Ahmed Azzaoui: Un grand serviteur du Maroc nous a quittés

Par Mohamed Soual

C’est avec une bien vive émotion que j’écris ces lignes en souvenir et en hommage à ce grand serviteur du Maroc que fut Si Ahmed Azzaoui auquel je souhaite rendre ainsi un ultime témoignage de reconnaissance.

Plus connu à Royal Air Maroc en tant que, successivement, Directeur des Transports, des Ressources Humaines puis du Contrôle de Gestion, Si Azzaoui est, après des études universitaires de mathématiques générales, le premier ingénieur marocain diplômé de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile (France).

Beaucoup ignorent qu’il est arrivé au bout de son parcours académique quasiment en autodidacte. Il fut en effet, renvoyé de tous les lycées du Maroc et de France par les autorités coloniales pour actions subversives car tout jeune élève du lycée Moulay Idriss de Fez, il s’était engagé tôt dans la lutte anticoloniale.

Dès la fin de la guerre (39-45), il est engagé comme secrétaire chez un avocat marocain israélite et communiste. Il rejoint ensuite l’école Guessous à Rabat comme professeur de mathématiques où il avait comme collègue une autre «tête brulée» de la passion indépendantiste et alors toujours militant istiqlalien, Si Abdallah El Ayachi, qui deviendra plus tard (1951) dirigeant de premier plan du parti communiste, du PLS et du PPS.

A son retour au Maroc tout fraichement indépendant, il rejoint le Ministère des Travaux Publics au sein des services de l’Aviation Civile.

Si Ahmed Azzaoui gardait toujours par-devers lui une photo le montrant à bord d’un avion en compagnie de feu Hassan II, alors prince héritier, qui venait de décrocher sa licence de pilote privé.

Un fait notoire de cette époque mérite d’être relaté : sous le ministère de Si Mhamed Douiri, il lui fut proposé d’être le premier marocain à diriger Royal Air Maroc. Son collègue Si Hassan Ababou, ingénieur de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (France) convoitait le poste et l’a réclamé au ministre qui a répondu qu’il était déjà proposé à Azzaoui. Hassan Ababou a sollicité le ministre pour en parler au concerné. La réponse de Azzaoui fut à peu près celle-ci : je te laisse le poste, n’étions-nous pas camarades dans la même cellule !

Ainsi Si Hassan Ababou fut le premier marocain à se voir confier les destinées de la compagnie aérienne nationale. Il fut ensuite Directeur Général de la CDG et puis Ministre du Tourisme avant de couler des jours dans le secteur privé.

Un épisode qui révèle également certaines mœurs de cette glorieuse époque, alors que Si Ahmed s’attachait tranquillement à ses missions au sein du Ministère des Travaux Publics en qualité d’ingénieur, Abraham Serfaty, ingénieur de l’Ecole des Mines de Paris, le sollicite pour lui demander d’abandonner son poste afin d’enseigner les mathématiques, le pays manquant cruellement de professeurs dans cette discipline. Et que fait-il ?  Il abandonne tout simplement son poste d’ingénieur et s’en va enseigner les maths !

Je dois dire par la même occasion, que de retour de France avec son épouse Mady, son ami Abraham l’avait hébergé et c’est au sein du domicile de Serfaty que son premier né, Karim, vient au monde.

Si Azzaoui quitte ensuite le Maroc car il est engagé en qualité d’expert auprès de l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile (OACI). Ainsi et à ce titre, il sera en poste à Montréal, Paris et le Caire. Au Caire précisément, il fréquente, lors de ses passages, un éminent dirigeant de l’UNFP à qui par ailleurs il n’a jamais pardonné l’assassinat en mai 1956 de son camarade et ami Abdelkrim Benabdellah, dirigeant du PCM et du Croissant Noir, ingénieur de l’Ecole des Mines de Paris tout comme Abraham Serfaty.

De retour au pays, il regagne le Ministère des Travaux Publics et se charge de la création de l’Ecole Hassania des Travaux Publics qu’il dirige trois années durant (1971-1974). Il démarre cette école dans les locaux du centre de formation de l’ONE à Ain Sebâa tout en gérant la construction de l’école sise route d’El Jadida, son emplacement actuel.

