Des Syriens, demandeurs d’asile, au nord du Mali !

La guerre impitoyable qui bat son plein en Syrie a poussé la famille de Fatma Abbes et beaucoup d’autres encore à quitter la ville syrienne d’Idlib et à entamer un long périple qui les a menées d’un continent vers un autre. Ils se sont d’abord trouvés à Khartoum où ils ont trouvé un accueil chaleureux auquel, nous confie Fatma, ils ne s’attendaient pas. C’est d’ailleurs ce qui les a encouragés à aller plus loin à la recherche d’espaces plus vastes, avant de se poser dans la ville de «In Khalil» située à 700 km au nord-est de Tombouctou à l’extrême nord du Mali, près de la frontière algérienne.

Il y a deux ans ou plus, cette mère sexagénaire a trouvé refuge avec ses cinq fils à Khartoum. Mais elle est restée habitée par le désir de partir à la recherche d’un projet quelconque… ou d’une chimère… Cette idée, elle n’est pas seule à l’avoir. Vingt-quatre autres réfugiés l’ont eue comme elle en fuyant les ravages de la guerre dans leur pays et en trouvant dans le départ la possibilité de réaliser, ou non, un projet… quelle autre alternative auraient-ils ?

Racontant son périple, Fatma Abbes dit : « Nous avons décidé de quitter le Soudan vers le Maroc et de là vers la Mauritanie, en direction de l’Algérie. En route, nous sommes passés par le Nord du Mali : des terres que nous avons foulées et où nous avons trouvé une chaleur inespérée de la part de familles pourtant dans la même situation que nous si ce n’est pire…».

Poursuivant son récit, le visage animé d’une lueur d’espoir et du désir intense d’une délivrance tant attendue, Fatma dit : «Nous avons entendu dire que l’Algérie est un pays riche et paisible qui contient de multiples offres d’emploi. C’est pour y parvenir et avoir une vie meilleure que nous avons tout enduré».

Fatma assure que c’est avec l’argent récolté de la vente de ses meubles qu’elle put partir de la Syrie jusqu’au Maroc en passant par le Soudan. Quant à son voyage du Maroc vers la Mauritanie, elle le doit à la bienfaisance d’une âme charitable. Et c’est enfin en supportant, avec ses cinq enfants, l’humiliation de tendre la main dans les rues de la capitale Nouakchott qu’elle a pu partir de La Mauritanie vers le Mali.

Tout comme Fatma, Ahmed Salem qui est, à 53 ans, père de quatre filles affirme qu’il a fallu qu’il passe par le Nord du Mali en allant vers l’Algérie, pour qu’il se fasse une idée de la situation des réfugiés dans cette région. Il raconte : « Il y a trois mois, avec mes filles et plusieurs autres familles, nous sommes arrivés à In Khalil. Nous ne comptions pas y rester car nous voulions nous rendre en Algérie. Mais nous n’avons pas pu le faire, puisque le passage des frontières nous a été interdit. Ce qui nous aide à résister, c’est la gentillesse des Maliens qui n’épargnent pas leurs efforts pour nous aider, même si nous nous trouvons dans l’obligation de travailler dur pour gagner notre vie ».

Selon des sources du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le mouvement malien en charge de l’administration dans cette zone frontalière avec l’Algérie, ces réfugiés syriens ont transité par le Soudan ou l’Ethiopie, pour atterrir à Nouakchott. En Mauritanie, ils vont dans la ville frontalière de Bassikounou, connue pour la forte présence des réfugiés maliens, ce qui facilite le transit des Syriens vers le Mali, qui n’est qu’une ultime étape pour arriver en Algérie. Ces réfugiés paient des passeurs arabes pour les déposer à la frontière Algérienne à Inkhalil. La même source rapporte que ces Syriens sont regroupés près d’une base militaire Touareg, pas loin de la frontière algérienne au niveau de Borj-baji mokhtar.

Par ailleurs, les réfugiés se font enregistrer par les combattants Touaregs qui leur apportent un minimum d’aide alimentaire. Sur place, les locaux constatent que le flux des réfugiés syriens se poursuit, en provenance de Mauritanie et transitant par le village de Ber (60 kilomètres au Nord de Tomboctou). « Leur objectif, c’est d’entrer en Algérie », assure un responsable de la coordination des mouvements de l’Azoued, qui lance un appel de secours à l’adresse des organisations humanitaires internationales, afin de venir en secours à ces réfugiés. « Notre coordination n’a pas les moyens de prendre en charge ces réfugiés », affirme-t-il.

A propos de cette situation, le militant des droits de l’homme et journaliste algérien, Kassi Ras Alma assure que : « l’Etat algérien étudie un à un les dossiers des Syriens désireux d’entrer sur ses territoires. Pas moins de 200 Syriens se trouvant dans la ville malienne d’In Khalil située à huit kilomètres de la frontière algérienne attendent une autorisation ou un refus de séjours de la part de notre pays ». Par ailleurs, Kassi Ras Alma n’omet pas d’ajouter : « Pénétrer dans le territoire algérien par la voie de la contrebande est encore plus dangereux pour eux que de transiter vers l’Europe ».

En ce qui concerne l’attitude de la population locale envers les Syriens demandeurs d’asile, Mohamed Ag Khamis, l’un des habitants de la région d’In Khalil : « Si ces Syriens voulaient réellement demander l’asile, ils auraient frappé aux portes de l’Europe comme l’ont déjà fait des milliers d’entre eux… Je ne pense pas qu’ils cherchent refuge ici. De toute façon, ce sont nos frères de religion et puisque cela fait des années que nous souffrons sans que personne ne se soucie de nous, nous avons décidé de nous montrer chaleureux envers eux pour que le monde entier se rende compte de notre solidarité malgré nos souffrances ».

Pour sa part, Abou Bakr Al Ansari, le spécialiste des affaires du Sahel affirme en commentant l’arrivée de ces Syriens dans la zone frontalière d’In Khalil : « Le Nord du Mali peut être considéré comme un lieu idéal d’asile, au vu des centaines de réfugiés, qui y transitent en ce moment. Mais, la crise économique qui traverse la région, pousse à des interrogations sur les raisons de cet afflux et pourquoi ces réfugiés ont quitté les pays qu’ils ont traversés pour parvenir jusqu’au Nord du Mali, s’ils étaient seulement en quête de sécurité ».

Et Al Ansari de préciser encore : « Ces personnes sont en réalité à la recherche d’un endroit où fleurit le trafic de drogues et il n’est pas exclu non plus de les voir rejoindre les organisations islamistes actives dans la région ».

Etant convaincu que l’état algérien n’est pas plus concerné que les autres pays par l’accueil de ces immigrés, comme cela avait été d’ailleurs sa position envers les réfugiés maliens auxquels il avait fermé ses frontières en 2012, notre interlocuteur ajoute que le Nord du Mali, en tant que pays parcouru par de nombreux conflits et subissant depuis des années une grave crise sécuritaire, demeure une destination inattendue pour des demandeurs d’asile.

Produit en collaboration avec www.dune-voices.info

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