Hors champ : Coppola fait entrer Marrakech dans l’histoire

Lors de la soirée de clôture, un brin de suspense avait commencé lorsqu’on a décidé exceptionnellement, comme l’a précisé le sympathique animateur de la cérémonie de clôture, l’inamovible Laurent Weil, de commencer la présentation du Palmarès par la présentation du Grand prix, la fameuse Etoile d’or de Marrakech. Une tradition non écrite voulait qu’on proclame les prix dans un ordre décroissant en commençant par les prix d’interprétation.

En changeant cet ordre, quelque chose d’insolite allait avoir lieu. Le grand F. F. Coppola va se révéler non seulement président de jury mais véritable maître d’œuvre de cette mémorable édition. Insolite, l’événement qui allait suivre l’était en fait et il était surtout historique : le palmarès va être en effet marqué par l’attribution du Prix du jury à 13 films et du coup tous les films de cette quinzième édition sont repartis avec une récompense. C’est la première fois dans les annales des festivals qu’un tel geste a lieu. Coppola, auteur de véritables monuments du cinéma la saga Le Parrain et surtout Apocalypse now vient de faire preuve en tant que président de jury d’une grande audace et surtout d’une grande intelligence à l’égard de ce qui traverse le monde aujourd’hui comme mutations, comme contradictions violentes et qui rendent l’idée même de compétition dérisoire. «C’est le cinéma lui-même qui est récompensé» a précisé le cinéaste américain qui a du coup fait entrer cette édition du festival de Marrakech dans l’histoire du cinéma. Coppola avait annoncé la couleur en déclarant précédemment que le cinéma change devant nous. Avec son palmarès inédit, il semble nous dire tout simplement que le cinéma est en danger. Ce faisant il a signifié par son geste un acte de résistance politique à l’égard du formatage des esprits par la standardisation des images. Marrakech lui a fourni cette occasion parce que le festival respire encore de la fraîcheur ne dépendant pas de grandes compagnies de production et ne subissant pas les pesanteurs d’un marché de films…fraîcheur également de sa ligne éditoriale ouverte cette année davantage encore sur des œuvres jeunes et abordant des thématiques sociales et culturelles.

Pour le palmarès lui-même, le prix de l’interprétation masculine est allé sans surprise à l’acteur du film islandais, Le géant imide, le public l’ayant déjà plébiscité. Le film aurait également remporté facilement le prix du public tant il dégage de nobles sentiments. Le prix d’interprétation féminine récompense la jeunesse avec la victoire de l’actrice du film belge, Keeper, Galatea Bellugi ; la concurrence était serrée, cette édition marquée par des premiers rôles féminins très forts.

Le prix de la meilleure réalisation est certainement la plus emblématique de cette édition, il est allé au film le plus ambitieux, le plus porté par un travail de cinéma, Neon Bull du brésilien Gabriel Mascaro.

L’étoile d’or attribuée au film libanais Verybigshot est une surprise totale. Certes le film est une comédie légère qui se laisse lire comme une parabole du drame libanais, mais il n’a pas convaincu le noyau cinéphile des festivaliers. C’est un geste aux connotations politiques certaines. Il faut dire que Marrakech porte chance au Liban puisque c’est la deuxième fois qu’un pays du cèdre décroche le grand prix de la ville ocre, Ziad Douiri l’avait en effet emportée en 2012, avec L’attentat.

Mohammed Bakrim

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