En marge de la journée nationale du théâtre

Pourquoi certains hommes de théâtre, à commencer par l’auteur de ces lignes, sont-ils si négatifs, voire de mauvaise foi, quand il s’agit d’évaluer la politique du Ministère de la Culture en matière de théâtre ? Pourquoi critique-t-on à tout bout de champ un ministère qui, selon un très sérieux site électronique, œuvre sans relâche pour améliorer la situation d’un théâtre qu’on dit prospère, rayonnant et en constante amélioration?

Lors de son intervention durant la célébration de la journée nationale du théâtre, fêtée cette année de manière originale au sein de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle le 15 mai 2019, le Ministre de la Culture a tenu à rappeler à ceux qui ont tendance à l’ignorer que la situation du théâtre dans notre pays est des plus reluisantes et des plus dynamiques grâce, d’un côté, aux nombreuses mesures incitatives initiées par notre cher Ministère et, de l’autre, à l’apport considérable des lauréats de cette institution. Cela est indéniable.

En effet, pour ceux qui ne le savent pas encore, le Ministère a octroyé des moyens financiers et matériels considérables pour permettre aux nombreuses troupes d’être «grassement» subventionnées. Toutes les troupes réparties sur le territoire marocain – même celles qui étaient jusque-là totalement inconnues – ont pratiquement bénéficié  de l’aide à la création théâtrale. N’est-ce pas là, messieurs les grognards, la preuve irréfutable de la «démocratisation» du secteur culturel que ne cessaient de revendiquer depuis longtemps intellectuels et artistes de tout bord ? Niveler  par le bas pour satisfaire tout le monde est désormais une autre manière de démocratiser la Culture dans notre cher pays ne cessent de maugréer ceux qui militent pour la qualité  et non pour le plus grand nombre et la misère au bout.

Si les productions théâtrales de qualité se réduisent en peau de chagrin depuis  que les troupes les plus importantes sont réduites au silence et que les éléments les plus intéressants, gagnés par le doute et l’indigence désertent les planches pour le petit et grand écran ; si l’aide à la création théâtrale ne suffit même pas à subvenir aux besoins de productions théâtrales dignes de ce nom ni à assurer une vie décente aux artistes, c’est bien par un souci de justice sociale et non selon le mérite et l’excellence. Un fonds d’aide qui crée chaque année un peu plus de turbulences parce mal assimilé; mal compris par ceux-là mêmes qui l’ont institué. Non seulement cela ressemble beaucoup plus à de l’aumône mais il ne permet guère l’émulation et l’amélioration des productions théâtrales.

C’est d’une remise en question copernicienne des dispositions statutaires de ce fonds d’aide à la production et la diffusion théâtrales dont il s’agit. Pauvre création qui rase les murs diraient ces revanchards qui prétendent assister impuissants au sacrifice de l’excellence sur l’autel de la médiocrité, de la partialité et du népotisme!

Notre actuel Ministre de la Culture vient d’annoncer à l’occasion de la journée nationale du théâtre l’ouverture de plusieurs théâtres à travers le Royaume dont certains dans des localités jusque-là livrées à l’abandon et à la sécheresse artistique et culturelle (10 pour la seule année 2019). Ce maillage du territoire en infrastructures culturelles, des théâtres en l’occurrence, n’est-t-il pas là aussi la preuve d’un dynamisme sans précédent pour booster l’activité théâtrale et lui réserver une place au soleil dans un pays où l’obscurité des salles de spectacles vides n’a d’égal que celle qui y a toujours prévalu dans le cœur d’un public récalcitrant parce que non rompu à ce genre d’activité, privé d’éducation artistique, véritable handicap pour le développement de notre art.

