Absolut Hob, un roman à énigme

Quoique le livre soit mince (guère plus de 170 pages), il se rattrape dans une profondeur insondable, et l’on n’en sort pas comme l’on y est entré. Absolut hob c’est le roman de l’apologie du sexe, de l’hymne à l’amour et de la poétique du langage. Rachid Khaless nous y livre aussi une leçon de psychanalyse illustrée par l’exemple à faire jubiler Freud et ses acolytes, sa tendance à s’abîmer dans la chair de son amante n’étant que cette fameuse régression à un stade antérieur de la prime enfance, la phase orale notamment. «Le goût de la chair, n’est-il pas le fils légitime de la première saveur qu’aura laissé en nous la tétée du sein maternel ? Le premier était doux, odorant, orgastique, lapé avec véhémence, devait à jamais avoir forgé mon désir. A ce jour, ma jouissance demeure essentiellement labiale. Si je mords les lèvres amies, offertes, je sais à coup sûr que mon orgasme en sera décuplé, total». Il dira explicitement un peu plus loin : «C’est ainsi que les seins de Lilas devinrent pour moi ce royaume de goût perdu puis retrouvé avec un surcroît de volupté».  Pour ne pas virer à l’exégèse, passons.

La littérature marocaine d’expression française s’offre avec cet auteur au tropisme baudelairien un savoureux intermède où plus d’un serait tenté de  relever une histoire de Q. Mais non ! Les épisodes de chairs, savamment espacés d’ailleurs dans la trame, ne constituent pas pour l’auteur l’ingrédient incontournable pour monter la mayonnaise, le  romancier ayant  plus d’un tour dans son sac  pour user d’un tel expédient. Le sexe, dans Absolut hob, n’est pas réductible à l’assouvissement de la chair, c’est plutôt un sexe qui évolue par-delà les remparts de la matière, enlevé à la conception grégaire en la vision transcendantale de l’écrivain.

Le coup de génie de Rachid Khaless c’est d’intriguer deux histoires nettement distinctes, l’amour débridé du narrateur pour Lilas et son voyage dans le sud pour résoudre l’énigme tatouée sur la peau du cadavre de la mère de l’héroïne, deux histoires qui se coudoient sans que l’une ne répande de l’ombrage sur l’autre. Khaless s’est-il emparé de la littérature pour magnifier l’amour ou l’inverse ? Autant revenir à la question de la primauté de la poule sur l’œuf ou de l’œuf sur la poule ! En tout cas, l’auteur a bien su se réinventer dans cette œuvre de fiction, consommant une rupture avec l’architecture classique et bâtissant à ras les eaux de Bouregreg un château tenant de lui-même par un style aérien, gorgé d’hélium; un style-cheval bai hennissant où le lecteur sagace roule de l’encolure à  la croupe, de la croupe à l’encolure, et rebelote !

Dans ce roman, la chair n’est jamais triste après l’amour, elle n’en est que plus excitée et mieux disposée aux ébats ultérieurs; elle régénère le sang, cimente les rapports, humanise l’union… «Je ne quittais le lit que pour y revenir, plongeant ma tête dans l’oreiller où la chevelure de mon aimée a déposé ses fragrances. J’attendis ainsi la soirée, songeant déjà à son retour, me promettant de lui pourlécher le corps afin d’y puiser ce qu’il y restait des odeurs de la veille». Le dialogue y est quasiment absent, il incombe au lecteur de le restituer dans son esprit à travers la subtile technique narrative; il lui incombe aussi de décoder les bruits, les odeurs et la vie matérielle qui surplombent l’histoire grâce à l’ingénieux procédé de l’allitération et la profusion métaphorique qui dévoile aux sens ce qu’il y a de plus indicible.

Absolut hob est l’œuvre d’une triade artistique : la poésie, la peinture et le roman, autrement dit le rythme, le pinceau et la boucle des périodes évoluant en cercles égocentriques.

Somme toute, un roman dont un tracé kymographique en dirait peut-être davantage.

Youssef Saïdi

Résumé :

Un couple, éperdument amoureux, vit avec un cadavre.

Par amour pour sa femme, le narrateur accepte et aussitôt regrette de ne pas avoir enterré sa belle-mère. Lilas, l’héroïne, croit déceler le sens même de sa vie dans les tatouages portés à sept zones névralgiques du corps de la défunte. L’homme entreprend alors une enquête au cours de laquelle il sera amené à s’interroger sur l’essence de cette passion que le couple baptise hob.

 

Bio-express

Rachid Khaless est poète, romancier et traducteur. Agrégé de lettres françaises, il enseigne à l’université Mohamed V de Rabat. Connu d’abord comme poète, il signe deux recueils de poésie chez L’Harmattan : Cantiques du désert (2004) et Dissidences (2009).  Son 3ème  recueil, Dans le désir de durer paraît en 2014 à la Maison de la poésie au Maroc. Guerre totale, paraît en septembre 2016 à Virgule Editions.

Romancier, Khaless publie, coup sur coup,  Pour qu’Allah aime Lou Lou aux Editions Marsam, 2015 et Quand Adam a décidé de vivre à La Croisée des chemins (Finaliste du Prix littéraire de La Mamounia)

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