Avant de parler politique, parlons éthique !

LE CINEMA AU CŒUR DE LA CAMPAGNE ELECTORALE

«Il y a deux choses qui m’effrayent dans ce monde, les téléphone sans fil et les marionnettes sans fil»

Bob Dylan

Quelle est votre appréciation de la présence de la politique dans le cinéma marocain ? (Y compris vos films)

Les films :

Pendant les années 90, le cinéma marocain a été traversé par une certaine idée de la «fiction politique», Maktoub de Nabil Ayouch en se basant sur l’affaire du commissaire Thabet a été le coup d’envoi de ce courant qui n’a généré que très peu d’œuvres mémorables. On aurait pu rêver d’une tendance comme les films politiques des années 70 ailleurs ( du Conformiste à A Cause d’un assassinat en passant par Les hommes du président ou L’attentat d’Yves Boisset), mais le courage ou la vision ont manqué – à nos réalisateurs – pour faire des œuvres du cinéma qui affrontent la politique sans tomber dans ce courant nauséabond de cinéma d’indignation. Les films sur les années de plomb se contentent de compter les corps et les injustices en enfonçant les portes ouvertes du changement qui se profile à mon avis, ces films manquent de rigueur ou de sadisme pour nous proposer des œuvres qui transcendent la mode d’un cinéma qui examine l’époque.

Mes Films :

Sans que je ne sois autre chose qu’un cinéaste punk sur les bords, tous mes films sont des récits avec une forte charge politique : entre mon premier film The End sur les derniers jours de Hassan II, C’est eux les chiens qui dessine une ligne de jonction entre les émeutes de pain et le printemps arabe, tandis que Starve Your Dog est une chronique qui ressuscite le boogie-man des années 70/80, je nomme Monsieur Driss Basri. Et à chaque fois, j’ai été face à une forme de censure, parfois d’intimidation et beaucoup de fois, face à la peur des institutionnels, des quidams, des planqués effrayés par « l’audace » ou «l’inconscience» de mes positions en tant que cinéaste.  Comme ce sont des films produits en marge du système, j’ai bénéficié d’une liberté totale avec aussi la stratégie de les faire exister ailleurs dans des vitrines prestigieuses (ACID Cannes, TIFF Toronto ou Berlinale)  pour m’immuniser contre la bêtise de la censure. J’aurais bien aimé dire que le Maroc a changé et qu’on peut faire des films courageux, intègres, portés par une foi dans la vérité et un amour inconditionnel du cinéma et de notre pays, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Quand on voit qu’un film comme La Marche verte est ce qu’on peut faire de mieux pour célébrer un moment important de notre histoire, il y a de quoi être dubitatif. On aurait pu faire un Soy Cuba au lieu de faire dans le politiquement correct et l’indigent cinématographiquement. Je pense que faire des films politiques au Maroc implique de sortir de la dichotomie, de prendre de la hauteur et de la distance, de ne pas laisser son sens critique, son ironie au vestiaire et à mon avis, nos institutionnels et leurs sbires téléguidés ne sont pas encore outillés pour ce cinéma là. On est toujours au point mort démagogique et tout le monde se ment à lui-même dans un pays qui ne rêve que de fonction publique (24 millions de visites au site de l’emploi public cette année) et où 32% de la population est encore illettrée.

Mon dernier film :

Le cinéma au Maroc est une volonté royale, mais les responsables de ce secteur ne comprennent pas le sens de cette « volonté » et au lieu de promouvoir « le cinéma », ils se contentent de promouvoir le Maroc comme terre de tournage, au lieu de célébrer la créativité marocaine, ils continuent de faire les « semsar » des terrains vagues de Ouarzazate. Donc, avant de parler politique, parlons éthique. Avant de parler politique parlons fierté nationale. Mon ulcère me fait toujours mal après le fiasco des J.O. de Rio et cette « politique » de l’obstruction et du « au jour le jour » est soulignée au stabilo des victoires des autres nations qui se préparent pendant 4 ans. Pour la blague, je rapporte le cas de HEAdbANGLullaby, mon dernier film, plonge dans le Maroc des années 80 pour jeter un regard tendre, ironique et très féroce sur cette époque et par ricochet sur ce qui se passe maintenant, c’est un film humain sur la politique de l’écrasement et du blackout culturel qu’on a vécu pendant les années 80. Et alors que le film est d’emblée sélectionné à la prochaine Berlinale, mes producteurs ont eu la mauvaise surprise de se voir annuler 25% du budget par une commission du CCM, du même coup le film cesse d’être marocain pour devenir français grâce au soutient massif du CNC, Qatari, Libanais… c’est ça la politique culturelle au Maroc : se tirer une balle dans le pied.

Quel regard portez-vous sur la présence du cinéma dans la politique marocaine ? (Nos politiques font-ils référence au cinéma dans leurs discours ? le cinéma est-il suffisamment présent dans l’espace publique ?…)

A part des happening comme «l’art Propre», l’interdiction de Much Loved, je ne pense pas que nos politiques soient ni des cinéphiles, ni des mélomanes, ni des amoureux de la littérature, ils font dans la culture de l’ego et je préfère suivre les bouffonneries de Donald Trump, question inculture, il reste quand même plus fun et rigoureux que les querelles de Hammam de nos politiques, c’est malheureux, mais parler politiques au Maroc n’invite guère à l’élévation…

Y a-t-il une personnalité, un fait, un évènement, une scène de la vie publique de ces dernières années qui pourrait à votre avis inspirer un scénario pour le cinéma ?

Je pense qu’il y a moyen de faire une très belle comédie sentimentale sur le 3e âge avec cette affaire des « amants du MUR » un truc entre les Amants du Pont Neuf et 4 mariages et un enterrement.

S’il y a une revendication, une grande réforme, une requête à présenter aux futurs parlementaires (une seule)… elle serait laquelle ?

A défaut d’avoir le savoir ou la capacité de booster notre culture (en tant que cinéaste, je peux compter sur la France, Qatar, Le Liban et Dubaï) que nos politiques nous foutent la paix et nous laissent respirer. Je suis un sceptique, et je me méfie de ceux – pour paraphraser Salmane Rushdie – «ceux qui ne savent qu’interdire», je vais voter mais entre la Peste (de Camus) et le Cholera (de Gabriel García Márquez), je préfère Pleure ô pays bien-aimé (Alan Paton).

Mohammed Bakrim

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