Efficacité économique et Justice sociale : l’autre urgence du PPS

Dans le cadre de la préparation de son programme électoral, le bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) a organisé, jeudi 21 juillet à Casablanca une conférence débat placée sous le thème «Efficacité économique et justice sociale».  D’éminents chercheurs et experts ont pris part à cette rencontre, Ahmed Rahhou, PDG d’une banque, Abdelali Doumou, économiste chercheur et Mohamed Rahj, expert en fiscalité et professeur à l’ISCAE.

Abdelahad Fassi-Fihri, membre du bureau politique qui a assuré la modération de ce débat, a mis en exergue la démarche adoptée par le parti pour l’élaboration du programme électoral, une démarche basée sur une approche d’écoute impliquant les divers acteurs de la scène publique. Pour le militant du PPS, le choix de débattre cette problématique se situe au cœur des préoccupations de la gauche, en considérant qu’il n’existe nullement une contradiction entre efficacité économique et justice sociale qui requiert, au premier chef, une réponse aux multiples attentes des citoyens tout en veillant à corriger les défaillances budgétaires.  En termes plus clairs, comment peut-on lutter contre les orientations politiques sombrant dans un libéralisme excessif et œuvrer en parallèle à la consécration de la justice sociale ? Autant dire que, précise-t-il, «la préservation de la compétitivité des entreprises ne l’exempte pas de leurs responsabilités sociales sans exercer une pression sur les salaires». L’expert en sciences de management a aussi mis, en second lieu, l’accent sur la nécessité de la mise en place d’un régime fiscal équitable pour améliorer la productivité de l’économie nationale. La mise en place d’un modèle économique efficient ne peut se faire sans adopter une démarche contractuelle basée sur la planification et un développement endogène.

Le défi numérique

Prenant la parole, Ahmed Rahhou s’est attelé dans son intervention sur les défis qui guettent l’économie nationale à la lumière des grandes mutations mondiales. Inscrivant son intervention dans une perspective historique, le président du climat des affaires à la CGEM a considéré que trois étapes ont marqué l’économie du royaume ces 20 dernières années. La première se situe entre 1990 et 2000, ponctuée par un faible taux de croissance allant de 2 à 3%.  Depuis l’an 2000, l’économie du pays a pu maintenir un taux moins volatile variant entre 4 et 5%. Malheureusement, le Maroc n’a pas réussi à rester dans cette catégorie. Grosso modo, on a connu une croissance erratique et peu créatrice d’emploi. En dépit des efforts considérables déployés par l’Etat en matière d’investissements, les inégalités ne se sont pas résorbées, a-t-il laissé entendre. Toutefois, le conférencier, estime que la Maroc a réussi le choc d’ouverture de son économie en se positionnant sur les marchés étrangers.  Mais, le véritable hic consiste dans le fait que les produits exportés à l’extérieur demeurent de faible valeur ajoutée par rapport aux importations et aussi à la concentration du capital dans le secteur immobilier. Faisant allusion à des pays émergents, la conférence a considéré que le Maroc devrait tabler sur un taux de croissance sur au moins une décennie afin de maintenir une cadence de développent durable et se mettre au diapason des exigences de l’environnement mondial en procédant à une révision de la chaîne industrielle. Il va sans dire que certains pays africains considérés comme des partenaires sont en train de devenir de véritables concurrents pour le royaume, d’où la nécessité de développer notre offre industrielle, souligne-t-il. En sus de cela, il met l’accent sur l’importance de tirer profit de l’économie américaine, développer la classe moyenne et renforcer le marché intérieur. D’une manière ou d’une autre, tant de défis s’imposent au Maroc, à commencer par la mise en place d’une administration numérique, la révision des politiques sectorielles favorisant l’émergence de champions nationaux et la réforme de la commande publique, condition sine qua non de développement économique et sociale, martèle-t-il.

La méthodologie, la notion introuvable

De son côté, Abdelali Doumou a considéré que les réformes économiques initiées depuis 1998 font défaut d’une méthodologie claire et transparente. Autrement dit, les gouvernements qui se sont succédé ne disposaient pas d’un agenda fixant les priorités. Bref, il n’y avait pas une concomitance entre les réformes entamées dans le secteur social et les résultats escomptés. D’ailleurs, avance-t-il, la justice sociale est synonyme d’amélioration des services publics, notamment, la santé, l’éducation et le transport public. Il faut dire, selon Abdelali Doumou, que les sommes colossales mobilisées pour l’investissement public ont eu des effets pervers, et pour cause, les réformes établies avaient une vision technicistes. «La réforme exige avant tout une réforme de l’Etat», note-t-il en substance. Atteindre un tel objectif, nécessite l’élaboration des politiques publiques SMART et la mise en place d’un système réglementaire qui limite la domination du capital foncier. Abondant dans le même ordre idées, Abdelali Doumou, a soulevé la problématique de la gestion et la mise en œuvre des projets entamés par l’Etat. A l’en croire, sur 1000 Dhs dédiés à l’investissement, est dépensé seulement 45 Dhs. Cela révèle l’existence d’une administration faible, incapable d’aboutir les réformes. Et ce n’est pas tout ! Le militant de la gauche a soulevé la question du contrôle budgétaire des établissements publics ou la gestion des comptes spéciaux et certains fonds de l’Etat, tels le fonds jeunes promoteurs ou de la solidarité sociale, dont la réforme exige la mise en place d’une transparence budgétaire, indiquant dans ce sens que la loi de finances demeure empreinte de grandes zones d’opacité.

Réforme du régime fiscal

Sur un autre registre, Mohamed Rahj a axé son intervention sur l’importance de la réforme du régime fiscal qui demeure en dessous des attentes des opérateurs économiques et des citoyens, s’interrogeant dans ce sens sur la non application des recommandations des assises nationales sur la fiscalité, qui ont eu lieu à Skhirate en 2013. Malheureusement, ce n’était pas le cas. L’expert en fiscalité a cité plusieurs secteurs, ou ce qu’il a désigné par « paradis fiscaux », qui bénéficient depuis des années de certains privilèges sans contribuer au développement social des Marocains. A L’instar d’Abdelali Doumou, l’ancien président de l’Université de Settat déplore le désengagement de l’Etat de certains secteurs (éducation, santé et transport), laissant les citoyens à la merci des lobbys économiques. Encore plus, Mohamed Rahj fait savoir que la pression fiscale au Maroc est égale à des pays voisins, tels l’Espagne et le Portugal. «Il est temps de procéder à une réforme du régime fiscal», note-t-il. S’agissant de l’impôt sur le revenu, Rahj estime que le barème initial qui a été mis en place en 1990 a été revu à la baisse en réduisant sensiblement les taux. Cependant, on a constaté une chose anormale en termes de progressivité. Si pour les premières tranches, le taux passe chaque fois de 0 à 10%, de 10 à 20%, et de 20 à 30%, contrairement aux tranches de revenu supérieur, l’augmentation n’était que de quatre points. Il s’agit d’une regressivité pur jus. A cela s’ajoute les inégalités en matière de collecte de l’IR dont 78% sont payés par les salariés.

S’agissant de l’impôt sur la société, Rahj juge qu’il est aberrant que seulement 3% des entreprises paient 92% des impôts. «Il faut que tous les Marocains contribuent aux dépenses publiques. L’Etat de droit oblige», a-t-il conclu ses propos.

Khalid Darfaf

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