«Hot Maroc», roman miroir de la société marocaine

Ce n’est ni une critique, ni un jugement. Je souhaite juste démêler mes impressions sur le roman «Hot Maroc» de Yassin Adnan. «Hot Maroc», roman instructif qui manifeste une grande lucidité sur la réalité socio-culturelle, intellectuelle, économique, politique, financière et écologique qui accompagne l’évolution du pays d’après l’indépendance. Un roman miroir de la société marocaine. Il en dénonce les failles et nous offre un regard sur le monde autour de nous et sur nous-même.

A travers un assemblage d’éléments imaginaires et réels, l’auteur esquisse des tableaux des plus saisissants de la culture marocaine, des scènes marocaines, de l’éducation sociale, de l’érosion des valeurs morales, des relations conjugales et/ou familiales…. L’auteur puise ses inspirations des faits imaginés pour décrire fidèlement une réalité sociale. Tout en creusant dans l’histoire très récente, les mœurs, le quotidien, la religion, les indications affectives et familiales, il nous livre avec finesse le portrait de l’individu (hommes et femmes) marocain. Un profil exact et réel du peuple aussi bien en négatif qu’en positif. L’intrigue se déroule dans la ville de Marrakech. On se promène avec les personnages dans les différents quartiers de la ville ocre et nous voyageons au cœur de leur vie quotidienne. A travers l’histoire de Rahal, le protagoniste du roman, l’auteur nous présente l’image d’un pays plein de contradictions et d’incohérences. Rahal, un personnage bizarre, passif, ennuyeux, effrayé, anxieux, confus, jaloux, envieux, sans dignité. Un être vide sans ambition. Un anti-héros. Son parcours était presque le même que celui de la majorité des jeunes marocains. Issu d’une famille pauvre, il grandit dans un bidonville et puis dans un Fendek au fin fond de la Médina avec son père Abdessalam, sa mère Halima et son oncle Ayad. Pendant la sécheresse des années 80, la famille était contrainte de fouir le village pour se retrouver à la grande ville Marrakech. Rahal rejoint l’Université où il rencontre Hassania, sa future épouse. Hassania, jeune étudiante sérieusement touchée d’un évènement sentimental blessant depuis ses premiers émois d’adolescente souffre d’un chagrin d’amour dû à un partage affectif unilatéral d’où est ressorti un espoir d’un partage d’amour bafoué. Hassania prend Rahal comme mari dans une union sans aucune affection, sans amour, sans émotions, sans tendresse et avec une fréquence des rapports sexuels, sans enthousiasme, les soumettant au devoir conjugal une fois par semaine. Rahal, un exemple de con cultivé sans scrupule. Une personne plein de complexes, psychiquement déstabilisé. Il travaille dans un cybercafé et utilise Internet comme moyen de hurler sa colère et d’expulser ses peurs. Son désir est de contrôler les autres et suivre leur vie personnelle sans se mêler de ses propres problèmes. Un dénigreur qui réussit à trouver la faille et ne rate pas l’occasion pour démoraliser et rabaisser ses victimes en les taquinant par des discours critiques. Il exploite le web pour saboter les efforts des autres. Un pugiliste qui s’attaque aux personnes qui ont réussies. Il crée des faux profils et faux blogs, rédige et publie des remarques négatives et se réjouit du nombre des clics et les likes qui s’accélèrent entre émotions, approbation et estime. Il est prêt à nuire sans raisons. Le roman «Hot Maroc» évoque les réalités très récentes de l’entrée du Maroc dans la technologie de l’Internet: l’univers des réseaux sociaux, leurs avantages, leurs dangers et leurs effets dévastateurs. Internet, cette arme à double tranchant qui est d’une part un remarquable outil de partage, de communication et d’échange… Hélas, la toile est aussi pour les malfrats un moyen de sabotage, d’humiliation et d’agression. Le roman montre la violence du net et met clairement en évidence l’influence de ce monde virtuel sur la population. Il parle de cyber-harcèlement et des relations toxiques telles la fabrication et la diffusion des émotions qui viennent ébranler les réputations des personnes célèbres réussies, espionnage, circulation des propos