Ana Herrera, essayiste, poète et critique littéraire

«Najib Bendaoud un poète humaniste»

Traduire n’est pas forcément trahir. Il  donne  un nouveau  souffle  au texte qui  renaît dans une  autre langue, un autre  univers aux sensations différentes. L’exercice de traduction construit des ponts entre deux cultures, visions et peuples.

Vous venez de faire les dernières retouches de la traduction du recueil du poète marocain Najib Bendaoud, pouvez-vous nous décrire cette expérience ?

Ana Herrera : C’est une expérience très agréable et positive. J’ai toujours aimé traduire la langue française, d’ailleurs dans le cadre poétique, la satisfaction est double, jusqu’au point où cet étroit contact avec la poésie a réveillé en moi, sans doute, l’inspiration poétique endormie peut-être ces dernières années dédiée surtout à la narration. Et après avoir publié plusieurs livres en prose, récits et romans, j’ai eu l’immense plaisir de voir publier mon recueil de poésie «Bajo un cielo anil». Pourtant, je dois ce tournant au poète Najib Bendaoud.

Comme vous le savez, la poésie est le corpus le plus difficile à traduire d’une langue à une autre : construire un pont entre deux moments /  langues exige une sensibilité très élingue, que diriez-vous des sentiments naissant entre les deux rives culturelles différentes ?

La langue française et la langue espagnole sont deux langues sœurs procédant d’un même tronc commun qui est le Latin, et ceci adoucit peut être le processus de traduire. Nonobstant, c’est certain qu’il a fallu une grande charge de sensibilité poétique pour se mettre dans le champ de la poésie, dans le cas de la traduction poétique et aussi une essentielle connaissance des ressources littéraires et un domaine exhaustif de l’idiome. Peut-être pour l’amour que j’ai  souvent senti envers la poésie et pour ma condition de professeur de langue espagnole et de littérature, cette tâche n’a pas été compliquée, bien qu’elle n’était non plus facile. Traduire demande un effort, du temps, de la concentration, trouver le vocabulaire précis, l’expression la plus adéquate, l’image littéraire la plus belle et acceptée, sans que tout cela ne nous éloigne du sens du poème dans sa langue d’origine.

D’autre part, répondant à votre question, les sentiments d’une intense amitié, respect et admiration envers le professeur et poète Najib Bendaoud surgissent et se consolident à travers cette passion que nous professons envers la littérature. Il n’y a pas de doute que le profond humanisme de notre poète et ses théories sur la nécessité de la paix dans le monde et la solidarité entre frères, entre les nations, le respect, la tolérance, en un mot la liberté, et ses idées d’inculquer les valeurs en éducation que je partage entièrement, ont poli le chemin d’une belle amitié entre les deux rives, que je rends extensif à toutes mes amitiés sur cette terre. Deux rives qui, d’autre part, ont beaucoup de choses en commun à travers des siècles de convivialité culturelle en une longue période de notre histoire.

La traduction est la belle infidèle. Quelles sont d’après vous les limites de la conviction poétique qui permettent cette aventure sans pour autant tomber dans la trahison ?

Je crois que le mot trahison est très fort. Parfois, on ne peut pas se passer d’introduire quelques changements qui sont le produit d’une exigence d’une langue. Il n’existe pas les mêmes tournures lexiques d’une langue à une autre ni le même nombre de synonymes et d’antonymes. Par exemple, on doit adapter la traduction aux exigences lexicales et grammaticales de la nouvelle langue. Mais on ne devrait pas parler de trahison dans ce cas, sinon de nécessité linguistique. Il y a des traducteurs qui optent pour une plus libre, sans que cela ne défigure le sens premier du texte et d’autres sont plus fidèles ou littérales au texte original. En tout cas, on arrive à des créations d’une authentique beauté en la langue qui nous sert d’accueil. Cependant, on a besoin de la belle infidèle ou de la belle fidèle pour partager la splendeur de la littérature.

A partir de votre rencontre avec la poésie de Najib Bendaoud, comment voyez-vous la perspective de la poésie marocaine d’expression française actuelle ?

Selon mon modeste point de vue, je crois que c’est une poésie totalement actuelle et moderne. Elle est entièrement intégrée dans notre époque aussi bien en ces vers libres en style qu’en essence de thèmes traités en ses compositions. Najib Bendaoud contribue à faire sortir la femme de l’ostracisme condamné par l’histoire. Et c’est là un point en commun qui l’approche des courants féminins actuels. Sa vision positive envers la femme ne consiste point seulement à l’éloge de son corps ou l’exaltation de sa beauté mais surtout sa tendresse, sa capacité de donner et de recevoir l’amour, de l’entité avec laquelle le corps masculin est complété dans tous les sens, d’égal à égal.

Cette contemplation de la féminité se réalise dans la conjonction avec la contemplation du monde naturel, libre et unique. Digne d’être admiré et qui se donne dans ses sourires, dans ses cris et ses plus sincères prières. Un poète qui chante en outre la tragédie de l’immigrant, la solidarité humaine, la liberté individuelle et celle des peuples. En un mot, c’est un poète énormément humaniste qui unit sa voix aux actuels courants littéraires, aujourd’hui en vogue, ceux de «l’humanisme solidaire».

Une voix propre et définie, profonde et sincère, libre et passionnée. Une voix qui s’exalte lorsqu’il remet au monde son étreinte d’amour.

 

Entretien réalisé en espagnol par Jaafar Khattabi

Ana Herrera :

  • Essayiste, poète et critique littéraire.

Ses écrits :

  • Mi mundo sin fronteras (Octaedro Andalucía-Ed. Mágina, 2009),
  • Una mujer, una historia (Ed. Alfar, 2010)
  • los muertos lleguen al cielo (Ed. Adhara, 2013).
  • Bajo un cielo Anil (2016)
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