Arrêt sur Image
Par Driss Makkoudi
Au crépuscule d’une longue journée de labeur, sous un ciel orangé, un vieil homme s’assoit à côté de sa charrette, quelques billets de banque et un petit tas de pièces brillantes dans la paume. Son âne, fidèle compagnon de misère, le regarde fixement, les oreilles dressées et l’air visiblement intrigué.
- L’âne : Dis donc, patron… qu’est-ce que tu fais là ?
- Le vieux : Je compte la recette du jour, comme tu vois. Répondit le vieux visiblement peu content malgré son bon gain.
- L’âne : Ah, intéressant. Et je suppose que nous allons maintenant procéder à une juste répartition des gains ?
- Le vieux : (hausse un sourcil) Une répartition ? Depuis quand un âne s’intéresse-t-il à l’économie ?
- L’âne : Depuis que mes sabots sont devenus mes outils de production ! Toute la journée, j’ai tiré ta charrette, transporté tes clients et leurs marchandises, et maintenant, toi, tu comptes les sous. Moi, je compte mes courbatures.
Le vieux ricane, tapote son genou et continue de trier les pièces.
- Le vieux : Ah, mon pauvre, tu n’y connais rien en économie. Moi, je fournis le capital : la charrette, ton l’jame, … et toi, tu es…
- L’âne : Le prolétariat en bardaa, c’est ça ?
- Le vieux : Exactement ! Et dans toute société bien organisée, c’est au capitaliste de récolter les bénéfices.
- L’âne : Ah bon ? Pourtant, d’après Marx, la valeur provient du travail ! Et si on applique sa théorie, c’est moi qui ai créé toute cette richesse aujourd’hui !
Le vieux éclate de rire et secoue la tête.
- Le vieux : Toi, tu lis trop ! Un âne marxiste, voilà qui est nouveau !
- L’âne : Je préfère dire hmarxiste ! Une version adaptée à ma condition.
Le vieux tousse et manque de s’étrangler.
- Le vieux : Hmarxiste ? Et ça prône quoi, ta théorie à grandes oreilles ?
- L’âne : L’abolition de l’exploitation des ânes par les hommes ! Un partage égal des bénéfices et le droit à des congés !
- Le vieux : Des congés ? Mais pour quoi faire ?
- L’âne : Pour aller manifester avec mes camarades mulets et chevaux ! Nous sommes fatigués d’être les bêtes de somme du système !
Le vieux éclate de rire et tape sur son genou.
- Le vieux : Sacré toi ! Bon, et alors, on fait quoi maintenant ?
- L’âne : On négocie mon contrat. Sinon, demain, je fais grève et je vais déposer un manifeste hmarxiste à chez l’écurie centrale !
Le vieux soupire, regarde son tas de pièces, puis sort une belle carotte de sa poche.
- Le vieux : Tiens, je t’offre une prime.
- L’âne : (haussement de sourcil) Une carotte ? Sérieusement ?
- Le vieux : C’est bio, local, sans pesticides… et ça maintient ton pouvoir d’achat.
- L’âne : (grogne) Tu veux dire, mon pouvoir de tracter, oui…
Le vieux éclate de rire et gratte l’âne entre les oreilles.
- Le vieux : Allez, viens, mon camarade. Demain, on renégocie… mais pas trop quand même.
L’âne soupire mais croque la carotte. Après tout, il sait bien que, dans cette histoire, c’est toujours l’âne qui tire la charrette… pendant que le vieux encaisse. Hmarxiste ou pas, il faut bien manger.