Donnez la parole au Maître… d’école!

Donnez la parole au maître, tous, tant que vous êtes : politiques, planificateurs, administrateurs, pédagogues! Donnez-lui la parole, enfin! Mais pas comme il en a l’habitude, en battant le pavé, avec force vociférations ou en enfilant/psalmodiant plaintes et litanies devant les micros et les caméras, ou entre les rangées clairsemées de meetings et assemblées. Encore moins pour en abuser ou en user pour espérer, par une auto-victimisation rodée nationalement par moult professions, des prébendes ou, pire, pour fuir ses responsabilités.

Pas de la sorte, non, car cela donne alibi à ses interlocuteurs, puissants ou non, pour le marginaliser, le culpabiliser ou l’infantiliser, surtout quand il s’empêtre dans les pièges d’un faux et inégal dialogue avec l’État ou d’un factice ou inconséquent syndicalisme vieillissant. Ne jetez pas le maître et la maîtresse d’école dans les bras de la culture des «ferrachas» qui, à cause de l’indigence, de l’incompréhension, sur fond de laxisme, de corruption et de passe-droits, poussent nombre de professions dans la zone du non-droit, havre d’impunité pour l’irresponsabilité, l’incivisme, la démission, voire le sabotage du futur d’une nation…Le futur de générations de Marocains et de Marocaines, en l’occurrence!

Il y a de quoi s’arracher les cheveux devant une telle démission collective, devant ce drame abyssal de notre enseignement, de notre école ! Drame annonciateur, plus clairement d’année en année, décennie après décennie, d’une chute finale, vertigineuse et irréversible de notre intelligence et de notre force de vivre, de s’épanouir, voire de survivre tout simplement à la «Jahilia» ambiante et rampante, en tant que peuple, comme pays, comme contrée où naquirent et s’épanouirent des cohortes d’exégètes, de ciseleurs de mots et de beautés plastiques et esthétiques, de voyageurs aux legs universels…

Au regard des multiples diagnostics, éclairages et analyses concluant tous et invariablement à un constat de dysfonctionnements et de déficits sur les plans quantitatif (taux de scolarisation, carte scolaire, sous scolarisation dans le monde rural, de la petite fille…) et qualitatif (pédagogies archaïques, outils dépassés, inadaptés, enseignants déphasés, démotivés, volumes horaires improductifs et inadéquats, bilinguisme inconséquent, finalité emploi inexistante…), l’approche qui pourrait être porteuse de réponses tangibles consisterait tout simplement à donner la parole à la composante de base dans cette inextricable problématique : l’éducateur/éducatrice.

En fait, il s’agit de redonner la parole aux hommes et femmes qui sont aux premières lignes du système, après une prise de parole quasi exclusive des décideurs, politiques, planificateurs, experts, intellectuels, syndicalistes, chroniqueurs, commentateurs, bref, différents types d’élites dont les voix, plus ou moins légitimes sur la question, aboutissent depuis des années sur des impasses ou des constats d’impuissance, logorrhée légère ou démagogique mise à part.

Mais donner ou redonner la parole à la population de base du système ne doit pas être une fin en soi. Il s’agit plutôt de donner la parole de manière balisée, avec des objectifs prédéfinis.

En tête de ces objectifs à atteindre à travers cette prise de parole par l’éducateur/éducatrice, on peut déjà retenir;

* impliquer l’éducateur/éducatriceau plus profond de la réflexion sur la problématique ;

* initier leur réflexion sur toutes les pistes stratégiques et actions structurelles déjà repérées ou défrichées par le système et ses experts;

* faire émerger leurs apports dans les contenus et les formes d’action ;

* les amener à adopter une méthode de «priorisation» des problèmes et des solutions à envisager;

* les faire adhérer à l’approche communautaire, c’est-à-dire:

* percevoir l’école et ses activités en relation avec son environnement socioéconomique, culturel et communautaire ;

* avoir la capacité de dynamiser les potentialités multisectorielles au profit de l’école

* avoir la capacité de sensibiliser et de mobiliser la communauté autour de l’école et d’en promouvoir les initiatives et les potentialités ;

* avoir la capacité d’initier ou d’appuyer tout cadre organisationnel communautaire au profit de l’école, selon que ce type de cadre existe ou non : association de parents, comité villageois, associations à but social, économique ou culturel… ;

* avoir la capacité de faire le plaidoyer de l’école, de ses efforts, attentes et activités auprès de tout partenaire ou partie intéressée localement (parents, associations, autorités, administrations sectorielles, relais sociaux, leaders d’opinions, médias…) ;

* lui faire suivre les nouveautés et progrès du monde de sa profession (méthodes pédagogiques, contenus, manuels, outils, technologies…).

La valorisation de soi

Dans son ensemble, la démarche proposée revient à organiser une sorte d’états généraux de toute la population des éducateurs en charge, dans le système du MEN, de la problématique scolaire, vis-à-vis des enfants -d’abord !- des parents et de la collectivité nationale – ensuite ; à savoir : les instituteurs et institutrices, les formateurs des formateurs et pédagogues, les directeurs d’école, les inspecteurs…

Démarche qui concernerait une population de plus de 120 000 à 160 000 personnes, et donc une démarche qui procède elle-même, à certains égards, de l’approche communautaire. Puisqu’il s’agit, comme but ultime, de rendre l’enseignant de base motivé à tel point qu’il se sente le premier concerné par le devenir de l’école et de sa place dans la collectivité. Pour qu’il se perçoive comme l’éclaireur du système, volontairement mobilisé pour l’initiative qui crée une synergie autour de l’école et pour promouvoir l’image et l’efficience de celle-ci aux yeux des populations cibles (enfants, parents, autorités, administrations, associations…). Un but déterminant si on veut inscrire un véritable changement par rapport à l’atmosphère actuelle. Une atmosphère alimentée de démotivation, de démission, de désintérêt, de sentiments d’impuissance ou de culpabilité, de léthargie, de nonchalance, d’alibis bureaucratiques et de toutes sortes de routines improductives, voire régressives, qu’entretient un esprit de fonctionnaire résigné et parcimonieux, parfois même tricheur, dans le labeur qu’il consent à une institution qu’il trouve loisir, lui-même, à dénigrer, puisque tout le monde le fait (!). Ce qui, finalement s’avère, à la longue, au bénéfice d’équivoques, politiquement bon marché ou alambiquées, dures à démêler comme celle identifiant le banc d’école à une promesse d’emploi…

En d’autres termes, ces «états généraux» viseraient comme résultat, auprès de l’éducateur/éducatrice, un sentiment fort d’implication et de responsabilité mis au service de la réconciliation de l’école avec son environnement, la communauté en premier lieu. Un sentiment, donc, d’engagement enthousiaste et généreux chez l’éducateur/éducatrice de base que confortent deux ancrages principaux : une volonté de profonde réforme au niveau politique et décisionnel (avec démarche, mesures et communication qui font preuve, à cet égard, de conséquence) et une mobilisation nationale et communautaire qui s’emploie et s’active afin d’intégrer l’école comme lieu communautaire de développement et d’intégration sociale, loin des attentes équivoques, politiquement bon marché ou alambiquées, et qui sont responsables des impasses actuelles ou passées.

Autrement dit, on doit compter sur cette démarche redonnant ainsi la parole aux éducateurs/éducatrices de base pour que ces derniers renouent avec une valorisation de soi et de la mission qui leur incombe aux yeux de la communauté locale, de toute la collectivité nationale, et, avant tout, à leurs propres yeux.

Pr. Jamal Eddine Naji

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