimoine, l’Instance spécialisée pour le développement de l’utilisation des langues étrangères….).

La différence n’altère en rien l’amitié, tant l’objectif suprême vise l’élaboration d’une vision homogène et intégrée de la pluralité linguistique et culturelle dans le cadre de l’unité nationale, a-t-il affirmé.

C’est pourquoi, il importe de considérer le dialogue non pas comme une perte de soi mais comme une tentative de connaissance et d’édification de l’identité nationale, a-t-il martelé.

C’est pourquoi, il importe aussi de permettre à tous les partenaires de participer à l’élaboration de la politique et de la planification linguistiques dans le but d’assurer un développement durable, de préserver les droits humains, les libertés et de contribuer à la cohésion sociale et la gouvernance démocratique.

Au début de son intervention, le Conseiller Ouammou avait rappelé que la Constitution de 2011 avait délimité dans son article 5 à chacune des langues nationales sa place dans le paysage linguistique et culturel national.

Voici l’intitulé de l’article 5 :

 «L’arabe demeure la langue officielle de l’État.
L’Etat oeuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation.
De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.
Une loi organique définit le processus de mise en oeuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.
L’Etat oeuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines.
Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement».

 M’Barek Tafsi

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