Écrire

…Pour être honnête (je m’évertue toujours à l’être malgré les tentations des choses et des êtres), je ne sais pas d’où me vient cette étrange envie, ce besoin pressant, ce plaisir brûlant, ce désir ardent, cette urgence cinglante d’écrire.

Est-ce pour vomir le fiel et l’aigreur qui bouillonnent dans mon for intérieur? Peut-être pour extraire mes peurs, mes douleurs et mes frayeurs et guérir mes maux avec mes mots? Et si c’était pour des raisons plus sérieuses et plus vitales : Relater les misères et les malheurs des petites gens, dénoncer les ignominies et les horreurs de ce monde immonde, démasquer les despotes et les tyrans, combattre les extrémistes, les terroristes et les ennemis de la vie? Est-ce pour d’autres raisons qui restent mystérieuses, sibyllines et bien enfouies dans l’inconscient? Que sais-je? Ce que je sais, ce dont je suis sûr comme de mes battements de cœur, c’est que j’aime écrire. J’adore écrire ce qui me trotte dans la tête, ce qui vibre dans mon cœur, ce qui gronde dans mes viscères. Et en écrivant, je me permets tout et ne me prive de rien. Durant mon soliloque interne, aucun interlocuteur n’est là pour m’interrompre, me contredire ou m’interdire de dire. J’ai tout le loisir de dire tout ce que je désire et de la manière que je préfère. Je choisis le niveau de langue qui me chante, les expressions qui m’enchantent et les mots qui me tentent. Je suis le maître absolu et le constructeur du texte; Je choisis son fond et lui donne sa forme; Je crée son architecture et le battis phrase par phrase du début jusqu’à la fin. Les mots sont miens, je peux, par exemple, les murmurer, les épeler, les ânonner, les répéter, les prononcer lentement ou les lancer rapidement comme une balle de tennis. Je peux les découper en syllabes, les juxtaposer, les opposer, les faire exploser comme des obus. Je peux aussi les faire tinter, sonner, frissonner, résonner ou gronder. Je peux les hurler à m’époumoner, les faire grincer ou les faire bruire comme les feuilles des arbres. Je peux en faire ce que bon il me semble, les exploiter à ma guise tant qu’ils disent ce que je veux qu’ils disent ! Je peux en faire ce que je veux du moment que cela se passe dans ma tête et que personne ne les écoute. Les clients et le patron du café ne risqueront pas de me prendre pour un fou à lier ni de téléphoner à ces anges tout de blanc vêtus pour qu’ils viennent me mettre la camisole de force et m’enfermer dans une cellule nue jusqu’à ce que je devienne réellement cinglé !… Ils me voient, écrivant tranquillement, silencieusement, sagement comme un écolier studieux rédigeant une expression écrite. Ils n’entendent pas mes mots. Ils ne se doutent point du volcan qui mijote dans ma tète. Ils ne voient pas cette fourmilière de mots grouillant dans ma tête. Personne n’entend mes mots. Personne ne se doute de leur importance, de leur impact, de leur influence, de leur valeur, de leur richesse, de leur présence existentielle… Lorsque je mets mes mots noir sur blanc, dès que je les écris, je les vois prendre vie et s’animer comme s’ils naissaient. Ils se mettent aussitôt à parler, à gesticuler, à protester, à jouer du coude, à grommeler, à se bousculer pour avoir la meilleure place dans la phrase, pour être mis en valeur, pour être sur un piédestal! Cela dépend du sens que je leur donne et souvent de celui qui se trouve dans le dictionnaire, propre ou figuré, simple ou imagé. Cela dépend de leur poids, de leur masse, de leur prix, de leur valeur. Cela dépend de leur longueur, de leur couleur, de leur odeur, de leur saveur… Quand j’écris par exemple le mot «amour», mon cœur se met à frémir dans ma poitrine voulant sortir, et je pousse un soupir en pensant à tous les tourtereaux, à tous les amoureux, à tous les malheureux atteints de la terrible maladie de l’amour. En écrivant le mot «terrorisme», je vois le sang des innocents, je vois des gens décapités, estropiés, mutilés et j’ai le hante-le-cœur, une envie soudaine de pleurer, une rage et une douleur insupportable. Il me suffit d’écrire le mot « liberté » et je vois des hommes et des femmes briser les chaînes, des peuples qui se déchaînent, des nations qui se révoltent et se rebellent et me poussent des ailes!

