Karima Benmimoun, une vision shakespearienne du théâtre

Karima Benmimoun, native de la ville d’Oujda, est considérée comme l’une des artistes pionnières qui ont fait la gloire des planches au Maroc durant les années quatre-vingt. Sa vision du 4e art est un peu particulière, «shakespearienne» en quelque sorte, dit-elle. «Le théâtre doit refléter la réalité de la société. Il doit montrer ses véritables maux, ses défectuosités mais aussi ses vertus», estime-t-elle.

Karima se dit d’abord reconnaissante envers sa maman Fatima. C’est grâce à elle qu’elle a pu suivre des cours de théâtre à la Maison des jeunes de la capitale de l’oriental.  «J’ai eu la chance d’avoir une mère très compréhensive. Elle veillait à m’accompagner en personne pour que je puisse assister aux séances de filage. Avec son esprit très ouvert, elle a été souvent à l’écoute de ses enfants. D’ailleurs, elle était la véritable cheffe de la famille, étant donné que mon père avait immigré en France pour subvenir à nos besoins», confie-t-elle au journal Al Bayane.

C’est à la maison des jeunes Averroès située au quartier Lazaret que la fille d’Oujda va donner libre cours à son talent. Sa présence et ses mouvements sur scène suscitent l’admiration de l’éminent dramaturge Yahya Benazzoui qui la contacte pour rejoindre sa troupe théâtrale. Alors qu’elle est encore collégienne, Karima est invitée pour jouer «La maison sombre» à l’occasion du Festival de la jeunesse. Sa prestation est remarquée par Yahya Boudlal et feu Mohamed Meskin qui ne tardent pas à l’inviter pour adhérer à la troupe du «Théâtre travailliste» d’Oujda.

«Toutes les soirées, nous étions appelés à assister aux répétitions de 18 heures à 23h00 au siège de l’UMT. Yahya Boudlal et Mohamed Meskin veillaient au moindre détail. Ils étaient souvent en quête de l’excellence. Le succès de la troupe à l’époque était le fruit de la discipline irréprochable imposée par les deux maîtres», confie-t-elle.

A l’époque, Karima était très influencée par Touria Jabrane, un des monuments des planches marocaines. «J’ai beaucoup apprécié en elle sa capacité à jouer sur scène sans désemparer et sa façon intelligente de retenir l’attention du public».

Karima va, à son tour connaître son heure de gloire avec «Aâchour», une magnifique pièce écrite et mise en scène par l’immense dramaturge, Mohamed Meskin. Elle y interprète le rôle de «Safia», une mère qui va donner naissance à Aâchour, figure principale de l’histoire, qui se chargera de la libération des opprimés et des assujettis.

«C’était une œuvre inspirée des conditions laborieuses dans lesquelles travaillaient les miniers de Jerrada. Cette œuvre constitue un cri contre l’exploitation et l’idéologie capitaliste. Elle était l’expression suprême et sublime du théâtre militant et engagé», affirme-t-elle.

Une vie pour le théâtre

Karima raconte comment la troupe a fait une grande impression en Syrie, en interprétant la pièce «Ya sabr Ayoub», «La patience de Ayoub». Cette même pièce qui avait remporté le premier prix lors de la 22e édition du Festival national du théâtre amateur à Rabat.

Karima y interpréta le rôle de Yamna, une fille de campagne qui va nouer une histoire d’amour avec Ayoub, un roturier rebelle. Ce dernier va être trahi par son ami le plus proche, Abdellah, qui symbolisait l’intellectuel et la voix de la raison.  Ayoub devra affronter la colère de l’empereur. Pour le punir, ce dernier va tenter de le priver de sa dulcinée, Yamna.

«Je me rappelle qu’après notre prestation à Damas, la scène a été envahie par les spectateurs», dit-elle. «Tous les critiques du théâtre ont été émerveillés par notre prestation. Certains observateurs nous ont même confié qu’ils ignoraient tout sur l’histoire et le niveau du théâtre marocain », souligne-t-elle.

Pour Karima Benmimoun, la réussite du théâtre travailliste n’aurait pas pu se réaliser sans la contribution de deux personnalités exceptionnelles, Yahya Boudlal et feu Mohamed Meskin. «Le décès de ce dernier fut pour moi un souvenir atroce qui marqua ma vie. J’étais très proche de lui. C’est un vrai militant entièrement acquis aux causes des démunis et aux souffrances du faible. Malheureusement, il n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait sur la scène nationale», déplore-elle.

Le mariage de Karima va la contraindre à quitter le Maroc pour s’installer en France. Après six ans d’absence, elle retourne au Maroc pour se consacrer à l’éducation de son fils. Elle occupe actuellement le poste de médecin anesthésiste-réanimateur à l’hôpital public. «Mon fils est ma fierté. C’est mon bonheur et ma joie».

Pour cette généreuse et fière fille de l’Oriental, le théâtre a malheureusement perdu beaucoup de sa substance. «Auparavant, nous faisions le théâtre pour le théâtre. Nous considérions que nous sommes porteurs d’un message noble, sans intention pécuniaire», note-t-elle en substance. «Pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, les salles de théâtre affichaient souvent complet», insiste-t-elle. Il y avait une forte demande car il y avait vraiment un produit théâtral de qualité. Les gens du 4e art n’étaient motivés que par l’art et ne couraient pas après l’argent», conclut-elle.

Khalid Darfaf

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