Ali Albazzaz: Naître à l’art comme à la poésie

C’est inévitable. Et ça apparaît comme une forte poussée de sensibilité singulière réclamant l’apport de l’art. Ali Albazzaz en a fait l’expérience et la réussite à été au bout comme une ouverture d’une clairière à l’investissement créatif.

Poète de longue date, dans la langue arabe et hollandaise, journaliste qui sillonne par l’écrit tous les domaines de la création liée à la plume, et celle liée au fusain et au pinceau, les arts plastiques lui sont un terrain connu, déchiffré. Or, comme à la suite d’un ordre de fulgurante inspiration, il s’est trouvé en train d’élaborer du concret plastique. Dans ce que l’abstrait fournit de plus apte à l’expression de l’émotion à la Kindinsky, c’est-à-dire en un instant de découverte d’une intériorité foisonnante.  Après, en premier temps, une prise de conscience de son sens des couleurs lors d’une expérience d’assistance à un artiste connu. Puis, lors d’un voyage à Chefchaoun où la révélation s’est enrichie à la vue des étals de pigments, dont il a acquis de bonnes doses.

Désormais, tout fut mis en place pour faire émerger une expérience artistique propre qui s’avère maintenant comme innée, longtemps couvée avant d’être révélée. Il n’y eut presque pas de période intermédiaire. Elle est sujette à la contemplation effective, épurée et singulière, sur le bois, le contre-plaqué ou la toile. S’aidant de de gammes de couleurs plutôt d’éclat terne, fabriquant de formes restreintes, mais selon une technique maîtrisée d’étalement et d’effacement, de montage et de grattage, montrant griffures et textures. L’ensemble porté par une gestuelle lente et patiente, au mouvement uniforme et répétitif. Des œuvres d’une facture douée de sensibilité calme et apaisante.

Dans le retrait puis au grand jour. Avec la couleur comme concept dominant et valorisant qui s’étend à toute la surface de chaque œuvre mais selon une mélodie d’agencement caractéristique. Bref, une composition employant un langage plastique propre où «la peinture peut être poésie. La couleur n’est-elle pas là pour jeter d’un coup toute sa profondeur dans le discours du tableau ?» comme l’avait prédit le poète Yves Bonnefoy.

Des le début, ce discours revêt une approche poétique avec un titre significatif axée sur la poursuite de la trace. La palette puise dans un fond où prévaut l’aspect sombre et assez foncé en général, de cet aspect qui est vite contaminé par des emplacements de petites taches froides plus ou moins influentes. Un équilibre qui n’oublie pas qu’il est généré par une vision artistique marquée par la captation de ce qui est fané, laissé à l’abandon et à l’omission.

Donc le caractère de ce qui est empreinte et reste d’une présence. C’est la cachet, et même le thème criant de sincérité créative de cette expérience ayant l’évidence d’un être écorché par le poids du temps. Mais lorsqu’elle est fanaison, flétrissure. De ce qui vit et aussi de ce qui émeut au plus profond de soi. Cette érosion du passage du temps qui gagne les objets et les faces.

C’est dire que l’artiste avait l’idée et sa réalisation nette. Aucune improvisation mais un saut direct vers la concrétisation de l’impression ressentie. Il la chercha dans la collection des vieilles portes et fenêtres, prises comme pièces ou en entier. Il leur réinvente de nouveaux lieux, des fonctions re-valorisantes et les dote d’un aspect artistique. Il n’hésite pas à réintégrer un morceau de clef, une portion de cadenas dans une toile ou dans un support en bois, un pan de jute. Ou tout élément susceptible d’ajouter une part d’ambiguïté signifiante à un univers préexistant. Le tout rendu à une espèce d’existence réincarnée par le mode de la récupération.

Voilà, Ali Albazazz s’est adjugé la mission de récupération du temps par la force de l’art plastique à travers les bouts jetés, altérés, mourant. Cette perte de la fraîcheur qu’il donne à voir dans une splendeur placée  de l’autre côté de la lumière. Un éclairage esthétique de l’existence via ce qu’elle laisse de côté, derrière la marche routinière des jours.

L’œuvre qui s’en suit devient un acte artistique de résistance à l’anéantissement. Avec un teinte de l’automnal qui n’est que cycle de ce qui est visible ici. Il ne s’agit pas de fin. Mais de ce qui précède un recommencement. Voilà tout l’art de ce peintre du fané qui fait sens. Mais pas seulement. Car la perte gagne tout et appelle un certain registre de couleur. On en veut une toile assez grande et dominante où la couleur de la rouille est l’attrait majeur. Une uniformité fonctionnant tel un exploit artistique. Ou bien cette autre toile qui montre cet amas équilibré couleurs neutres investies par moments par le vert et le jaune qui s’approprient l’essence des choses après la clarté d’un jour, d’une vie. Comme aussi ce dernier aspect de l’art de Ali Albazzaz, donnant vie à des plaques de fer ramassées dans ce qui ressemble à une décharge et qu’il travaille en les grattant et striant avant de les emprisonner dans la transparence de deux plaques de verres vissées à jamais.

Il ne cesse de chercher, cet artiste doué, et puisque la plume est toujours à portée de sa main, il renoue avec l’encre mais en allant, le temps d’une pause, vers l’art graphique. Cet art entre deux. L’écrit et le peint. Encore ce penchant vers les traces. Comme quoi l’impression demeure intacte tout en variant les supports et les genres.

M’barek Housni

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