… Les mots ne sont point innocents, point insignifiants, même les plus petits, les plus frêles, les plus anodins. Les mots sont tellement vivants! C’est pour cette raison que je suis plein d’émotion en écrivant. Cet exercice plein de volupté et de raffinement m’excite et me bouleverse tellement que je me laisse captiver, m’éblouir et m’émouvoir, imaginant tout ce que les mots dénotent et connotent. Je marie leur signifiant et leur signifié qui me deviennent familiers comme par magie. Je déborde alors de vivacité, d’enthousiasme, de fougue et de gaieté.

…Confiant et vaillant, j’essaie donc de m’approprier les mots, de les dompter, de les domestiquer, de les garder jalousement dans ma tête, en vain! Les mots sont libres, réfractaires, indomptables et rebelles. Dès que je les prononce, ils prennent la poudre d’escampette et vont gambader dans l’espace comme la chèvre de monsieur Seguin gambadant dans la montagne défiant la peur des loups!…L’espace qui nous entoure est, paraît-il, plein à craquer de tous les mots prononcés par les animaux parlants depuis qu’ils avaient acquis la faculté et l’art de la parole. Les mots s’y meuvent en toute liberté comme un aigle planant majestueusement dans le firmament! On ne les voit pas, on ne les entend pas, on ne les touche pas, cependant ils sont là, physiquement, superbes, en chair et en os, en consonnes et en voyelles, bien en vie jusqu’à la fin de la vie. Incroyable mais vrai :
Les hommes passent leur vie à pérorer et à radoter et partent et leur mots restent!
Les mots perdurent, persistent et persévèrent. Les mots sont éternels et les hommes sont éphémères!
…Moi qui adore les dictons, les maximes et les citations sans pour autant être capable de les apprendre par cœur. Même mes propres poèmes, je ne peux les citer de mémoire et dois les lire comme s’ils étaient écrits par un autre. Il m’arrive même d’être surpris en lisant une phrase ou un vers et je me dis : « C’est moi qui ai écrit ça? » C’est bizarre, n’est-ce pas? J’ai une mémoire de moineau, je dois l’avouer. Je n’ai ni le génie, ni l’éloquence, ni la mémoire d’un Fabrice Luchini. Cependant, en guise de conclusion, je suis heureux de partager avec vous, cher lecteur potentiel, cette belle citation qui résume à merveille ma conception de l’écriture : Dans son livre intitulé « L’homme joie », Christian Bobin a dit : Écrire, c’est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l’ouvrir. »…Il a tout dit. Quelle merveille! Dans une petite phrase, il a dit ce que j’ai eu du mal à dire dans plusieurs pages. Cela n’est-il pas une autre preuve de la magie des mots?

…Enfin, je souhaite que les portes ouvertes par les auteurs et les poètes nous apportent un souffle nouveau, un horizon radieux, une lueur d’espoir, une envie féroce de vivre, un entêtement têtu de croire en notre humanité en dépit de toutes les horreurs et atrocités qui empestent notre cité et noircissent notre vie. Je souhaite également que les animaux parlants se taisent un peu et lisent beaucoup. La lecture leur permet de voir cette porte ouverte par les auteurs; cette porte qui les fera sortir de leur noirceur et les guidera vers la lueur!… »lire » sera donc le titre de mon prochain texte, si j’ai encore cette étrange envie, ce besoin pressant, ce désir ardent, ce plaisir brûlant…d’écrire!

Mostafa Houmir

Agadir, le 25/04/2016

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