«En n’intégrant pas la convention des travailleurs migrants, nous reculons avec le Pacte mondial»

Si le «Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières» qui sera adopté les 10 et 11 décembre à Marrakech vise à favoriser une meilleure gestion de la migration au niveau mondial, Blaise Mayemba, Secrétaire général de l’UMT pour tous, syndicat des travailleurs étrangers (migrant-es) et président le l’association Atima, émet quelques réserves sur son contenu. Entre autres, il critique le fait que ce texte ne prenne pas en compte la  «Convention internationale sur la Protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles» de 1990.

Al Bayane : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Blaise Mayemba : Je m’appelle Blaise Mayemba. Je suis président d’ATIMA (Association Tous pour l’Intégration des Migrants au Maroc). Nous avons changé récemment de nom, tout en gardant le même sigle. Avant, nous évoluions sous la dénomination d’ATIMA, qui signifiait plutôt (association pour les travailleurs immigrés au Maroc).  Mais la wilaya de Rabat nous a fait remarquer que ce nom faisait plutôt penser à un syndicat, alors que nous sommes une association. C’est pourquoi nous l’avons changé. Notre siège se trouve à Rabat, dans les locaux de l’Union Marocaine du Travail (UMT) qui est notre partenaire. L’objectif d’ATIMA est de lutter contre le gâchis des talents et profils de migrants au Maroc.  Je suis également Secrétaire général de « l’UMT pour tous », la branche des travailleurs étrangers (migrant-es) de la centrale syndicale UMT, dont je suis chargé de coordonner les activités.

En tant qu’acteur associatif et syndicaliste, que pensez-vous de la tenue, prochainement à Marrakech, du « Forum mondial pour la migration et le développement» du 5 au 7 décembre et la «Conférence internationale pour l’adoption du Pacte mondial pour la migration» à Marrakech du 10 au 11 décembrez

La localisation de ces rencontres dédiées à la migration est un signal fort. Elle témoigne du rôle important du Maroc en matière de gestion migratoire. Il faut rappeler que le Maroc est passé par trois étapes : d’un pays fournisseur de migrants pour l’Europe, il est devenu un pays de transit et par la suite, un pays d’accueil pour de nombreux migrants qui n’ont pas pu rejoindre l’Europe. L’adoption du Pacte mondial de la migration au Maroc est un couronnement des efforts du Maroc sur la question de la migration et que je tiens d’ailleurs à saluer par cette occasion. En lançant des campagnes exceptionnelles de régularisation des migrants, le Maroc a permis aux migrants d’être à égal pied avec les Marocains. Grâce à leurs papiers, ils peuvent aujourd’hui accéder au marché du travail et être indépendants. Avoir des papiers a contribué à soulager de nombreux migrants. 10 ans auparavant, il n’était pas possible pour les migrants au Maroc de défendre leurs droits.  Je remercie dans ce sens SM Le Roi Mohammed VI, qui a initié toute cette politique. Dans une autre mesure, j’estime que l’organisation de ces évènements est aussi l’occasion d’interpeller davantage les autorités marocaines sur cette question.

Parlant des efforts déployés par le Maroc en matière de gestion migratoire, quelle évaluation faites-vous de la politique migratoire du Maroc, après 5 ans de mise en œuvre?

Le Maroc a pris un bon élan, notamment avec le lancement de la politique migratoire en 2013, mais depuis quelques mois, il y’a une dégradation de la situation, notamment en ce qui concerne la 2e opération de régularisation des migrants. D’après les directives royales, la priorité devait être accordée aux femmes migrantes, qu’elles remplissent les critères de régularisation ou non. La seule condition étant de prouver leur nationalité. Mais sur le terrain, c’est totalement le contraire. Il a été demandé à certaines femmes de prouver par exemple qu’elles ont travaillé au cours des 5 années précédentes ou de remplir au moins l’un des critères listés. Et pourtant, la lettre royale insistait sur l’assouplissement des mesures et mécanismes de régularisation, particulièrement pour les femmes. On assiste à une contradiction entre le ministère de l’Intérieur et l’opération de régularisation, au niveau de la commission de recours.

En outre, d’autres cas de régularisation ont été acceptés. Mais au moment de se présenter avec le numéro et introduire leurs dossiers, plusieurs migrants se sont vus exiger un contrat de bail. Comment peut-on avoir un contrat de bail, alors qu’on n’a pas de papiers ? Ces contradictions et complications donnent une mauvaise image du Maroc. Il faut que le Royaume accélère le processus qu’il a entamé.

Dans quelques jours à Marrakech, un peu plus de 180 pays vont adopter le Pacte mondial sur la migration. Quelle évaluation faites-vous de ce texte?

