Al hal (Transes) de Ahmed Maanouni (1981)

Il était une fois….le cinéma

Il peut être présenté comme le premier grand film musical du cinéma marocain, mais Al hal d’Ahmed Maanouni, (Transes, 1981) est difficilement classable dans un genre fermé. Ce n’est pas une comédie musicale, genre fictionnel fortement codé, ni un film musical au sens classique. J’avancerais l’hypothèse que Transes est un docu-fiction centré sur un groupe musical emblématique des années 1970, en l’occurrence, le célèbre groupe pop marocain Nass El Ghiwan. Documentaire car le film est porté par une démarche didactique, celle de cerner les conditions socio-culturelles qui ont permis et favorisé l’émergence du groupe dans un environnement précis et ce, en suivant le groupe à travers ses concerts, ses exercices et en revisitant les lieux qui ont vu naître ses principaux protagonistes. C’est une fiction car le film est porté par un schéma narratif avec une ouverture, un développement et une clôture comme il est traversé par des images qui enrichissent la veine documentaire par des allusions fantastiques qui épousent et convoquent l’univers mythologique de la célèbre formation musicale casablancaise.

 Aujourd’hui, le film jouit d’un immense prestige international depuis qu’il a été repris pour une restauration par la fondation présidée par Martin Scorsese. Le grand cinéaste américain était tombé amoureux de la musique de Nass Elghiwan, «les Rolling Stones de l’Afrique du nord», aime-t-il dire quand il avait utilisé cette musique pour son film tourné à Ouarzazate, La dernière tentation du Christ. En 2007, le film est présenté à Cannes lors d’une cérémonie grandiose, dans sa version restaurée. Une version qui sera fêtée à Marrakech à la place Jamaâ El Fna en présence de Martin Scorsese. Le film demeure ainsi d’une grande popularité qui transcende les frontières.

Pour Omar Sayed, figure historique du groupe,  si le film existe, c’est grâce à la convergence de trois volontés. D’abord, celle de la productrice et réalisatrice marocaine Izza Genini ; celle du réalisateur Ahmed Elmaanouni et celle du cinéaste et producteur Souheil Benbarka.

Izza Genini raconte qu’elle avait découvert Nass El Ghiwan grâce à la bande son de la très belle ouverture du film Ô les jours de Maanouni (1978). Puis, l’occasion s’est présentée  de rencontrer le groupe lui-même lors de son passage, pour un concert, à Paris. Ce fut le coup de foudre ; elle décide de réaliser un documentaire sur le groupe. Maanouni l’a suivie sur le projet. Cela va donner lieu à un documentaire d’une cinquantaine de minutes et qui fera l’ossature du film signé par Ahmed Maanouni.

Le film réussit à mettre en avant en premier lieu l’immense popularité du groupe à travers le monde arabe. Les premières images instaurent cette dimension avec des extraits de concerts de Nass El Ghiwan de Carthage à Agadir. On y découvre un public en communion avec son groupe fétiche. On chante, on danse, la caméra de Maanouni capte ces moments qui transportent le public au-delà de la scène, transcendant les limites officielles symbolisées par la présence du cordon de sécurité. Les deux autres réussites du film me semblent être à deux niveaux ; avoir mis en avant la double filiation du phénomène Nass El Ghiwan dans son ancrage populaire et dans son enracinement dans la culture musicale gnaouie et chaabi. Deux séquences résument éloquemment cette double origine. La première se situe dès le début du film quand Maanouni filme l’arrivée de Larbi Batma au célèbre quartier Hay Mohammadi, arrivée filmée comme un retour aux sources (on voit une source d’eau) ; un retour aux origines. Pour ce faire, Larbi emprunte la nouvelle autoroute à bord d’une voiture neuve (symboles d’une modernité) pour une virée chez lui. On profite de son regard et de son mouvement pour revisiter un quartier où il est chez lui. C’est là une source (encore) inépuisable d’inspiration

La deuxième séquence, magnifique dans sa dimension plastique et dramatique se situe à Essaouira. Elle puise sa force également dans son montage qui alterne des scènes de vécu quotidien (le pain qu’on emmène au four, Abderrahmane dans son atelier de menuiserie, ouvert sur la rue et ses sons…), des scènes de soirées rituelles et des images d’archives (la transe liée à une tragédie comme la mort de Mohammed V).

Il y a également des scènes d’intérieur où la formation se livrent à des répétions, occasion surtout pour le cinéaste de montrer l’humanité du groupe à travers la diversité de caractère des personnes qui le composent, et de relever la cicatrice indélébile laissée par la disparition de Boujmiî.

Le film est un hymne à la formation née au sein du peuple et qui a su longtemps être son porte-parole loin des règles du marketing et de l’audimat. Des paroles authentiques puisées dans les blessures d’une mémoire et portée par une musique aux multiples sons qui disent la nostalgie (des hommes perdus) et l’espoir.

Mohammed Bakrim

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