«J’aimerais que notre chaâbi soit présent partout»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Avec le même enthousiasme qu’on lui connait, l’ambassadrice de la musique de chaâbi a une fois de plus enflammé la scène du Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira. Après avoir donné en 2018 un concert inoubliable avec Haja El Hamdaouia, Raymonde n’a pas manqué le grand rendez-vous cette année. Elle a clôturé en apothéose le festival en compagnie d’une autre icône de la chanson marocaine, Benomar Ziani. Souriante, élégante, Raymonde s’est confiée sur son rapport à la musique chaâbi. Les propos.

Al  Bayane : Vous avez une relation particulière avec Essaouira. L’année dernière, vous avez partagé la scène avec Haja El Hamdaouia et cette année, avec Benomar Ziani. Que représente le Festival des Andalousies Atlantiques pour vous ?

Raymonde El Bidaouia : Pour moi, ce sont de merveilleuses retrouvailles. C’est normal que ce soit exceptionnel parce que grâce à ce festival, les Marocains des quatre coins du monde se réunissent. Mogador est une légende. C’est une ville unique. Mon public m’accueille toujours avec la même chaleur et le même enthousiasme. Il me donne le courage. C’est grâce à lui que je continue de chanter.

La ville d’Essaouira a été consacrée récemment «Ville créative» par l’UNESCO. Que vous inspire cette ville?

Moi aussi, je ferai partie de l’Unesco (rires). C’est un honneur. Essaouira le mérite amplement, en tant que premier port du Maroc. Monsieur André Azoulay s’investit énormément dans cette ville. Il donne de son temps et même de sa santé. Il y fait toujours venir les gens. Une fois que ceux-ci ont goûté à cette ville, ils y viennent et reviennent chaque année. Essaouira, comme je l’ai dit, c’est aussi un lieu de retrouvailles. Un jour, j’y ai rencontré un Juif avec qui j’ai grandi au mellah ainsi que des amis que je n’avais pas revus depuis des années.

Une veillée spirituelle a réuni des Juifs et Musulmans à la Zaouia El Kadiria dans le cadre du Festival des Andalousies Atlantiques. Un moment exceptionnel !

Ce type de brassage a toujours existé au Maroc. Juifs et musulmans ont étudié ensemble, joué dans le même quartier, dans la même ruelle. Nous partagions nos fêtes et nos joies. Nous ne distinguions pas entre halal et haram. Le haram, c’est sous estimer ou mépriser une religion. Vous savez, ma voisine Lala Zouhra m’a allaitée quand ma mère partait très tôt au travail. Il n’y a pas plus grand amour. Vingt ans plus tard, quand je suis venue frapper à sa porte, elle a su que c’était moi. C’était un moment inoubliable!

Vous avez grandi à Casablanca à Sidi Fateh. Parlez-nous de vos souvenirs et de vos premières rencontres artistiques?

Je suis une fille de l’ancienne médina où habitaient Lahbib Kadmiri et Bouchaib El Bidaoui. Dans les cafés de la médina, les musiques et les voix d’Abdel Wahab, Najet El Shaghira meublaient les espaces. Mais ceux qui m’ont marquée c’étaient Bouchaib El Bidaoui, Latifa Amal, Haja El Hamdaouia. A mon époque, il y avait les soirées chaque samedi au cinéma Verdun. Au programme, une pièce de théâtre de Bouchaib El Bidaoui, suivie d’une prestation de l’orchestre. Je préférais aller assister aux soirées musicales pour regarder une pièce de théâtre et écouter les chansons des chikhates. Quand j’étais petite, j’écoutais  «alabas ayli alabas». C’est une chanson qui m’a marquée pendant toute ma vie. Pour moi, Chaâbi, c’est notre patrimoine.

Vous chantez essentiellement le chaâbi. Pourquoi?

C’est l’amour pour notre patrimoine. Il fallait que je le fasse, que je traverse la frontière,  que je chante le Chaâbi et que je revisite ses beaux titres, en l’occurrence d’«Alabas», «ayli ayli», «Mnin ana o mnin nta».  Toutes ces merveilles de notre patrimoine, aucun de nos jeunes artistes n’a voulu les chanter. Je leur demande d’exploiter ce patrimoine pour que nos chansons restent vivantes.

A l’étranger, y a-t-il des gens qui vous reprochent de ne chanter qu’en darija?

Non. J’aimerais que notre chaâbi soit connu et célèbre. Je voudrais qu’il soit toujours présent dans les festivals et les discothèques. Vous savez qu’au Japon, il y a un DJ qui diffusait la chanson «Ydirha l kass» de Raymonde. Ma fille, qui est actrice, a filmé des Japonais qui chantaient cette mélodie. C’est merveilleux de voir cette musique franchir toutes les frontières.

En plus de chanter, vous avez aussi joué dans le cinéma et le théâtre. Quels sont les rôles qui vous parlent le plus?

Je viens de terminer un film. Mais les films ne me donnent pas autant de satisfaction que la scène. Le théâtre marocain en darija me procure un bonheur inouï, parce que j’ai un contact direct avec mon public. Et cela me réjouit et me rend heureuse. J’ai interprété le rôle de la mère. La mère marocaine qui aime ses enfants, qui donne l’exemple à ses filles et ses fils. Cette femme qui a aussi beaucoup à dire.

Vous avez chanté au Palais royal à l’invitation du feu roi Hassan II. Que représentait cet événement dans votre carrière d’artiste et de chanteuse?

C’était le plus beau cadeau de ma vie. Je n’ai pas dormi durant toute une semaine à l’idée que j’allais voir Sa Majesté. J’ai perdu le sommeil, tellement l’émotion était trop forte.

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