«Notre ambition est d’arriver à intégrer la langue amazighe dans les systèmes de traduction simultanée»

Propos recueillis par: Moha Moukhlis

Al Bayane : Qui est Younes El Affani?

Younes El Affani : Je travaille au Centre des Etudes Informatiques, des Systèmes d’Information et de Communication (CEISIC) en tant qu’administrateur chargé du développement et de la gestion des sites Web de l’Institut Royal de la Culture Amazighe depuis 2007.

Je suis depuis toujours un grand passionné des nouvelles technologies et de l’Internet et j’ai toujours voulu au fond de moi en faire mon métier. J’ai donc passé un Bac scientifique, et ensuite, je me suis dirigé vers les études en Informatique. Après avoir obtenu le DUT à l’ESTS puis un diplôme d’ingénierie à l’IGA de Rabat, j’ai voulu effectuer une autre formation plus tournée vers le monde du Management ; je me suis donc inscrit en Licence option Management des Entreprises à la faculté de l’économie à Rabat, puis en Master spécialité Management des Systèmes d’Information de Communication, à l’université de Brest.

Votre mission au sein de l’IRCAM est de gérer les sites : en quoi consistent vos actions?

Dans les métiers du web, tout le monde ou presque vous dira la même chose ; aucune journée ne ressemble à l’autre. Cependant pour répondre à la question, je dirais que mes journées se répartissent entre 3 tâches principales : le travail au niveau des sites online (nouveaux contenus, optimisations, etc.), la maintenance des Frameworks et des systèmes d’exploitation et enfin, la veille technologique et l’étude de faisabilité technique des projets futurs, même si ce dernier point est particulièrement vaste.

Qu’en est-il de l’introduction de l’amazighe dans les NTIC?

La langue amazighe jouit d’un statut institutionnel qui lui a permis d’avoir une graphie officielle et un codage grâce aux travaux des linguistes et d’informaticiens de l’IRCAM. L’adoption du codage du tifinaghe par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) en 2004 a inauguré l’entrée de la langue amazighe dans les nouvelles technologies. Ces avancées technologiques, et principalement la reconnaissance de l’«ISO-Unicode» de l’alphabet amazighe ont permis son introduction dans les outils et les supports informatiques y compris les sites web.

En dehors de l’IRCAM, existe-t-il d’autres institutions (nationales ou étrangères) qui ont introduit l’amazighe dans leurs sites?

Au niveau national, plusieurs institutions ont intégré la langue amazighe dans leurs sites web, à savoir l’agence marocaine de presse, le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la culture, la SNRT ainsi que des associations culturelles et des journaux comme le vôtre.

Sur le plan international, beaucoup d’expériences d’implémentation de l’amazighe ont été réalisées surtout en Algérie. Cependant, ce qui est plus marquant, c’est l’adoption de l’amazighe comme langue d’utilisation par les géants de la technologie (Facebook, Microsoft et Apple) qui ont intégré le caractère Tifinaghe proposé et adopté par l’IRCAM, sachant que l’intégration de l’amazighe dans le système d’exploitation Windows est venu suite à la collaboration entre Microsoft et l’IRCAM en 2012.

Le tifinaghe pose-t-il problème?

Pas du tout, l’alphabet Tifinaghe adopté par l’IRCAM est composé de 33 caractères. Le CEISIC a œuvré à la réalisation de normes pour la langue amazighe surtout Unicode qui permet d’utiliser le caractère tifinaghe en installant les polices et les pilotes de claviers adéquats, sachant que les nouvelles versions de systèmes d’exploitation ont intégré cette option.

Quels sont vos projets futurs?

Aujourd’hui, nous avons des systèmes d’exploitation qui prennent en charge le tifinaghe, un clavier tifinaghe, des outils de traitement automatique de la langue amazighe disponibles en ligne comme le Conjugueur et le Translittérateur, des ressources numériques, des applications d’apprentissage pour smartphone ainsi que des navigateurs qui supportent l’affichage des pages web en amazighe grâce aux normes informatiques.

Notre ambition au CEISIC est d’arriver à intégrer la langue amazighe dans les systèmes de traduction automatique ainsi que dans la reconnaissance optique et vocale. Notre projet futur est de développer de nouveaux outils de production et de traitement du texte en amazighe comme un correcteur orthographique, grammatical ainsi des ressources numériques en ligne.

Etes-vous satisfait de la place qu’occupe l’amazighe dans les NTIC?

Je ne peux pas être satisfait. Vous savez, quand vous parlez des langues dans les TIC, une seule langue qui domine l’univers numérique; c’est l’anglais sans doute, un classement des 40 langues les plus utilisées sur internet publié par w3techs en juin 2018 montre que l’anglais est en tête avec 52.3%, suivi par le russe 6.3%, l’allemand 6.2%. L’arabe vient au 16e rang avec 0.6% et le hindi en 39e avec 0.1%, alors que toutes les autres langues y compris l’amazighe représentent moins de 0,1%.

Quand vous regardez ces chiffres, vous avez au moins une idée de l’ampleur du travail qui nous attend. Mais, je suis très optimiste et je dirai la même chose que Neil Armstrong quand il a mis ses premiers pas sur la Lune ; «C’est un petit pas pour l’amazighe, mais un pas de géant pour notre culture».

Votre dernier mot…

L’amazighe est un patrimoine commun à tous les Marocains sans exception qu’il faut valoriser et préserver aux côtés des autres langues, conformément aux dispositions de la Constitution, et chacun de nous doit contribuer de son côté à travers son domaine d’activité à la réussite de ce grand chantier.

Top