Certains esprits malintentionnés trouveront toujours le moyen de critiquer ces belles initiatives pour dire que l’important n’est pas le flacon mais l’ivresse de voir ces théâtres avec une programmation riche et pérenne, participant ainsi à l’éducation artistique du citoyen et le nourrir constamment de rêves et d’imaginaire, qu’il ne suffit pas de construire des théâtres – ce qui est du reste une très bonne chose- mais de les pourvoir de techniciens de qualité, de gestionnaires imaginatifs et surtout que ces édifices respirent quotidiennement la création – des lieux de vie – en les mettant à la disposition des troupes de théâtre dont la seule préoccupation est la création et non à des fonctionnaires zélés et intéressés dont la préoccupation essentielle est de gérer une carrière improbable.

La nouveauté cette année dans la célébration de la journée nationale du théâtre c’est qu’elle fut placée sous le signe de la formation puisque notre Ministre a choisi de célébrer cette fête au sein de la seule institution académique dont dispose notre pays, l’ISADAC en l’occurrence. Monsieur le Ministre a insisté sur le rôle joué par cette institution académique dans la promotion de la création théâtrale nationale en louant les efforts entrepris par cette institution dans le renouvellement des générations d’hommes et de femmes de théâtre et de la consécration de notre théâtre à l’échelle arabe. C’est une réalité et nous devons sans doute en être fiers. Mais certains esprits retors et de mauvaise foi trouveront toujours l’occasion de remettre en question ces affirmations les jugeant péremptoires et politiciennes car elles tentent de donner de l’espoir à des dizaines de jeunes lauréats et diront  qu’au lieu d’être «une fabrique de rêves» alimentant le tissu culturel national pour le renouvellement de l’esthétique  et la promotion de l’art est devenue, sous la houlette de ses dirigeants, «une fabrique de main d’oeuvre», une sorte d’Anapec théâtrale  chargée d’exporter désormais dans les pays du Golfe des dizaines de lauréats car nous avons un excédent d’artistes qui se bousculent au portillon d’un espace théâtral victime de l’incompétence de ses promoteurs, malade de ses propres insuffisances.

Pour compléter le panorama de ces nombreuses initiatives en faveur du théâtre, notre Ministre n’a pas manqué de souligner le dynamisme de nos centres culturels où une animation très riche fait courir chercheurs, artistes et animateurs de toutes sortes, toujours les mêmes certes mais n’est-ce pas là une manière de réhabiliter des chercheurs «de grande envergure» en matière de théâtre dont personne n’avait entendu parler auparavant,  donnant ainsi la voix à ceux qui en étaient dépourvus parce que justement ils n’en avaient pas.

Je m’arrête là pour ne pas donner l’occasion aux nihilistes de trouver d’autres raisons pour critiquer un Ministre qui se démène pour séparer le grain de l’ivraie et qui pourtant opte pour l’ivraie parce que, paraît-il, c’est bon pour la santé, qui œuvre sans relâche pour la promotion des arts et de la Culture dans notre pays en écartant ceux qui croyaient en être les dépositaires pour mettre au devant de la scène des «vétérans» et des amateurs de pacotille. N’est-ce pas là aussi une autre manière de noircir un peu plus un espace déjà terne et dépourvu d’harmonie et d’entente entre les praticiens sacrifiant ainsi sur l’autel de la discorde des critères essentiels du métier qui sont le don de soi, la générosité, l’abnégation et l’amour de l’autre. Au lieu de tout cela, l’ambiance qui règne dans l’espace théâtral est nauséabonde. En outre comme s’il fallait enfoncer définitivement le clou, on a réalisé une belle prouesse : celle d’avoir scindé le syndicat en deux entités antagonistes pour brouiller un plus un paysage où les dissensions et l’animosité sont désormais monnaie courante. Diviser pour régner semble être la nouvelle devise pour créer la zizanie dans un corps déjà fragilisé par une politique bancale.

Il faut le dire haut et fort. Malgré quelques illuminations ici et là, la création théâtrale souffre d’un manque de politique claire, d’une vision prospective et fédératrice capable de donner de l’espoir à de jeunes générations qui ont choisi le rêve comme mode de vie afin de participer par leur art à l’amélioration du goût du citoyen, de le faire évoluer par le moyen du théâtre vers la lumière et de mettre au diapason du monde moderne.

Ahmed Massaia

Top