Contre la violence et le morcellement, un appel à la résistance par la culture

«De Tata à Tombouctou…le dialogue des dunes», à la salle Ali Yata au siège national du PPS

La salle Ali Yata au siège national du Parti du progrès et du socialisme à Rabat a abrité, jeudi soir, à l’initiative de Agora des administrateurs progressistes, un espace ouvert à tous les administrateurs, une cérémonie au cours de laquelle le documentaire «De Tata à Tombouctou…le dialogue des dunes» a été projeté et commenté par une pléiade de spécialistes, critiques et observateurs avisés de la question du Sahara.

Organisée sous le signe« le Sahara espace de rencontre », cette manifestation a été marquée par un débat auquel ont pris part le professeur Abdelfattah El Belaamchi (modérateur), Mae El Ainine Mrabbih Rabou, cadre au ministère de la communication, Ismail Alaoui, président de la Fondation Ali Yata, Rachid Belghiti, journaliste et El Bachir Dkhil, président du Forum Alternatives.

Comme son nom l’indique le film «De Tata à Tombouctou…le dialogue des dunes» (réalisation de Janane Fatine Mhamdi et scénario de Rachid Belghiti) est un documentaire qui revient à travers un voyage dans le passé et l’espace du Sahara sur l’histoire de la région et la perte de plus en plus rapide et inquiétante de ses spécificités, de son environnement, de ses modes de vie nomades, de ses traditions. Il remonte le temps et évoque le sort et le destin de cette région, théâtre aujourd’hui de violence et terrain de prédilection de groupes séparatistes et terroristes.

L’acteur principal (voyageur-narrateur) et reporter Rachid Belghiti, natif de Tata après 1975, part à la découverte de ce monde où il vivait sans le connaitre. Il recueille pour ce faire entretiens, déclarations de ses proches, de sa mère, de ses voisins, d’artistes et d’autres sur les arts, les danses, la culture, les saisons, les cueillettes et les tantes, dont il déplore la disparition continue pour laisser place à un habitat de fortune mais stable (sédentaire).  Le tout sur un fond de musique à l’aide d’instruments purement sahraouis (Tendinite et Guedra).

Sa mère lui confia avoir appris à lire et à écrire comme l’ensemble de ses voisines chez une esclave «savante», détentrice d’une culture orale, qui enseignait la poésie, le Coran, le Hadith et autres disciplines islamiques. D’autres lui révélèrent les secrets des saisons, de la cueillette des dates, des oasis, des cultures et de l’élevage.

Il se rend partout où l’on parle arabe, hassani, amazigh, français, et d’autres langues de peuples africains en empruntant l’une des deux routes qui mènent vers Tombouctouen passant par la Zaouia Maa El Ainine. Il accompagna une troupe de musique qui donna un concert à Tombouctou par lequel les musiciens entendent défier la violence en faisant de la résistance contre la guerre, selon les propos de leur chef.

Moulay Ismail : mes origines sont sahraouies

Selon Moulay Ismail Alaoui, président de la fondation Ali Yata, le film a remué en lui beaucoup de souvenirs et toute une histoire qui remontent à ses origines sahraouies. «Mes ancêtres sont venus du Sahara», cet espace qui faisait partie sans conteste de l’empire chérifien, a-t-il dit, notant que le sujet a été traité par un certain nombre de chercheurs dont un historien marocain de confession juive qui lui a consacré une thèse présentée à l’université d’Al Qods. Selon lui, les Maliens d’origine marocaine, sont issus surtout de Fès ou de Marrakech, les deux métropoles qui envoyaient tous les trois ans et à tour de rôle des soldats défendre Tombouctou.

D’après Moulay Ismail, le Maroc entretenait des relations solides avec ses profondeurs sahraouies, qui étaient très attachées à leur appartenance à l’empire chérifien comme en témoigne l’action de la Zaoui de Maâ El Ainine et d’autres Zaouias, aujourd’hui implantées dans de nombreux pays africains.

Il a également cité les travaux de l’historien Nabil Mouline, selon lequel El Mansour Eddahbi, projetait d’aller à la conquête de l’Egypte, au moment où une localité dans le nord du Niger et au Tchad lui avait fait allégeance.