haineux, véhiculassions des rumeurs cruels, acupuncture électronique, moqueries, création des figures fantômes et les laisser briller, humiliations, insultes, dévalorisation des personnes, jalousie, publication de photos d’une personne sans son accord… Le roman montre bien le succès d’une fausse information et son impact sur les usagers du web. De plus, il parle de l’interaction positive des internautes quant aux commentaires négatifs sans vérifier l’exactitude des manifestations reprochées, la crédibilité de l’information et la sûreté de ses ressources. Le roman parle de l’invasion de «la presse électronique» dans la vie privée des stars et la distorsion de leur réputation. Le roman retrace les affrontements dans les universités, le malaise des étudiants, leur solidarité et leur organisation. Il souligne la mobilisation des militants étudiants, leur révolte, leur lutte et leurs manifestations contre les réformes de l’Université. Le roman dépeint fidèlement une société en pleine mutation, prise entre la tradition et le modernisme. Tout se déroule à Marrakech, la ville symbole de cette transformation. Une ville prise dans les mailles de ses multiples contradictions. L’auteur révèle avec une douce mélancolie l’état de la ville : ville en désordre totale, mal gérée, exode rural, bidonvilles et pauvreté urbaine, chômage, drogue, alcoolisme, prostitution, ignorance, anarchie des architectures, insuffisance des établissements de nécessités premières (écoles…), dégradation des mœurs, destruction des valeurs humaines et éthiques, mépris vis à vis de la femme, insécurité, irrespect, misère morale et spirituelle, comportement d’indifférence des citoyens, conflits sociaux, passivité, lassitude, bruit incessant dans la rue, commerce ambulant sur le sol et sur les routes fermant les voies de circulation, détérioration de l’espace écologique, accumulation des déchets ménagers sur les trottoirs et devant les portes des immeubles, inactivité des autorités, absence d’éco-citoyen… Mais aussi un effort de modernisation : urbanisation, développement des moyens d’informations et de communication, diversité des activités de la ville, évolution sociale des femmes… Un tas de transformations déclenchant une vague de démonstrations et grèves citoyennes contre les maladies sociales (corruption, prostitution…), démonstrations des parents des écoliers contre l’entassement des classes et l’absence des encadrants, mouvance des groupes salafistes contre les droits de la femme, révolte des femmes et manifestations des associations militant pour leur liberté et contre leur discrimination,… «Hot Maroc» dévoile la fièvre pré-électorale, les conditions et la mal-organisation des votes, fraude politique, violations des règles des élections, tricherie, malhonnêteté, hypocrisie, manque de transparence et de crédibilité lors des élections, corruption, mots haineux et insultes entre élus , achat des voix des électeurs… L’auteur ne s’empêche pas de citer des évènements socio-politiques importants de l’histoire du Maroc. «Hot Maroc» est une histoire formidablement bien ancrée dans le réel. L’auteur a brassé et brossé plusieurs thèmes à la fois et a présenté une galerie de personnes bien élaborées qui se divisent, se mêlent, se battent, s’entrecroisent, se repoussent, se détestent et qui se côtoient, cohabitent et s’aiment. L’auteur met ses protagonistes dans un univers où il manie très bien la fiction, la réalité, l’humour, l’ironie et le cynisme. Il les anime et et fait vivre tout un monde. Le titre du roman «Hot Maroc» est d’une lourde signification ainsi que le récit teinté d’humour. Dans ce roman  de Yassin Adnan, il  y a rapprochement des comportements spécifiques des personnages en les simulant à un trait animalier qui les caractérise particulièrement tout en mettant en évidence cette réflexion philosophique de ressemblance et d’analogie comportemental entre l’Homme et l’animal, tâchant par ce fait, de rendre saillante cette espèce d’animalité qui sommeille en nous. Un message glissé à la classe politique ingénieusement codé.

Amina Rchouk

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