A cette époque, il fait appel à un autre grand ami et serviteur du Maroc, Bernard Spenlehauer, ancien professeur de sciences physiques au Lycée Moulay Abdallah et des classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Lyautey, qui prendra plus tard en charge la création des classes préparatoires marocaines au milieu des années quatre-vingt ; ces classes qui ont donné au pays de si nombreux responsables économiques et administratifs. Spen, comme nous l’appelons, aide si Ahmed dans le recrutement des professeurs de la jeune école ; parmi ces enseignants est recruté Anis Balafrej tout jeune centralien et qui en moins d’une année à l’EHTP est arrêté en 1972 et condamné au cours du procès de 1973 visant les premiers groupes de marxistes-léninistes. Herzenni, feu Berdouzi, Laabi et Serfaty qui fut acquitté avant d’être appréhendé de nouveau et bien d’autres ont été les victimes de la répression consécutive à ce coup de filet.

En 1974, Si Azzaoui rejoint Royal Air Maroc en qualité de Chargé de Mission auprès du Directeur Général Si Said Benali, puis est nommé Directeur des Transports et sert ainsi la compagnie nationale jusqu’à son départ à la retraite en 1992. En tant que Directeur des Transports, son fait d’armes fut, entre autres, l’organisation de l’important pont aérien accompagnant la récupération de la province d’Oued Eddahab en 1979.

Ahmed Azzaoui, le directeur que j’ai connu et le patron que j’ai eu le plaisir de servir, ne s’est jamais prévalu de ses réalisations et a toujours œuvré dans l’abnégation et les quelques faits que je relate dans cet hommage n’étaient confiés qu’à un cercle extrêmement retreint de ses amis. J’ai eu l’immense privilège de compter parmi les personnes qu’il avait adoptées.

Cet homme si rigoureux avait une capacité si rare et si hors du commun de s’indigner, et de le faire savoir, face à la triche et à l’incompétence. Il n’a jamais renié ses convictions et jamais il ne s’est compromis. Il avait Oujda pour passion, pour péché mignon. Sa très haute opinion du service de l’intérêt général l’a mis à l’abri des turpitudes qui gagnent parfois certains serviteurs de l’Etat investis de hautes responsabilités publiques.

Il était juste et tolérant face à l’erreur mais jamais face à la faute. J’ai le souvenir vivace où, de passage dans son bureau, il venait de recevoir un appel du Directeur Général de la compagnie lui demandant de revenir sur une décision de licenciement qu’il avait prise à l’encontre d’une personne qui faisait fi des règles de conduite qu’imposait le règlement professionnel. Sa réponse claque encore à mes oreilles : «C’est elle ou c’est moi !».

Dans un tout autre registre, feu Ali Yata avait publié un entrefilet dans Al Bayane dénonçant la discrimination que subissait le journal dans l’approvisionnement des vols Royal Air Maroc en périodiques et quotidiens.

Parce qu’il assumait cette responsabilité dans le cadre des missions dévolues à sa direction, il en fut meurtri et s’était senti personnellement visé, lui qui se sentait toujours proche de la gauche et plus particulièrement du PPS. Il convoque feu Si Ahmed Serbouti, agent relevant de son autorité et par ailleurs militant et dirigeant connu et respecté de ce parti pour s’en plaindre violemment. Avec le calme qui lui était coutumier mais aussi l’aplomb dont il était capable, Serbouti rétorque : « Monsieur le Directeur, vous me convoquez à votre bureau, si c’est pour parler de mon travail ou de la qualité de ma contribution je suis prêt à vous écouter, mais si c’est pour vous entendre crier contre Al Bayane, cela ne concerne pas le travail et l’on peut en parler mais pas sur le lieu du travail !».

Si Ahmed Azzaoui a cette réaction si spontanée et si humble : «Excusez-moi, je regrette !».

Ainsi a-t-il été et est toujours à mes yeux ce grand homme et dont ces lignes ne rendent guère de l’immensité du cœur que sa raison dominait et dont la probité et l’honnêteté intellectuelle furent la marque de fabrique.

Repose en paix, cher maître et ami.

A son épouse Mady à ses fils Karim et Jamil et à Bouchra l’épouse de Karim, je me sens tout aussi orphelin que vous et tout aussi éploré que vous.

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