A mon avis, ce texte a été en grande partie influencé par les pays de l’Union Européenne. Il donne de ce fait plus d’importance à l’aspect sécuritaire. L’aspect humanitaire n’y est pas pris en compte, à mon sens. Je crois également que le caractère non contraignant du Pacte est le signal d’un échec prévisible de ce texte. C’est contradictoire. Les Etats sont tenus de respecter leurs engagements. Notre association sera présente à la Conférence qui verra l’adoption de ce Pacte. Avec les autres organisations de la société civile, nous allons continuer de revendiquer pour que ce Pacte soit contraignant.

Ne pensez-vous pas qu’il soit tard, pour une quelconque revendication, sachant que le texte a été finalisé en juillet dernier et que le rendez-vous de Marrakech est consacré à son adoption?

Pour arriver à ce niveau, avoir un Pacte sur la migration, il a fallu un grand combat. Je crois que le jeu n’est pas encore joué, puisqu’il est question d’adopter ou pas le Pacte. Qu’il soit adopté ou pas, ce Pacte ne doit pas nous endormir. Il faut poursuivre la lutte, continuer de mettre la pression sur les gouvernements, les autorités…

L’un des constats sur le Pacte, c’est qu’il n’intègre pas la «Convention internationale sur la Protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles» de décembre 1990. Et pourtant, c’est l’un des principaux textes sur la migration. Qu’en pensez-vous, sachant bien sûr que cette convention n’a été ratifiée à ce jour par aucun pays européen?

Effectivement, le «Pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières» ne se base pas sur cette Convention, que le Maroc a d’ailleurs ratifiée. Depuis le mois de Juillet, à travers nos réseaux avec d’autres organisations de la société civile, nous avons décrié cela.  Nous estimons qu’en n’intégrant pas cette convention, nous reculons avec le Pacte. Une fois adopté, ce pacte va abroger certainement d’autres textes antérieurs comme cette convention. Et pourtant aujourd’hui, en tant que syndicaliste, nous nous basons sur cette convention pour défendre les droits des migrants.

A mon sens, le problème majeur de ce Pacte n’est pas vraiment en soi son caractère non contraignant, mais le fait qu’il ne prenne pas en compte la « Convention internationale sur la Protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles ». Il faudrait que la société civile parle d’une même voix pour amender ce Pacte et y insérer cette convention, même plus tard.

D’après le Pacte mondial sur la migration, ce sont les associations, les syndicats… qui seront chargées de sa mise en œuvre. Que pensez-vous des associations œuvrant dans le domaine de la migration au Maroc dont on a l’impression qu’elles avancent en ordres dispersés, et pourtant elles disent défendre une même cause?

Au Maroc, il existe deux types d’associations œuvrant dans le domaine de la migration, notamment celles qui sont gérées par les migrants eux-mêmes et celles qui sont gérées par les Marocains et les Européens. Toutes ces associations, même si elles parlent de la même chose, ne travaillent pas ensemble. C’est pourquoi beaucoup de choses n’évoluent pas. Il y’a énormément d’associations qui sont subventionnées par le ministère des Marocains résident à l’étranger et des Affaires de la Migration, mais 80% d’entre elles ont été créées par des personnes sans vocation humanitaire. Plusieurs projets d’associations ont été montés par des personnes, parce qu’elles n’avaient pas de travail, la vie était dure… Leur idée première n’était pas d’abord de servir les migrants, mais d’avoir de l’argent.

Plusieurs de ces associations montent des projets, des formations bâclées, juste pour justifier les fonds. Sur les 1000 migrants formés que visait le ministère des MRE et des affaires de la migration, il n’est pas possible de citer ne serait-ce que 10 migrants qui ont suivi ces formations et qui travaillent aujourd’hui. Les acteurs associatifs sont les premiers prédateurs des migrants. A cause de cela, plusieurs bailleurs de fonds et le ministère de tutelle ne font plus confiance aux associations, même à celles qui sont sérieuses dans leur travail.

L’autre problème c’est que plusieurs bailleurs de fonds donnent eux-mêmes les lignes directrices à suivre aux associations  et les conditionnent ainsi, au lieu de leur demander de monter des projets et de les défendre. Il y’a un véritable commerce autour des migrants. Ce qui est regrettable.

Pour travailler dans l’humanitaire, il faut avoir une vocation. Il faut créer une association pour un motif social, avoir des objectifs et une cible précise. Pour sortir les migrants qui sont en «prison», vous ne pouvez pas y être vous-même. Seul un pêcheur peut enseigner à mieux pêcher.

Propos recueillis par Danielle Engolo

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