Colombie : Grogne populaire réprimée dans le sang

Attendons pour voir …

La Colombie est à feu et à sang depuis que, le 28 Avril dernier, ses habitants s’étaient soulevés contre un projet de réforme fiscale qui visait à augmenter la TVA et à élargir la base de l’impôt sur le revenu. Or, bien que le gouvernement d’Ivan Duque ait vite fait d’abandonner cette idée, la contestation n’a pas faibli, depuis lors, puisque près de 63 personnes seraient mortes, plus de 120 sont toujours portées disparues et près de 2.000  auraient été blessées.

Mais, depuis un mois, les manifestations, à l’allure pacifique pendant la journée, prennent un tout autre visage durant la nuit lorsque la rébellion se transforme en émeutes où « mortiers d’artifices et cocktails Molotov se mélangent aux tirs à balles réelles ».

C’est donc pour faire taire cette profonde colère que le président a ordonné, ce vendredi, le déploiement de l’armée dans les rues de Cali, une ville de plus de 2 millions d’habitants qui est l’épicentre de la manifestation.

Mal lui en prit car, au moins dix personnes, tombèrent ce jour-là sous les balles des forces de l’ordre ; ce qui poussa le pape François à exhorter ces dernières à « éviter, pour des motifs humanitaires, les comportements nuisibles à la population dans l’exercice de son droit à manifester pacifiquement et l’épiscopat colombien à lancer un appel « au dialogue et à la concertation ».

José Miguel Vivaco, le directeur pour les Amériques de l’ONG Human Rights Watch, a saisi cette occasion pour appeler le Président Ivan Duque, au pouvoir depuis 2018, à prendre « des mesures urgentes de désescalade » en interdisant « l’usage d’armes à feu par les agents de l’Etat (car) la Colombie ne peut pas tolérer plus de morts ».

En outre, à l’issue de sa rencontre avec son homologue colombienne, Marta Lucia Ramirez, qui était en visite cette semaine à Washington, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a exprimé « sa préoccupation et ses condoléances pour les pertes de vies humaines » survenues en Colombie et en a profité pour « réitérer le droit incontestable des citoyens à manifester pacifiquement ».

La crise, aussi profonde que soudaine que traverse aujourd’hui la Colombie, est l’expression du désarroi, du profond malaise et, bien entendu, de la colère d’une jeunesse dont le tiers est sans travail et sans instruction dans un pays touché de plein fouet par une pandémie qui a ôté la vie à près de 80.000 colombiens.

La Colombie possède, par ailleurs, le marché du travail le plus informel d’Amérique latine car en se concentrant pendant plus d’un demi-siècle sur la lutte contre la guérilla maoïste des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), l’Etat avait totalement occulté la demande sociale si bien que le pays se classe, aujourd’hui, parmi les plus inégalitaires en termes de revenus.

Autant de raisons qui avaient fait qu’en 2019, peu de temps avant la crise sanitaire mondiale et une année après l’élection d’Ivan Duque, les étudiants colombiens avaient investi, en masse, les rues des principales villes du pays pour réclamer un enseignement public, gratuit et de qualité, des emplois et une société plus solidaire. Mais la soudaine pandémie du Coronavirus qui s’était abattu sur la planète avait mis un terme à cette mobilisation sans que le chef d’Etat n’ait eu à faire de concessions et avait plongé dans l’indigence plus de 42,5% des 50 millions d’habitants que compte la Colombie ; ce qui fera dire à la politologue Sandra Borda qu’ « au moins une décennie de lutte contre la pauvreté a été perdue ». Elle ajoutera même qu’ « il existe un pan actif de la société qui a longtemps été exclu de la politique et du monde du travail et maintenant du système éducatif et qui en a assez d’être exclu. C’est lui qui, aujourd’hui, manifeste dans les rues »

Si donc, pour l’heure, malgré l’envoi de médiateurs à l’effet de négocier avec le Comité national de grève qui a initié le mouvement de contestation, le gouvernement est toujours dans l’incapacité de désactiver cette crise, de quoi demain sera-t-il fait ? Cette contestation, qui semble être là pour durer, parviendra-t-elle, à terme, à éjecter Ivan Duque et les siens ? Attendons pour voir…

Nabil EL BOUSAADI

Étiquettes ,

Related posts

Top