Des expériences timides et prudentes

Le cinéma au cœur de la campagne électorale

Quelle est votre appréciation de la présence de la politique dans le cinéma marocain ? (Y compris vos films)

Avant de répondre à cette question, permettez-moi d’affirmer que la pertinence de la question du rapport entre le cinéma et la politique est non seulement nécessaire mais indispensable.  Fatalement, cela nous mène à parler du cinéma politique « engagé » ou « militant », et qui est en soi un « genre » qui fait du pouvoir politique son terrain de prédilection sur les plans narratif, scénique et événementiel. Si on veut prendre des exemples dans le cinéma marocain qu’on peut classer parmi les films politiques, on trouvera des expériences timides, et laissez-moi dire plutôt prudentes dans le traitement ou l’évocation du fait politique. A partir de là, l’analyse et la lecture critique de ce qui est politique dans ces films devient indispensable.

Je ne m’arrêterai pas trop sur les exemples qui font légion car cela demanderait des analyses diverses et des lectures multiples, et je me contenterai de citer quelques exemples évidents qui couvrent différentes périodes et supportent une analyse pertinente.

Films à caractère politique international : Je citerai « AMOK » du réalisateur SUHEYL BEN BARKA qui présente dans ce film une image sombre de l’Afrique du sud dans les années 80 sous le régime de l’Apartheid, décrivant les souffrances quotidiennes de la population noire.

Films traitant de périodes politiques antérieures : « LA CHAMBRE NOIRE », du réalisateur HASSAN BENJALLOUN, qui met en lumière la période des arrestations et des souffrances des prisonniers politiques dans les années 70.  » STRAVE YOUR DOG » de HICHAM ALASRI qui lève le voile sur un épisode douloureux de l’histoire du Maroc à travers un personnage symbolique représentant l’ancien système sécuritaire.

Des films à caractère réformiste et à dimension politique indirecte tentant de traiter des sujets de la vie quotidienne du citoyen marocain en mettant sous la lumière un phénomène en particulier afin d’alerter l’opinion publique et le pouvoir politique et susciter des réactions. « ALI ZWA » de NABIL AYOUCH traite du sujet des enfants des rues et « LES CHEVAUX DE DIEU » qui évoque les attaques terroristes qui ont visé Casablanca. « C’EST EUX LES CHIENS » de HICHAM LASRI qui est un appel désespéré pour la nécessité des réformes politiques.

Quant à mes films à dimension politique, ce sont des créations à travers lesquelles j’essaye de traiter des sujets marocains à caractère universel mettant sous éclairage des questions sociales et politiques passées, présentes ou à venir qui me tiennent à cœur. J’en cite pour exemple : « LA JARRE » qui incrimine la pauvreté comme cause essentielle du terrorisme. « LA VITRINE » qui met à l’index la responsabilité des médias arabes et internationaux dans la répression dont est victime le peuple palestinien. « SOUFFRANCE » traite de la situation sociale et psychologique des instituteurs dans les écoles de campagne. « DERRIERE LES PORTES FERMEES » s’attaque au problème du harcèlement sexuel dans les bureaux et l’administration.

Enfin, dans mon dernier film « A LA RECHERCHE DU POUVOIR PERDU », on observe de très près la vie d’un général de l’armée. C’est une plongée dans les abysses de son univers intime, culturel et artistique parallèlement aux bouleversements politiques qui agitent le monde. Pour moi, on peut inclure ce film dans la catégorie du cinéma politique par excellence et même dans le sens académique du terme, où l’individu devient prisonnier du sujet politique, plus, il en devient un protagoniste. Aussi, le pouvoir perd-il son efficience dans le tourbillon des luttes internes, de la répression et la frustration qui aboutissent enfin à l’explosion faisant la part belle à l’extrémisme et aux extrémistes. La lecture critique de l’enchainement des événements de ce film, nous permet de jeter un œil sur les conséquences du printemps arabe et africain dont la plus évidente est la perte du pouvoir qui a engendré l’insécurité et tant de vies innocentes perdues.

Il faut donc relativiser l’importance d’un cinéma politique au Maroc. Ce type de cinéma reste timide et respectueux des convenances. L’objectif premier des réalisateurs étant surtout le désir d’attirer l’attention, et le ressort en est très rarement l’engagement politique.

Pour finir, et paradoxalement, je reste convaincu que le cinéma marocain est naturellement politisé au sens premier du terme car son objectif est surtout de montrer une image positive du Maroc à l’étranger, et non pas d’œuvrer pour la réforme politique. Cela entraine fatalement une soumission aux courants politiques au pouvoir tant que la création artistique n’acquiert pas son indépendance.

Quel regard portez-vous sur la présence du cinéma dans la politique marocaine ?

(Nos politiques font-ils référence au cinéma dans leur discours ? le cinéma est-il suffisamment présent dans l’espace publique…)

Quant à la présence du cinéma dans la politique marocaine, elle est seulement faite pour attirer l’attention et créer le débat… je veux dire par là qu’elle est un alibi politique dont l’objectif est de se rapprocher de l’opinion publique et de créer de faux débats sur les sujets traités dans le cinéma. Beaucoup de partis politiques et de politiciens maîtrisant peu le projet politique et n’ayant cure des revendications des citoyens, s’immiscent dans le débat en ayant pour objectif de semer la zizanie et la discorde autour des sujets traités par le cinéma et dont la politique se désintéresse.

Considérer le cinéma comme un art de premier ordre qui participe à l’élévation du goût et du niveau des débats, est en soi un projet politique que le pouvoir politique doit préserver comme un acquis de premier ordre qui participe à la construction de la liberté d’opinion. Car loin des discussions byzantines qui, sous couvert de sérieux afin de se rapprocher de l’opinion publique et de gagner la sympathie des uns contre les autres, il faudrait proposer de véritables solutions. A l’observation, l’écho du cinéma dans les milieux sociaux est de l’ordre de l’événementiel sans plus. En parler, n’est qu’un moment passager créé par un film dont le sujet a suscité un intérêt immédiat.

Y a-t-il une personnalité, un fait, un événement, une scène de la vie publique des ces dernières années qui pourrait à votre avis inspirer un scénario pour le cinéma ?

Beaucoup de sujets dans notre société peuvent inspirer des scénarios… La souffrance du citoyen marocain dans la rue, à la maison, au village, dans les bureaux des administrations, avec la loi, le pouvoir… et même avec lui-même, peuvent être autant de thèmes d’importants scénarios pour des films au service d’une prise de conscience des marocains. Aussi, dans une société dominée par l’analphabétisme, et qui a besoin d’une pédagogie visuelle, en l’absence d’une véritable méthodologie pédagogie de l’enseignement que les différents gouvernements qui se sont succédés ont échoué à mettre en place, il y a le sujet d’un immense scénario.

S’il y a une revendication, une grande réforme, une requête à présenter aux futurs parlementaires (une seule)… elle serait laquelle ?

Pour moi, la mesure du progrès dans n’importe quelle société, dépend de quatre éléments indispensables : la santé, les voies de communication (routes … etc.), l’enseignement et enfin le statut de l’artiste dans la société. Si j’ai une revendication à présenter au prochain gouvernement, elle concerne la situation matérielle de l’artiste à l’instar de celle qui prévaut en Europe (les intermittents du spectacle).

Mohammed Bakrim

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