Il était une fois….le cinéma

Le fils maudit de Mohamed Osfour

Il a été célébré en 2008, à l’occasion de son cinquantenaire, comme le premier film marocain. Ce choix fait débat. C’est, en effet, une hypothèse parmi d’autres. Certains observateurs ont rectifié l’intitulé en précisant qu’il s’agirait plutôt du premier film réalisé par un Marocain. Voire. Il y a avait à ce niveau aussi d’autres films réalisés au Maroc par des Marocains (dès 1956) ou par des Français par exemple. Mais ce n’est pas notre sujet. C’est le film qui compte. Il se distingue d’abord par sa durée : ce n’est ni un long métrage selon les normes établies (à peine une soixantaine de minutes dans sa version longue) ni un court métrage (il fait plus de trente minutes). Cependant, dans le catalogue du CCM, il figure en premier dans la filmographie générale des longs métrages marocains.

Il arrive à un moment clé de la carrière de Osfour bouclant ainsi toute sa période amateur. Il avait accumulé une dizaine de sketches qu’il avait commencé à «tourner » dès le début des années 1940. Mais vers la fin de cette décennie, il va commencer à travailler avec des productions internationales. Il sera présent par exemple auprès de Orson Welles sur le tournage de Othello.  La décennie suivante, tout en continuant ses prestations de service dans les productions étrangères, il organise des projections payantes dans son garage de mécanicien et à tourner des moyens métrages. Le fils maudit porte l’autorisation de sortie de l’année 1958. La traduction du titre arabe est différente entre le catalogue du CCM qui le présente sous le titre Le fils maudit et le générique du film qui parle de L’enfant maudit. Un générique riche par ailleurs en informations. On y découvre notamment le nom de sa société de production «Osfour films» signe de sa professionnalisation précoce. Un générique  présenté en surimpression : sur des images de la ville défilent des indications techniques et artistiques. La calligraphie arabe renvoie à un référentiel visuel qui dit l’influence du cinéma égyptien des années 1930. Une contamination que l’on retrouve dans certains intitulés de postes comme dans la présentation des personnes ayant participé au film (la composante en triade à l’égyptienne de son nom Osfour Mohamed Ali). Le nom des acteurs est accompagné de noms de rôles qu’ils incarnent. Pour le rôle de Amina, le générique met Malika sans autre précision…Pour les costumes, le générique parle de «L’épouse de Mohamed Ali Osfour» : est-ce déjà une forme d’autocensure en évitant de présenter l’identité réelle des femmes impliquées dans le film ? Interrogation à vérifier en confrontant les génériques des films de l’époque.

La ville que nous voyons lors du générique défiler d’une manière anonyme va être très vite identifiée quand la caméra d’Osfour s’arrête sur des signes distinctifs de Casablanca : le célèbre quartier habous et sa mosquée. Le minaret emblématique de ce quartier typique de la médina est cadré d’une manière majestueuse en légère contre plongée avec un mouvement de haut en bas qui débouche sur un plan large où la mosquée est cernée de voitures européennes, avec notamment la mythique Citroën noire : un clin d’œil d’Osfour à son métier d’origine mécanicien ?

Le film est muet mais il a été mixé des années plus tard et la voix off d’Osfour accompagne le récit. Tout le film durant sa voix va « camper »  tous les rôles. Avec ce plan de la mosquée, on l’entend par exemple reprendre l’appel du muezzin, plantant du même coup un élément de l’horizon d’attente ouvert par la dimension moralisante implicite du titre du film. Celui-ci en effet porte tout le programme narratif du film : c’est le récit d’une déchéance. On découvre un écolier baignant dans un environnement de violence : horizontale vis-à-vis de ses pairs et verticale vis-à-vis de son père. Une ellipse bien menée nous permet de le retrouver volant et molestant son père pour verser finalement dans la délinquance et la criminalité.

Le film dans ce sens fonctionne comme un révélateur des mœurs et des valeurs dominantes dans une société qui découvre les loisirs de la vie moderne avec le rôle devenu central de l’argent. Cela se fera au détriment des fondements qui avaient assuré sa cohésion.

Mohammed Bakrim

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