En tant que grand patriote, Moulay Ismail a souligné la pertinence du travail accompli par El Belghiti, un travail qui invite les Marocains à rester attachés à leurs justes droits sur le Sahara, tout en faisant preuve d’ouverture aux autres malgré leur animosité.

Citant un autre ouvrage du diplomate Louis Guessous, Moulay Ismail a fait savoir que le morcellement de la région en Etats et zones d’influence a été l’œuvre du colonisateur français, ayant profité du déclin de l’empire chérifien sous le règne de Moulay Abdelaziz pour occuper la région.

Aujourd’hui, alors que les choses ont changé, il est nécessaire pour le Maroc d’oeuvrer pour établir une nouvelle forme de coopération et de cohabitation au sein de cet espace qui est le nôtre dans le respect des Etats, a-t-il affirmé.

Mae El Ainine Mrabbih Rabou : faire de la culture l’arme ultime de lutte

Pour sa part, Mae El Ainine Mrabbih Rabou, ancien membre fondateur du polisario a appelé à faire de la culture, comme le plaide le film, l’arme ultime de lutte contre la guerre, la division, l’obscurantisme et l’ignorance. «Ce sont les peuples évolués qui font appel à la culture pour se libérer», «lutter contre la dégradation de l’environnement» et «pour résister», a-t-il martelé.

Le film montre que la région n’est pas vide. On y vit, on y coexiste entre arabophones, africains, berbérophones, hassaniphones, etc… point de confrontations ou de discriminations, point de rejets ou de confrontations, a-t-il dit. Tout le monde a sa place dans cet espace qui grouille de vie. Même une esclave savante détentrice d’une culture orale a sa fonction à jouer. La Zaouia Maâ El Ainine est une institution religieuse jihadiste, malheureusement délaissée pour le moment, a joué un rôle historique important dans toute la région.

Pour lui comme pour les autres intervenants, c’est le colonialisme français qui a détruit les fondements de ce vaste espace pacifique, en érigeant des frontières entre les uns et les autres.

Quant aux Sahraouis, ils avaient rejeté à un certain moment donné une proposition algérienne de créer un Etat dans le sud à Tindouf. Tous les notables et grands de la région ont dit non à ce projet dont le fondateur de Tindouf qu’est l’ancêtre du modérateur de cette rencontre, ici présent, a-t-il dit. L’ancêtre du Pr. Abdelfattah El Belaamchi a quitté une fois pour toutes Tindouf pour aller s’installer ailleurs en territoire aujourd’hui marocain, a-t-il ajouté.

Pour lui, l’origine du Maroc provient du Sahara, avec lequel l’on doit se réconcilier par la culture et l’art, au lieu de promouvoir la culture de la guerre, de la haine et de la confrontation.

Rabbouh Maa El Ainine : le film, un ensemble d’énoncés à développer

Pour Rabbouh Maa El Ainine, le film présenté n’est que le condensé d’une série d’intitulés, qu’il faut développer point par point pour en saisir l’entière importance. Il occulte de nombreux autres aspects de la vie dans cet espace saharien, aujourd’hui très convoité. L’on devait explorer beaucoup plus le rôle unificateur des autres Zaouias, autre que celle de Maa El Ainine, comme la ZauiaKadiria, aujourd’hui répandue en Afrique.

Belaamchi : la notion de frontières est étrangère

Commentant ces propos, le modérateur de la rencontre El Belaamchi a rappelé que pour les habitants de la région, la notion de frontières n’existait pas. Ce qui les  rapproche du Maroc est beaucoup plus que ce qui les sépare, a-t-il dit, appelant à l’exploitation de tout ce qui est culturel et artistique pour rétablir la situation. Le recours à l’action politique ou aux échanges économiques et commerciaux ne suffit pas à renouer définitivement avec la région, a-t-il estimé.

Rachid Belghiti : humaniser la région par la culture

Quant au scénariste et acteur principal du film, Rahcid Belghiti, il a affirmé d’emblée que le Sahara est un espace de la diversité linguistique et culturelle. Il est plein de vie nomade, sédentaire, intermédiaire. On y vit sans frontières, ces obstacles érigés au lendemain de l’avènement de l’Etat-nation, notion étrangère à la culture de la région.

L’Etat-nation a créé de la fissure, a-t-il dit, appelant à libérer le Sahara des discours à charge politique, porteuse de confrontation pour l’humaniser à travers le retour à la culture.

M’Barek Tafsi

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