Le premier film marocain

Notre amie l’école (1956)

Il y a un débat intéressant et passionnant qui traverse en filigrane le discours sur le cinéma marocain, celui du premier film. Quel est le premier film marocain de cinéma ? La question semble simple dans sa formulation mais en fait ne manque pas de ramifications multiples. A l’instar d’ailleurs de beaucoup d’autres questions de nature historique qui concerne l’ensemble du cinéma mondial. Plusieurs controverses accompagnent en effet l’inscription de certains événements phares du cinéma dans le calendrier. La question du premier film n’y échappe pas.

Sous son apparente évidence, se pose, en effet, une multitude d’interrogations qui ouvre sur tout un programme…d’histoire ! Il suffit de relever par exemple que chaque mot qui la compose est en soi une problématique qui mobilise un vaste champ théorique et méthodologique. Par exemple : que veut-on dire par « premier » ? C’est le premier en termes de sortie ? De tournage ? A quelle date arrête-t-on la naissance d’un film ? Quel format prendre en considération, court ? Long ? Quel genre : documentaire ? Fiction ? La question de la nationalité aussi n’est pas évidente : la nationalité du réalisateur ? Celle de la production ?

Au Maroc, ces questions sont un véritable champ d’investigation, passionnant et enrichissant. Pour pouvoir répondre à la question du premier film, il faudra souligner d’emblée que c’est un chantier qui reste ouvert, sans cesse alimenté par des acquis de la recherche et de la réflexion. Certes, en 2008, la profession a fait un choix : celui de considérer Le fils maudit (1958) de Mohamed Ousfour comme le premier film marocain ; célébrant ainsi avec faste son cinquantenaire. J’avais formulé mes réserves à l’époque sur le choix de cette date et sur les critères qui ont présidé à ce choix. Mohamed Ousfour a en effet commencé à réaliser des petits films dès le début des années 40. Le fils maudit ne se distingue que partiellement des autres sketches réalisés auparavant par le cinéaste autodidacte. Mais j’ai surtout posé la question du sort réservé à la riche filmographie des années 1955-1958. Des films produits par le CCM et réalisés soit par des cinéastes français qui ont fait le choix de rester travailler au Maroc indépendant (Jean Fléchet, Richard Chenay…) soit par des Marocains de souche (Larbi Benchekroun).

Ces interrogations s’inscrivent en fait dans une vaste réflexion plaidant en faveur de la réhabilitation de l’ensemble du patrimoine cinématographique hérité de la période coloniale qui rappelons-le couvre juridiquement la période mars 1912- mars 1956. Cet héritage dit cinéma colonial relève de notre mémoire culturelle. Il doit être récupéré, conservé, diffusé et étudié. De surcroît les films produits à partir de 1956 avec la souveraineté nationale retrouvée. Je rappelle qu’en 1957, Brahim de Jean Fléchet a représenté officiellement le Maroc à Berlin.

Toujours dans ce sens, je considère que le premier film marocain est Notre amie l’école de Larbi Benchekroun. C’est un court métrage de 1956. En cette année 2016 où le pays célèbre les soixante ans de son indépendance, il serait pertinent voire équitable de rendre hommage à ce film et à son réalisateur Larbi Benchekroun (1930-1984). C’est un cinéaste formé à l’école italienne et qui a rejoint le CCM dès 1956 réalisant de nombreux documentaires. Dans l’enthousiasme qui a fait suite à la proclamation de l’indépendance, il tourne Notre amie l’école (noir et blanc de 11 minutes) où nous retrouvons cette ambiance de mobilisation au service de la relance du pays et le rôle fondateur de l’école. Le film suit un groupe d’enfants le jour de la rentrée des classes, le premier octobre 1956. L’un d’entre eux, Mahmoud, refuse de suivre ses compagnons ; il préfère prolonger les vacances et déambule en ville proie à diverses tentations ; ce qui l’amène à commettre un larcin qui le conduit au commissariat. Il se ravise vite et court retrouver ses camarades en classe. Le film mi-documentaire, mi-fiction est porté par de belles images d’inspiration néo-réaliste et une visée didactique indéniable. Il est fait l’éloge au niveau de son discours et surtout au niveau des images qu’il véhicule de valeurs nobles qui manquent cruellement à notre école aujourd’hui. Nous appelons à le célébrer comme premier film marocain réalisé avec l’indépendance et à lui assurer une large diffusion auprès des jeunes écoliers. Un geste de salubrité publique au moment où aussi bien l’école que le cinéma connaissent et vivent une crise de légitimité.

Mohammed Bakrim

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