Interpréter un film

Un fait inédit a eu lieu lors de la dernière édition du Festival national du film. Le grand prix du festival a été attribué à un film qui n’était pas retenu initialement par la commission de sélection. C’est un film qui a été repêché à la dernière minute alors que la commission avait déjà fait ses choix. Certaines sources proches du dossier affirment que ce sauvetage in extremis a été fait suite au prix décroché par ledit film dans un petit festival en Egypte.

Le fait mérite un arrêt sur image car il est suffisamment édifiant. Il me semble qu’il invite au moins à deux grandes réflexions. La première d’ordre organisationnel, conjoncturel, la seconde de nature théorique, stratégique.

Ce cas de figure rarissime ne manque pas en effet d’interroger l’efficience même de l’idée de sélection dans notre contexte. Il remet en question la crédibilité de son fonctionnement et la légitimité de son jugement. Certes, l’idée d’une présélection était dans l’air du festival national du film depuis que le nombre de films marocains, candidats d’office au festival national, a atteint un seuil qui pose des problèmes de logistique. La durée du festival ne peut être étendue pour assurer une programmation commode et humainement supportable. Sauf que la mise en application de la présélection mérite débat. Il me semble dérisoire de choisir douze films sur 14 ou même 18. Le festival peut encore supporter convenablement 21 longs métrages dans sa sélection officielle. Pour que la présélection ait un sens, il faut élargir l’assiette du choix pour faire concourir tous les longs métrages produits en une année : y compris les téléfilms, les films des Marocains de la diaspora,  les films produits hors circuits professionnels… sans distinction de langue, de support ou de genre (supprimer le quota absurde imposé documentaire). Cela ne règle pas cependant, la question de la pertinence du choix.

Ce qui nous amène à la réflexion de fond que pose le ratage de la commission 2106 du FNF. Un film exclut une première fois par des professionnels, repris une deuxième fois pour être consacré meilleur film de l’année pose en effet une question théorique inhérente à la réception filmique ; à l’acte interprétatif en contexte social. La question qui me vient à l’esprit est la suivante : finalement est-ce qu’on voit tous le même film ? Afaya et ses collègues du jury ont-ils vu le même film que celui rejeté par la commission ou par les nombreux détracteurs du palmarès 2016 ? Oui, On voit bien collectivement un défilement de sons et d’images mais chacun en fait opère son propre acte interprétatif. Le film se révèle être un gisement de significations qui viennent à nous par couches successives et où chacun puise les éléments (les arguments ?) de sa propre interprétation. Affaire à suivre.

Mohammed Bakrim

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