Turpitudes

Dans leur civilité, les Marocaines et les Marocains répondent aux diffamateurs, dénigreurs et autres médisants par «que l’on puisse avoir votre figure», ou en plus fort, «que l’anathème soit sur l’éhonté». Ce mouvement où la turpitude est pratiquée est devenu plus qu’important par l’usage des réseaux sociaux malgré la fracture numérique dans notre pays. La liberté d’expression se trouve parasitée alors que le débat perd de sa clairvoyance.

Au sein même des organisations partisanes, on retrouve beaucoup plus que par le passé cet usage inconsidéré à la controverse. Vouloir être audible par sa nuisance est une technique ancestrale dans le champ partisan. Ainsi, le recours à commenter toute procédure s’inscrit dans une situation de blocage. Le maintien du statu quo est ainsi recherché pour cacher les insuffisances des uns dans l’action alors que les autres ne peuvent pas se faire piéger par l’attentisme et l’immobilisme.

Dilemme forcé par l’ouverture sur celles et ceux qui veulent s’inscrire dans le changement. De par ce fait, ne pas pouvoir emporter la conviction devient une certitude chez une minorité, d’autant plus relique que vieillissante. Elle développe aisément une capacité à manifester un désaccord beaucoup plus qu’à faire évoluer un accord. Renouveler la controverse à chaque occasion devient une gymnastique ludique jusqu’à son aboutissement par le conflit. La démocratie interne ne s’en sort pas renforcée. Elle s’égratigne à chaque «bras de fer» et donne à ceux qui maîtrisent le rapport de force l’occasion d’en découdre sans pour autant que la maitrise de l’évolution organisationnelle ne soit discutée.

Cela conduit subrepticement à la violence verbale voire à l’ostracisme et à l’exclusion organisationnelle de fait. Cet enchaînement malsain trouve un écho, aussi insignifiant soit-il, auprès de la plèbe avide de potins sur les puissants du jour. L’amalgame aidant, la confusion est ainsi agencée pour que l’abêtissement s’accentue et que la conscientisation soit reléguée à un point de la feuille de route jadis établie. A l’esprit partisan éclairé se substitue un esprit clanique prêt à une guerre des tranchées démobilisatrice et destructrice. C’est le temps des transitions qui le veut.

Seule la clarification est aseptique contre la turpitude. Elle permet l’explication et l’enthousiasme, l’ajustement quand il le faut et le respect de la discipline statutaire. La terre est vaste, disait l’autre à juste titre sans pour autant arriver à juguler les déperditions. L’usage de cet aphorisme pertinent semble inadéquat à grande échelle alors qu’il reste de salubrité partisane devant les adeptes du refus attitrés. S’il est démontré que «ta religion est tienne et que ma religion est mienne», la coexistence des «chcha» et des «rra» ne peut aboutir qu’à des turpitudes.

Si la vérité est unique, elle est ressentie différemment par chacun de nous en fonction du contexte de son expression. La turpitude est multiple et son ressentiment est unique. La bonne foi ne peut être de mise quand cette bassesse devient récurrente. Le mal qu’elle occasionne est terriblement présent malgré sa dilution à travers sa diffusion. La subjectivité affirmée dont elle se pare, choque et use de «sa frappe en pleurant tout en prenant l’initiative à dénoncer l’injuste».

L’engagement partisan dans notre société a évolué autant que le besoin de «faire de la politique» s’est fait sentir par la récurrence des élections et l’accès à la gestion des affaires publiques. Il ne peut être laissé au hasard sans encadrement, sans formation à la politique, au risque d’invalider la sincérité dans l’esprit des partisans. C’est une normalité constitutionnelle et une nécessité organisationnelle que de permettre à celles et à ceux qui veulent changer le monde par leur engagement de ne pas se faire changer par les turpitudes du monde. La rédemption des fautes ne peut se faire sans autocritique à moins que la vanité et l’orgueil l’emportent sur la raison. C’est la base d’une assise durable où le collectif est plus important que l’autoritarisme légitimé, fut-il éclairé et charismatique.

Mustapha Labraimi

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