Seuils ?

Le paysage électoral marocain se réchauffe. La cause n’en est pas la révision annuelle des listes électorales, qui se stratifient depuis les années de plomb, mais bien le seuil nécessaire pour qu’une liste soit considérée dans le partage du nombre d’élus alloués. Ainsi, seules les listes qui obtiennent 6% des suffrages dans la circonscription territoriale où elles se présentent peuvent participer à la dévolution des sièges. Dans le cas où la circonscription est nationale, le seuil est de 3%.

Cette discussion ne date pas d’aujourd’hui, mais revient chaque fois au devant de la scène; et il faut le dire, à l’initiative de certains responsables politiques dans le cadre des réunions d’information organisées par l’autorité de tutelle.

Il se trouve toujours quelqu’un pour proposer un seuil «aussi grand que le tour de son ventre». Croyant, par cela, qu’il est en train de démontrer que l’organisation partisane qu’il représente est le parti politique au Maroc, prêt à affronter tous les autres pour confirmer son leadership et son hégémonie.

Les détenteurs de la «boîte noire» des élections au ministère de l’Intérieur suivent généralement ces interventions avec un sourire narquois, qui en dit long sur leur pensée. L’évacuation du trop plein d’égo effectuée, la recherche du consensus se trouve réalisée comme par magie sur le chiffre proposé par l’autorité de tutelle; elle, qui sait.

Les modalités du scrutin sont ainsi discutées avant toute opération électorale pour les adapter aux exigences du moment. Pour l’autorité de tutelle, c’est la recherche d’un consensus qui donne à l’opération électorale une acceptation par les parties participantes. L’usage du système proportionnel au plus fort reste, sans pour autant éliminer, dans certains cas, le système uninominal majoritaire à un tour ; l’adoption de quota pour renforcer la présence féminine et autres dispositions ont pu ainsi se faire adoptés dans ce cadre. D’autres propositions, telle la représentation des Marocaines et Marocains du Monde, ne sont même pas arrivées à provoquer le débat et encore moins à se concrétiser pour «donner pleine effectivité aux dispositions de la Constitution qui vous assurent (Marocains résidant à l’étranger) une participation aussi étendue que possible à la construction du Maroc de demain, et une présence active dans les instances dirigeantes d’institutions nouvelles».

Augmenter le seuil électoral, c’est restreindre l’accès à des sensibilités politiques aux institutions. Dans le cadre de l’étape historique du Maroc, où la consolidation du processus démocratique constitue la priorité politique, la proposition que ce seuil soit de 10% est une impétuosité relevant du caractère contesté de la personnalité qui le fait. Comme si les résultats des élections communales de septembre 2015 ne suffisaient pas pour calmer le bouillonnement tumultueux de cet adepte du fameux couplet « Le Maroc est à nous et non aux autres» version 2016. Cette proposition n’est pas aussi nouvelle. Elle a été brandie autrefois sans succès ; ni par sa concrétisation dans la loi ni par le fait d’être reprise par ceux qui l’avaient présentée, effets de manche aidant à amplifier le geste.

Maintenir le seuil de 6% en faisant dire à d’autres que c’est un déni de démocratie que de l’abaisser à moins que cela, est pour le moins que l’on puisse dire une mystification. Voir diminuer le nombre de sièges obtenus si le seuil est abaissé serait une justification plus franche car la démocratie se renforcerait si toutes les sensibilités politiques du pays se retrouvaient représentées dans l’institution parlementaire. «Ceci permettra la libération des énergies latentes». Le pluralisme politique serait renforcé autant que les institutions. Reste la logique de lutte contre la fragmentation des forces politiques, il faut être objectif et souligner que le système électoral y contribue sans pour autant en être la cause. L’histoire récente du pays a montré que les blocs se constituent et se défont indépendamment des résultats électoraux et des modalités de leur acquisition.

Abaisser le seuil électoral est une réalisation dans la continuité des actions menées pour la consolidation du processus démocratique au Maroc. Pour l’essentiel, cela permettra l’élargissement de l’assiette électorale à des formations politiques qui cherchent à se retrouver dans l’institution parlementaire alors que les seuils (électoral, financier, découpage….) ne leur permettent pas d’y siéger ! Que la démocratie au Maroc puisse se consolider sans (écueils) seuils !

Mustapha Labraimi

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