Jouer le rôle de Driss Basri fut une expérience édifiante

C’est une figure populaire des écrans, grand et petit. Benaissa El Jirari est en effet un comédien qui asu se forger une carrière et une image nourries par un travail permanent, notamment au théâtre, sans jamais céder à la facilité. Alternant le comique et le tragique avec naturel et spontanéité. Je l’ai découvert dans un feuilleton de Farida Bourquia sur le drame d’un village de pêcheurs où il incarnait un ex-militaire ayant perdu la vue au Sahara : une interprétation d’une grande justesse, un personnage désabusé, versant dans l’humour noir et d’unegrande humanité.

Il était à Tunis dans le cadre des JCC où le film de Hicham Lasri, Starveyour dog était en compétition officielle longs métrages. Benaïssa El Jirari y incarne le  rôle du célèbre ministre de l’intérieur de l’ancien régime, Driss Basri.

C’est à ma connaissance, la première fois qu’un film marocain de fiction aborde une personnalité politique contemporaine comme personnage principal. Déjà, pour Benaïssa  c’est une séquence historique de sa carrière.

Après la projection de presse du film et une fois de retour à l’hôtel Africa et à sa table du restaurant avec une vue splendide sur l’avenue Bourguiba, je n’ai pas manqué de lui poser, entre autres, la question sur ce rôle inédit

Mais d’abord, sur sa rencontre avec Hicham Lasri : «Si des réalisateurs ne connaissent pas les comédiens, moi, je fais partie des comédiens qui suivent et connaissent les réalisateursmarocains. Je connaissais donc bien Hicham avant même detravailler avec lui. Je connais son travail, ses films, et j’ai beaucoup aimé son premier long métrage The end. Notre rencontre directe s’est faite chez Ali’n productions lors d’une production destinée à la programmation du mois de ramadan, Kenza au village. Hicham a apprécié maprestation et n’a pas hésité à affirmer «Benaissa est une découverte pour moi ». De même que je suis ravi de travailler avec lui ; nous en sommes déjà à deux longs métrages et un téléfilm original que je qualifierai de «téléfilm d’auteur; si ce genre n’existe pas, Hicham va l’inventer…je suis fier d’interpréter les rôles qu’il me confie et où il livre ses fantasmes».

Et pour Starveyour dog et le rôle de Driss Basri : «Je ne te cache pas que lorsque j’ai reçu le scénario dans ma boîte mail, j’ai sauté de mon siège dès les premières pages et j’ai quitté mon PC pour un long moment. Oui, sincèrement, j’ai été secoué et bouleversé…j’ai failli laisser tomber. J’ai appelé Hicham au téléphone pour lui faire part de mes hésitations, voire de ma peur. Il a troué les mots justes pour me convaincre et me rassurer. Je pensais à la dimension politique du rôle ; je pensais aussi que c’est un rôle plus grand que moi…L’échange avec le réalisateur m’a permis de retrouver ma confiance et d’analyser la proposition avec lucidité. Le Maroc a changé sous le nouveau régime et il a besoin d’un cinéma qui ose. J’ai vu la liberté de ton de la presse écrite et je me suis dit : j’y vais et j’assume mon choix.

Est-ce que tu as fait un travail de préparation particulier pour ce rôle : «oui. D’abord beaucoup de recherches ; j’ai accumulé beaucoup de matériau sur le personnage et son époque au point que j’ai monté une application qui lui est consacrée sur mon ordinateur. Mais l’élément qui m’a beaucoup aidé à l’approcher et le connaître davantage est son interview avec Aljazira. Un document important que j’ai visionné plusieurs fois ; au fur et à mesure de mon analyse, ma perception de Bsri a changé : je commençais à passer de l’antipathie à une forme d’empathie.

Reste alors le comment. Avec Hicham, j’ai compris que la dimension formelle ne comptait pas. Nous ne sommes pas dans une logique documentaire. La ressemblance physique ne se posait pas. En outre Basri n’avait pas de tics ou de gestes particuliers à part son accent 3roubi célèbre. Nous avons alors travaillé la dimension psychologique. Je l’ai abordé finalement comme un personnage shakespearien avec une certaine distance car on n’était pas dans un rôle de composition…Petit à petit, j’ai réussi à constituer le fil directeur qui m’a guidé dans mon travail.

Sur le tournage, la plupart des scènes où j’apparais, Hicham Lasri les a filmées en plan séquences où on n’a pas le droit à l’erreur ; ce n’est pas un simple plan que l’on peut refaire, c’est une continuité qui demande une hyper concentration. Au moment de son long monologue, j’ai adhéré au jeu au point de pleurer et de faire émouvoir l’équipe technique. Hicham m’a félicité pour cette prouesse mais m’a demandé à la refaire car, m’a-t-il fait remarquer avec raison, Driss Basri ne pleure pas…Il fallait rester cohérent avec la construction générale du personnage.

Le résultat final, je le trouve probant…la preuve : le film dérange. Sa réussite est illustrée par la peur qu’il ne cesse de provoquer chez différents responsables. Dans mes voyages, je constate que le Maroc est jalousé partout pour l’ambiance qui y règne, pour le dynamisme de son cinéma. Je ne comprends pas alors pourquoi le film est combattu. Ils sont en train de le censurer par défaut : il a été retiré de la compétition officielle à Tanger, à Tétouan… J’ai l’impression que le film les dérange car il leur renvoie l’image de ce qu’ils sont ; pour beaucoup d’entre eux, ce sont des créatures de Driss Basri. Et Starveyour dog leur rappelle cette réalité. Mais le film se voit, les Instituts français l’ont distribué et il a déjà une riche carrière internationale».

Mohammed Bakrim

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