Absolut Hob ou l’ascension vers l’au-delà

Un narrateur narrant sans récit, un peintre peignant sans peinture et des corps dialoguant sans propos, telle est la marque de fabrique de l’écrivain Rachid Khaless pour tisser les fils de son dernier roman poétique Absolut Hob, l’œuvre dont les héros, éperdument amoureux, abattent les murs de l’impossible pour faire de leur amour, un amour possible.

Le prélude de l’histoire «Qui n’a jamais possédé corps de femme, qu’il jette ce livre et qu’il s’en lave les mains», semble priver les femmes de leur liberté de disposer de leur corps. Pourtant, si l’on transcende à l’explicite et l’on interroge l’implicite, on se place devant une question qui touche en profondeur la condition féminine, encore précaire dans notre pays.

 En effet, tous les passages qui évoquent le corps de la femme, l’exhibent de façon morcelée. Que ce soit celui de Lilas, lieu de jouissance et d’enchantement ou celui d’Ijja, mémoire et archive, l’auteur n’en décrit que des parties. Ce morcèlement n’est certes pas fortuit, il témoigne d’une conscience, enveloppée d’une vraie volonté, de mettre en lumière la vulnérabilité de la condition féminine dans notre société.

Sur le même chemin de Barthes, qui voit que le texte n’appartient pas à son auteur, mais au lecteur qui lui donne de nouvelles dimensions, dès qu’il en possède la résonance, l’écrivain établit un parallélisme judicieux, en interpellant des fragments du corps de la femme. Un corps dont elle perd la disposition une fois dans les mains d’une société qui le réduit à un objet de divertissement et de reproduction.

Or, comment l’écrivain interpelle-t-il les femmes libres dans ses dédicaces alors qu’il fait de leur corps leur milieu carcéral? Comment ose-t-il joindre l’injoignable dans une même œuvre?

Pour répondre à ces questions, et à bien d’autres, l’auteur d’Absolut Hob joint fond et forme, pour faire de son œuvre un flambeau guidant les femmes vers la libération de leur corps des carcans sociaux, qui pèsent lourd sur leur émancipation.

Au-delà de la condition féminine, l’amour occupe, aussi, une place centrale dans le récit. Ce dernier dénude l’histoire d’un couple passionnément épris qui se nourrit des délices de la chair pour guérir les écorchures du temps, témoignant ainsi que l’amour renforce l’âme du même que le squelette raffermit le corps.

Le voyage que mène le narrateur vers le sud, symbolise une quête de repères, rappelant de ce fait la célèbre toile d’Alberto Giacometti; «L’homme qui marche » pour se trouver des issues, dans une situation sans issues. L’homme qui erre pour fuir l’errance qu’engendre les crises de communication dans les sociétés contemporaines.

L’absence du langage verbale entre les deux protagonistes, que remplace celui du corps, accentue l’atmosphère conflictuelle où baigne notre milieu socioculturel.

A travers l’aventure, le héros d’Absolut Hob, livré à l’anonymat, brave les voix de la réalité qui ne cessent de lui rappeler les tourments de la vie où il divague, pour mériter l’amour de sa femme. Lilas, la fleur dont la floraison printanière voit le jour pour et par l’amour. Pour lui, elle est plus belle et plus splendide pour être une réalité, c’est un rêve, un rêve inaccessible.

Cette notion d’inaccessibilité réfère aux traits de la femme Baudelairienne et orphique. Des femmes que l’amour a métamorphosées en source d’inspiration. Des femmes dont les amants ont eu cette prise de conscience que ces créatures divines sont faites pour être libres et non incarcérées, comme en témoigne la clausule de l’œuvre.

La décision du narrateur de laisser faner sa fleur est très bien réfléchie. Elle révèle sa prise de conscience qu’il serait impossible de savourer le goût de la liesse d’une âme qui étouffe déjà.

Née d’une mère émancipée, Lilas ne peut que suivre la voie des femmes libres. Elle, qui fleurit pour embellir le jardin du narrateur, étouffe au flétrissement, avec chaque mauvaise odeur qui se dégageait du cadavre maintenu d’Ijja, ou ‘ce qui sentait bon’.

Œuvre de conscience, mettant en scène des héros conscients, Absolut Hob est un spectacle de voir à ne plus voir, d’aimer à faire mourir. C’est une agonie vers une nouvelle vie, une mise à mort dans le désir de faire durer, une ascension fatale vers l’au-delà.

Fatima Ezzahra Abouabdillah

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