Boulaalam

L’ensemble du peuple marocain est sous le choc du drame de la commune Boulaalam, province d’Essaouira. Des femmes sont mortes piétinées ans une bousculade lors d’une opération de bienfaisance.

On ne peut qu’exprimer sa profonde tristesse, sa grande compassion et ses sincères condoléances aux familles des victimes et à soi-même. Les images relayées par les réseaux sociaux et les commentaires s’y rapportant plongent notre société, tout au moins la partie d’entre elle qui bénéficie de l’internet, dans un examen de ce qu’elle est et des enjeux qui s’y développent. Si tout jugement excessif ne peut être de ce fait pris en considération, il est important de se dénuer de toute subjectivité pour tirer certains enseignements de ce drame.

Primo, l’urgence d’une politique sociale s’impose. Les inégalités sociales et les disparités territoriales constituent pour notre pays un défi majeur qui doit être relevé au plus pressant. Le monde rural reste marginalisé dans l’ensemble et la paupérisation s’y accentue à la faveur de l’enclavement, des déficiences dans le domaine de la santé, de l’éducation et des conditions de vie généralement dures.

Dans ce contexte, la femme reste beaucoup plus exposée aux insuffisances et aux carences et sa condition, de veuve ou de divorcée tout en étant responsable d’un ménage, constitue un facteur aggravant. Etre dans le besoin en étant femme rurale est plus contraignant que dans le milieu urbain ou sa périphérie. L’Etat doit autant s’engager pour une croissance et la création d’un climat favorable à l’émergence économique que pour l’amélioration des conditions des agents de cette activité, particulièrement les personnes et les ménages qu’elles constituent.

Deuxio, le développement ne peut être complétement basé sur l’aide extérieure qu’elle vienne de Casablanca ou des Marocains du Monde. Il ne s’agit pas de combattre la misère en organisant une opération « coup de poing » fût-elle répétée sur plusieurs années.

Le développement local est un tout qui doit améliorer la condition de vie dans son ensemble, de l’alphabétisation à la procuration d’une activité rémunérée. Apprendre à la population de se prendre en charge est aussi important que de subvenir à un besoin en denrées alimentaires; sinon plus. La pauvreté dans la dignité s’assume beaucoup plus que la misère dans le mépris. L’ancrage territorial, la pratique de l’intermédiation, fût-elle pour le paradis éternel, ne doivent pas occulter la nécessité de la mise en œuvre «d’une dynamique qui valorise l’efficacité des relations non exclusivement marchandes entre les hommes pour valoriser les richesses dont ils disposent». C’est cette dynamique qui a manquée atrocement à la commune de Boulaalam.

Tercio, la pratique de la bienfaisance, de l’aumône et de la charité, est ancrée dans notre société. La solidarité et l’entraide sont des valeurs qui s’inscrivent dans notre action sociale quotidienne pour parer à la vulnérabilité des personnes. Tout cela s’exerce généralement dans la discrétion et le respect de la dignité de l’autre. S’il ne peut être question de réglementer ces bonnes actions, il en va autrement quand il s’agit de manifestations caritatives de grande ampleur. L’encadrement juridique et administratif de la bienfaisance publique doit veiller à son bon déroulement et à empêcher son utilisation à des fins non charitables qui anesthésient la conscience de la population ciblée et la rend plus aliénée qu’elle ne l’est.

Quarto, Il ne faut pas se voiler la face en ne reconnaissant pas la défaillance du comportement humain. Le gratuit attire et nos problèmes avec le civisme sont connus et reconnus à travers de nombreux événements. La bousculade relève de la situation culturelle et éducationnelle de la population elle-même qui n’a été ni améliorée ni prise en considération par les organisateurs de l’opération de distribution entreprise pendant des années à la commune de Boulaalam. Elle relève de l’héritage socio-culturel et de l’inefficience des politiques publiques menées à ce jour pour y mettre un terme. Le changement de cette situation est aussi tributaire de la consolidation du processus démocratique dans notre pays et de la participation de la population à la gestion de ses affaires. Le drame de la commune de Boulaalam montre la limite de la bienfaisance telle qu’elle a été pratiquée depuis des années, elle n’a servi qu’à réveiller la bête immonde qui se cache dans tout humain au lieu d’améliorer son humanité et son humanisme.

Ce qui s’est passé à la commune de Boulaalam est le moment le plus ténébreux de notre nuit sociale ; il appelle son aurore.

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