Immobilier : quand le «noir», s’offrir onstrue l’horizon

Quand Mourad et son épouse, fonctionnaires à Rabat, ont pris leur bâton de pèlerin et fait le tour de la capitale pour s’offrir un logement convenable, ils étaient loin d’imaginer à quel point la tâche était compliquée. Et pour cause, le jeune couple ignorait totalement l’existence de ce qu’on appelle, dans le jargon de l’immobilier, le «noir», cette pratique frauduleuse mais très courante qui consiste à imposer à tout acheteur le paiement sous la table d’une somme d’argent variable en dehors du prix de vente déclaré.

Le couple, qui venait de décrocher un prêt bancaire pour s’octroyer, enfin, un appartement et en finir avec le loyer trop cher qui grève leur budget, ne s’attendait pas à un tel obstacle. Dans la capitale administrative qui abrite une grande majorité de fonctionnaires et où les tarifs de l’immobilier sont réputés être parmi les plus élevés au Maroc, Mourad et sa femme croyaient que toute la difficulté consistait à mettre la main sur un appartement proche de leur lieu de travail et qui présente un bon rapport qualité/prix.
«On a passé de longues semaines à sillonner les quartiers de la capitale à la recherche d’un domicile approprié, tantôt après la sortie du travail, tantôt en fin de semaine. Mais nous avons trouvé les prix excessifs et inadaptés à notre budget», raconte Mourad, 36 ans, à la MAP.

«Lorsque, après moult tentatives vouées à l’échec, nous avons déniché l’oiseau rare, dans un complexe résidentiel fraîchement construit par un promoteur immobilier à Salé, quelle ne fut pas notre surprise en entendant le promoteur immobilier nous demander de nous acquitter d’un montant supplémentaire dont on n’avait pas convenu et qui était hors de notre portée, puisque la banque n’allait pas accepter de nous prêter davantage d’argent», confie-t-il, l’air dépité.

Face à cette politique du fait accompli, le couple malheureux n’eut d’autre choix que d’abandonner la partie et faire appel à son réseau d’amis et proches pour décrocher le précieux sésame, sans avoir à se soumettre aux diktats des implacables «smasria».
La galère de ce couple à la recherche d’un toit dans une grande ville marocaine à un prix abordable est, en effet, celle d’un grand nombre de ménages qui voient leur rêve de se procurer un habitat digne de ce nom partir en fumée, devant la flambée continue des prix à cause de la rapacité des spéculateurs qui pratiquent allègrement le «noir» et autres formes de fraude et imposent en toute arrogance leur loi dans ce secteur peu contrôlé.

S’il existe quelques-uns qui refusent de se plier aux quatre volontés des promoteurs immobiliers, quitte à mettre plus de temps et d’énergie à la recherche de professionnels aux méthodes plus transparentes, d’autres voient le «noir» comme une fatalité qu’il faut «faire avec».

C’est le cas de Mohamed, cadre dans le secteur privé, qui vient de signer le contrat d’achat d’un appartement flambant neuf à Témara, après s’être entendu avec le promoteur immobilier sur le prix de vente qui sera déclaré ainsi que sur le fameux «noir» qui, lui, bien évidemment, est passé sous silence.

«Je ne peux attendre indéfiniment que l’opportunité se présente. J’ai acquis la conviction que de nos jours, l’achat d’un logement passe inexorablement par le ‘noir’. C’est pourquoi j’ai d’ores et déjà pensé à économiser un peu d’argent, et avec le prêt que la banque va m’accorder, je pourrais y arriver», lance-t-il.

Selon Bahmad Chafai, avocat au barreau de Rabat et secrétaire général de l’Union des jeunes avocats au sein de la même instance, la pratique du «noir» s’est tellement répandue dans le secteur immobilier que beaucoup de gens ont fini par croire qu’il s’agissait d’une pratique indissociable de l’opération de vente, alors qu’elle n’est, en réalité, qu’une forme de fraude qui enrichit les vendeurs, appauvrit les citoyens à revenu limité et sape, de surcroît, l’économie nationale.

Plus encore, signale Me Chafai dans une déclaration à la MAP, il s’agit d’une forme de chantage exercée sur des citoyens désemparés, en violation de l’article 230 du code des obligations et des contrats, lequel stipule que «les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites», ce qui signifie que le prix de vente mentionné dans le contrat est le seul valable du point de vue légal.
En 2010, la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) avait décidé de prendre à-bras-le-corps ce fléau en lançant une campagne d’estampillage anti-noir dans le secteur, qui s’inscrivait dans la lignée de la signature de la charte d’éthique par les membres de la FNPI vers plus de professionnalisme et de transparence en matière de prix.

Cette campagne portait sur la distribution, aux membres de la Fédération, de banderoles qui comportent la mention «signataire de la charte d’éthique de la FNPI et déclaration à 100 % du montant de la vente».

A son tour, la Direction générale des impôts a déclaré la guerre au «noir» avec l’annonce, début 2015, de mesures inédites pour lutter contre l’évasion fiscale et sanctionner les vendeurs qui trichent sur le prix de vente dans le but de payer moins d’impôts.
C’est ainsi qu’a été adopté un référentiel fiscal des prix des transactions immobilières qui a été appliqué dans une première phase à Casablanca, dans la perspective de l’étendre à d’autres villes. Une première qui permettra d’éviter les sous-déclarations, les redressements fiscaux et les contentieux qui en découlent et, surtout, de démocratiser l’accès au logement et de libérer les citoyens du despotisme de spéculateurs cupides et sans scrupule.

Khalid El Aimouni

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